Hollande à Bratislava : mon ennemi, c’est le populisme…

Le Conseil européen qui s’est tenu le 16 septembre a traduit le désarroi et les divisions au sein des vingt-sept après le séisme du référendum britannique. Spécialiste des questions européennes, Pierre Lévy décrypte les enjeux cachés du sommet.

Bratislava, 16 septembre. La capitale slovaque est paralysée, du fait des mesures de sécurité. En cause : le Conseil européen (informel, car le Royaume-Uni n’a pas été convié), dont la réunion avait été décidée dans la foulée du vote britannique, le 23 juin dernier. La victoire du Brexit avait littéralement paniqué les dirigeants européens.

Trois mois plus tard, ces derniers ne se portent guère mieux. Ils mesurent l’ampleur du séisme, qui pourrait provoquer rien de moins que la mort de l’UE.

Le premier vice-président de la Commission, le Néerlandais Frans Timmermans, notait ainsi récemment : «C’est la première fois, dans mon expérience européenne, que je pense que le projet pourrait réellement échouer.» Pour Enrico Letta, prédécesseur de Matteo Renzi à la tête du gouvernement italien, «l’Europe (est) menacée… ou pire encore», car le Brexit est «un désastre qui a mis à mal l’idée même du projet» européen.

Dès lors, l’ordre du jour implicite du Conseil pouvait s’énoncer simplement : peut-on éviter la «dislocation» de l’Union ? D’autant que les symboles ont joué des tours aux organisateurs : la croisière sur la Danube a dû être écourtée, tant le niveau du fleuve était bas. Avec un certain sens de l’autodérision sur ces basses-eaux européennes, le Premier ministre maltais a commenté : «nous sommes tous sur le même bateau». Cerise sur le bateau, le palace flottant affrété battait pavillon… allemand.

Dans cette «crise existentielle» de l’UE (selon le mot de Jean-Claude Juncker), les rencontres se sont multipliées ces dernières semaines, dessinant des sous-groupes parfois antagoniques.

Ainsi, le Premier ministre grec avait reçu les pays du Sud – France comprise – le 9 septembre à Athènes. Avec des priorités affichées : plus d’intégration politique, plus de «solidarité» pour l’accueil des réfugiés (dont la Grèce supporte l’essentiel du poids), moins de Pacte de stabilité. Le 25 août, le président français avait pour sa part accueilli les dirigeants sociaux-démocrates européens (y compris Alexis Tsipras, désormais intégré de fait dans cette famille) sur des thèmes approchants.

L’état d’esprit est à peu près inverse au sein du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Tchéquie), qui a présenté au sommet du 16 ses revendications : pas de quotas imposés pour l’accueil des migrants, pas d’Europe à deux vitesses, et réappropriation par les Etats-membres des pouvoirs exercés par la Commission… Les dirigeants régionaux flamands tentaient, de leur côté de constituer un groupe de pays de la Mer du Nord… Quant au ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, il avait ni plus ni moins demandé, quelques jours auparavant, d’exclure la Hongrie de l’UE.

Au-delà de la mise en scène, le «moteur franco-allemand» apparaît grippé

Ce paysage jugé dramatique a fait dire au président de la Commission, Jean-Claude Juncker, qu’il n’avait, de sa vie, jamais vu une «telle fragmentation», ni vécu une situation avec «si peu de commun» entre les Etats membres…

Dès lors, confiait peu avant un haut responsable bruxellois, si le sommet pouvait afficher un minimum d’unité, «ce serait déjà un beau résultat».

Mais à peine le président du conseil Donald Tusk avait-il rendu publiques les conclusions de la réunion que Matteo Renzi plombait l’ambiance en clamant qu’il rejetait celles-ci. Car ni le desserrement des règles budgétaires, ni une communautarisation renforcée de l’accueil des réfugiés ne sont mentionnés.

Pour des raisons opposées, le Premier ministre hongrois s’est également distancié du texte, au motif que la politique migratoire de l’UE, qu’il juge laxiste, reste inchangée.

Enfin, deux chefs de gouvernement, l’Irlandais et le Suédois, ont émis les plus vives réserves sur l’une des annonces du sommet : l’accélération de l’intégration militaire. Les deux hommes ont rappelé la neutralité des leurs pays respectifs. Quant à leur collègue lituanienne, elle à proclamé son opposition à ladite Défense européenne, qui, selon elle, concurrencerait l’OTAN. Londres a d’ailleurs fait savoir qu’il s’opposerait à cette évolution tant qu’il reste encore parmi les Vingt-huit.

Quoiqu’il en soit, l’«agenda de Bratislava» se décline en trois axes. Le premier, «priorité absolue» selon Donald Tusk, vise à éviter que ne se reproduise le flot d’arrivées de migrants connu en 2015.

Les célébrations s’annoncent sinistres, et ce n’est pas la conférence de presse conjointe d’Angela Merkel et de François Hollande qui risque d’inverser l’humeur

Le deuxième axe concerne la «sécurité extérieure» (accélération de ladite «Europe de la Défense», comme proposé par Paris et Berlin), et «intérieure». Le troisième est censé relancer le «développement économique et social», et inclut le doublement du «Fonds Juncker» (de 315 à 650 milliards) qui assure les investisseurs privés du soutien financier public.

«Bratislava est le début d’un processus», affirme le texte de conclusions, qui prévoit un autre sommet informel (toujours sans Londres) à Malte en février 2017. Puis un autre à Rome en mars, où les officiels célèbreront le soixantième anniversaire du traité fondateur de la Communauté.

Des célébrations qui s’annoncent sinistres, et ce n’est pas la conférence de presse conjointe d’Angela Merkel et de François Hollande à l’issue de leur croisière danubienne qui risque d’inverser l’humeur. Au-delà de la mise en scène, le «moteur franco-allemand» apparaît grippé, d’autant que les deux dirigeants devront faire face en 2017 à leurs redoutables échéances électorales respectives.

Le maître de l’Elysée a pour sa part pointé son nouvel ennemi : «le populisme», un terme qui désigne désormais l’hostilité à l’intégration européenne. Face à cette hydre redoutable, les dirigeants européens, lit-on dans la «déclaration de Bratislava», s’engagent à «offrir à nos (sic !) citoyens une vision attrayante de l’UE qu’ils pourront soutenir».

Bon courage…

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