Jacques Sapir est directeur d’Études à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales, dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS), le groupe de recherche IRSES à la FMSH

Sondages : les souverainistes majoritaires ?

Sondages : les souverainistes majoritaires ?© Patrick Kovarik Source: AFP
Alain Juppé et Nicolas Sarkozy
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L'économiste Jacques Sapir dénonce le mécanisme des primaires qui vise à éliminer les candidats les moins conformes au système et analyse les chances des candidats actuels, à droite comme à gauche.

Les sondages concernant les candidats, potentiels ou avérés, à l’élection présidentielle d’avril 2017 se succèdent désormais à un rythme rapide. Quels que soient les doutes, ou la méfiance légitime, que l’on peut avoir à leur sujet, et cela tient tant aux questions posées, aux hypothèses de construction, qu’au fait que les écarts d’incertitude sont rarement mentionnés, ces différents sondages témoignent d’une atmosphère politique particulière, et qui semble appelée à s’enraciner d’ici l’élection. Cette atmosphère permet de comprendre des manœuvres de coulisse, de basse cuisine comme l’on dit, qui tendent, elles aussi, à s’accélérer.

Les souverainistes majoritaires ?

Le premier point que l’on peut tirer de ces différents sondages est qu’une majorité de Français, peut-être même une majorité absolue, s’apprête à voter au premier tour pour des candidats que l’on qualifiera de souverainistes.

Jean-Luc Mélenchon, qui entend faire de l’élection présidentielle un «référendum» sur les traités européens, est désormais crédité d’entre 13% et 15% des intentions de vote. On peut penser qu’il n’est pas au bout de son potentiel. Nicolas Dupont-Aignan obtient désormais entre 6% et 8% (voire plus), et lui aussi semble avoir un important potentiel de votes. Quant à Marine le Pen, elle est créditée de 26% à 31% de ces intentions de vote. Cela fait de 45% à 54% du total de ces intentions. Bien sûr, la question du report de voix est un autre problème, tout comme on peut penser que certaines des voix qui se seront portées sur d’autres candidats sont, en réalité, des voix «souverainistes». Mais, il est aujourd’hui clair qu’il y a plus de 50% des Français qui sont en faveur de ce que l’on appelle les «thèses souverainistes», et cela en dépit d’attaques et de caricatures venant tant du P«S» que des «Républicains».

Il convient de prendre la mesure de ce qui est un changement capital dans les intentions de vote. Cela signifie qu’une majorité des Français a intégré le basculement dans le contexte politique qui s’était produit à l’été 2015, lors de l’affrontement entre la Grèce et les autorités européennes. Ce basculement a certainement été accéléré par les conséquences des attentats de novembre 2015 et de juillet 2016, les flux de réfugiés, tout comme l’on peut penser que la mobilisation contre la «loi travail», dite aussi «loi El-Khomri», a décillé les yeux de certains et a fait prendre conscience de l’effet destructeur des institutions européennes. Nous sommes entrés, depuis l’été 2015, dans un «moment souverainiste» et ce moment politique, qui se traduit par la domination de la question de la souveraineté et de la Nation sur l’ensemble des autres, se poursuivra certainement jusqu’à l’élection présidentielle.

Le P«S» vote Juppé ?

Dans ce contexte, les réajustements qui surviennent au sein des autres forces politiques deviennent extrêmement révélateurs. Le discours du Président de la République salle Wagram le 8 septembre, discours dont on a rendu compte par ailleurs, éclaire la stratégie qui est en train d’être adoptée au sein d’un parti largement discrédité. Le Président s’est posé en défenseur de l’Union européenne face au «nationalisme». C’est mettre les points sur les «i».

Mais, cette UE est à l’agonie, comme l’on vient de le constater avec le sommet de Bratislava, qui devait décider du futur de l’UE sans le Royaume-Uni. La lecture du communiqué final montre à quel point les pays sont divisés. Rien de sérieux n’est sorti de ce sommet, et cela n’est nullement étonnant. Les maux dont elle souffre, que ce soit en économie ou dans ses pratiques politiques, ne sont que la traduction directe de ce pour quoi elle a été construite.

Dès lors, il convient de s’interroger sur la posture qu’affecte prendre François Hollande. Défendre l’UE, alors que l’on est le Président le plus honni de l’histoire de la Ve République, alors que près de 88% des Français ne souhaitent pas qu’il se représente à l’élection, ne peut avoir qu’un sens : préparer la place pour un candidat des «Républicains» en le faisant passer pour le moindre mal.

C’est bien à cela que travaille en réalité l’équipe présidentielle, et elle a fait clairement son choix, préférant Alain Juppé à Nicolas Sarkozy. On en a eu des éléments de preuve dans le comportement assez indigne (mais pour tout dire habituel) de certains journalistes lors de l’émission sur France2 L’Emission Politique du jeudi 15 septembre. Mais il n’est pas dit que ce nouveau remake d’un classique du film d’horreur, Le retour de la momie, rencontre le succès espéré. La pugnacité de Nicolas Sarkozy pourrait bien ici faire la différence, du moins à la primaire. C’est pourquoi, il est probable que de nombreux socialistes, ou plus exactement des «hollandistes» ou des «solfériniens», comme les avait appelés Jean-Luc Mélenchon, aillent perturber ce vote, afin de faire passer Alain Juppé. Car, qu’il s’agisse de Sarkozy ou de Juppé, ils sont l’un et l’autre confits dans la dévotion aux institutions européennes.

L’escroquerie de la primaire

On a déjà dit tout le mal que l’on pouvait penser de ce mécanisme, dénoncé avec talent par Alexis Corbière dans un livre récent. En fait, il ne s’agit pas d’un mécanisme de sélection, mais un mécanisme d’élimination des candidats les moins conformes au profit de ceux qui ont la préférence des états-majors. On le constate tant à «gauche» que chez les «Républicains». Le fait que n’importe qui puisse aller, moyennant une somme modique et la signature d’une «charte» ou d’une liste de valeurs qui n’engage en réalité que qui l’a écrite, tant à la primaire du P«S» qu’à celle des «Républicains», fausse complètement le partie prétendument «démocratique» de cette primaire. On le voit à «gauche» où, si l’on s’en tenait strictement aux électeurs adhérant aux principes de cette dernière, ce serait Jean-Luc Melenchon qui sortirait vainqueur. Mais, la primaire est piégée par son ouverture aux électeurs de l’autre camp. Le sondage Odoxa le montre bien, qui indique une préférence pour Emmanuel Macron si l’on fait intervenir TOUS les Français. La même chose se produit quant à la primaire des «Républicains» ou Alain Juppé risque d’être vainqueur uniquement parce que des électeurs de gauche se seront déplacés pour voter pour lui.

On mesure donc le côté pervers du mécanisme des primaires, qui n’est qu’un mécanisme de pseudo-légitimation de choix déterminés de manière non-démocratique. Et l’on comprend, et approuve, la décision de Jean-Luc Mélenchon de ne pas se soumettre à ce mécanisme, tout comme on comprend et approuve la décision de Nicolas Dupont-Aignan de ne pas se présenter à la primaire du «centre et de la droite».

Pour qui ne pas voter

Cependant, les «primaires» auront eu l’avantage de désigner des candidats potentiels pour qui on ne pourrait, en logique comme en conscience, voter. Ce sont tous les candidats «européistes», qu’il s’agisse de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande (s’il arrive en dépit de tout à se présenter), d’Alain Juppé ou d’Emmanuel Macron qui nous promettent, l’un en vieux et l’autre en jeune, exactement le même programme, de François Fillon ou de Bruno Le Maire.

Ces candidats ont ceci en commun qu’ils portent le même programme de renoncement et de capitulation face à la finance internationale, face aux institutions européennes. Ils portent le même programme d’austérité, de désindustrialisation et de criminalisation des luttes sociales. Ne nous y trompons pas : la véritable extrême-droite aujourd’hui en France, ce sont eux qui la représentent.

Sourcerusseurope.hypotheses.org

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