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Juan Manuel Santos, prix Nobel de la paix 2016, vient allonger une liste de lauréats controversés

Juan Manuel Santos s'est vu remettre le prix Nobel pour ses efforts de paix avec les Farc, malgré le rejet de l'accord négocié avec le groupe par la population colombienne. Retour sur des attributions de ce prix, très politique, parfois surprenantes.

Juan Manuel Santos, le président dont le peuple refusa la paix

Le dernier prix Nobel de la paix a été attribué au président colombien Juan Manuel Santos pour avoir conclu un accord avec la guérilla marxiste des Farc pour clore un conflit durant depuis plus de 50 ans.

Néanmoins, l’accord de paix a été rejeté de justesse par la population colombienne lors du referendum du 2 octobre. Mais, pour le président du comité Nobel norvégien Kaci Kullman Five, «le fait qu'une majorité des votants ait dit non à l'accord de paix ne signifie pas nécessairement que le processus de paix est mort». Malgré cela, il reste «un vrai danger que le processus de paix s'interrompe».



Barack Obama, «premier prix Nobel virtuel»

Le choix de récompenser le président américain du prix Nobel en 2009, a tout de suite suscité des controverses. En premier lieu parce que Barack Obama était en poste depuis 12 jours seulement. Le jury d'Oslo avait alors porté à son crédit le fait que le nouveau président avait «créé un nouveau climat dans la politique internationale» et ses «efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération internationales entre les peuples».

Des mots et des intentions très louables mais dont même le magazine américain Newsweek s'amusait alors, évoquant le «premier prix Nobel virtuel» de l'Histoire. Au milieu d'un concert de louanges de la part de personnalités politiques, certaines voix s'étaient faites discordantes, à l'instar de Lech Walesa, lui même lauréat en 1983, qui avait jugé la récompense prématurée.

Huit ans plus tard, le conflit israélo-palestinien n'est pas résolu, l'armée américaine intervient toujours dans de nombreux conflits dans le monde (en Irak, en Libye, en Syrie et en Afghanistan). En outre, les Etats-Unis attribuent toujours un budget de près de 600 milliards de dollars au département de la Défense, soit presque 40% de toutes les dépenses mondiales en matière militaire.

L'Union européenne, 60 ans de «paix»

En 2012, le comité norvégien décide de récompenser l'organisation supranationale. Selon le jury, l'Union européenne a contribué «pendant plus de six décennies, à l'avancement de la paix et de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l'homme en Europe» et «fait passer l'Europe d'un continent de guerre vers un continent de paix».

Si l'on considère le «continent européen», c'est alors sans compter la guerre de Yougoslavie où l'OTAN et l'Union européenne ont eu leur part. De 1991 à 1999, le conflit a fait plus de 300 000 morts, dont deux tiers de civils, et quatre millions de déplacés. Deux ans après avoir reçu le prix, un nouveau conflit qui allait faire des milliers de morts parmi les civils éclatait aux portes de l'Union européenne. Alors que cette dernière tentait d'attirer l'Ukraine au sein de sa sphère d'influence, et face aux réticences du gouvernement en place, les émeutes embrasèrent le Maïdan, facilitant un coup d'Etat et menant à la guerre civile dans l'est du pays.

Par ailleurs, les interventions occidentales auxquelles de nombreux pays ont pris part et que la diplomatie européenne a légitimées, ont déstabilisé des pays comme la Libye, provoquant une vague migratoire sans précédent. Pendant ce temps, l'austérité allemande et la politique monétaire de la Banque centrale européenne, prenant pour certains la forme de guerre économique, semaient le chaos social. Au moment où le prix Nobel était attribué à l'Union européenne, l'Espagne, le Portugal et la Grèce étaient en proie à de violentes manifestations, parfois des émeutes.

Arafat, Peres et Rabin, un moment de répit

Le millésime 1994 était attribué à trois frères ennemis – Yasser Arafat, président de l'Organisation de libération de la Palestine, Itzhak Rabin, Premier ministre israélien et Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères de l'état d'Israël,– afin de saluer leur rôle dans l'aboutissement des accords d'Oslo, signés un an plus tôt. Le processus de paix d'Oslo avait alors suscité de grands espoirs au sein de la communauté internationale afin de régler le conflit palestinien. Ces espoirs furent douchés avec l'assassinat du chef de l'exécutif israélien, en 1995, puis une seconde fois un an plus tard, lorsqu'il s'est avéré impossible de résoudre la question du statut de Jérusalem et des réfugiés palestiniens.

L'octroi du prix à Yasser Arafat, dénoncé par certains comme un terroriste impénitent, a aussi suscité la controverse, le journal israélien The Times of Israel allant jusqu'à le qualifier en 2012 de «pire prix Nobel de tous les temps».

Vingt-deux ans plus tard, le conflit israélo-palestinien n'est toujours pas réglé et, tandis que les colonies israéliennes se multiplient dans les territoires occupés. En 2014, l'Etat hébreu a en outre lancé l'opération «Gardien de nos frères» sur la Bande de Gaza, effectuant plus de 200 raids aériens.

Al Gore, quand le prix Nobel rend fou

En 2007, le comité d'Oslo a décidé d'accorder le prix Nobel de la paix au malheureux candidat à l'élection présidentielle américaine mais aussi fondateur d'un fonds d'investissements et négociant en certificats d'émissions de CO2, les fameux permis de polluer échangeables sur les marchés financiers.

«Il est probablement la personne qui a fait le plus pour susciter une prise de conscience planétaire des mesures nécessaires» pour lutter contre le réchauffement climatique, estimait alors le jury norvégien.

Mais l'attribution de ce prix Nobel a soulevé de nombreuses critiques. A commencer par le fait qu'Al Gore ne s'appliquait pas à lui-même les préceptes qu'il recommandait au reste de la planète. En 2006, la presse révélait ses exorbitantes factures de gaz et d'électricité nécessaires pour alimenter et chauffer sa demeure de 20 pièces et son pool house.

Néanmoins, Al Gore allait devenir un véritable gourou de la lutte contre le réchauffement climatique, notamment grâce à son documentaire Une vérité qui dérange. En 2004, il avait déjà amassé cinq milliards de dollars en investissements et devenait membre du comité de direction d'Apple et conseiller auprès de Google.

Muhammad Yunus, l'as du microcrédit

En 2006, le jury d'Oslo montra son intérêt un concept qui faisait fureur dans les cercles occidentaux favorisés et émus par les bonnes actions dans le Tiers-monde - tant que personne ne renonce complètement à l'économie de marché. C'était l'avènement d'un «entrepreneur social» du Bangladesh, Muhammad Yunus.

Ce dernier créa en 1983 la Grameen Bank, ou «banque des villages», avec l'idée que des petits prêts, les «microcrédits» permettraient de sortir de la misère des millions de Bangladais. La banque coopérative appliquait à des problèmes sociaux les méthodes de gestions des grandes entreprises mais l'ensemble des profits était destiné à être réinvesti. Cependant, en novembre 2010, la télévision norvégienne diffusa un documentaire qui accabla le lauréat du prix Nobel : le système de microcrédit y était d'une part fortement remis en cause dans son efficacité même mais Muhammad Yunus y était accusé d'avoir détourné une aide de l'agence gouvernementale d'Oslo.

La justice bangladaise estima pour sa part que la banque de microcrédit avait outrepassé ses attributions. Alors que l'Etat bangladais le limogea et tenta de prendre le contrôle de la Grameen Bank, le prix Nobel dénonça la spoliation d'une institutions financière dont les «actionnaires» sont «huit millions de femmes pauvres».

Mahatma Gandhi, mort trop tôt

Gandhi est un cas un peu spécial : c'est là la non-attribution du prix Nobel au pacifiste qui a suscité la controverse. En 1948, le comité du prix Nobel lui-même était en effet vivement critiqué pour n'avoir pas désigné comme lauréat le Mahatma Gandhi, l'opposant à la colonisation britannique en l'Inde, connu pour ses méthodes non-violentes de résistance passive. Seulement voilà, Gandhi mourut avant l'attribution du prix. Et le jury norvégien ne peut remettre son prix qu'à des lauréats vivants. Sous le feu des critiques, le jury avait décidé, finalement, dans une demi mesure, de ne récompenser... personne.

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