En plus de devenir une «révolte du peuple contre les élites», le Brexit a donné lieu à celle d'hommes «hauts en couleur», comme Boris Johnson, contre «l'insupportable grisaille» des politiciens européens, affirme l'historien John Laughland.
La colère des élites européennes devant le Brexit est palapable. A peine la nomination de Boris Johnson comme Secrétaire au Foreign Office (Ministre des Affaires Etrangères) annoncée, le couple franco-allemand a répliqué avec une salve de canon très peu diplomatique. En effet, les homologues français et allemand du nouveau ministre britannique se sont livrés à des attaques personnelles dures contre l'homme politique le plus connu d'Angleterre.
Pour Jean-Marc Ayrault, ancien premier ministre et actuel ministre français des affaires étrangères sous le président de la République le plus détesté de toute l'histoire de France, Boris Johnson a «beaucoup menti aux Britanniques» et il est aujourd'hui «au pied du mur».
Pour Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des affaires étrangères, avec lequel Ayrault veut maintenant «relancer l'Europe» (ce n'est pas une blague) Boris Johnson serait un des ces «politiciens irresponsables qui ont d'abord séduit les Britanniques à voter pour le Brexit et ensuite, quand le résultat a été connu, au lieu de prendre ses responsabilités, est parti jouer au cricket». Steinmeier trouve cela «très honnêtement, monstrueux».
Ces actes d'impolitesse sont le fruit d'une haine de la part de vieux politiciens de gauche à l'égard d'une étoile montante de droite
Il est vrai que Boris Johnson a joué au cricket le 26 juin chez le frère de feu Lady Di. Ce match est un événement annuel où des célébrités sont invités pour récolter de l'argent pour les oeuvres de bienfaisance. On se demande combien d'argent le ministre Steinmeier a récolté ce weekend-là. L'adjectif «monstrueux» est monstrueusement déplacé par rapport à un jeu qui est d'une si grande élégance, d'autant plus que Johnson n'a précisément pas fui ses responsabilités: comme noueveau chef de la diplomatie britannique, il sera au contraire amené à les assumer on ne peut plus pleinement.
Comme si tout cela n'était pas assez, le nouveau ministre a été hué à l'ambassade de France à Londres à la fin de son premier discours comme ministre : Les hueurs sont diplômés de quelle école de diplomatie ? Quel autre politicien européen oseraient-ils traiter de la même manière ?
En réalité, ces actes d'impolitesse prononcée sont le fruit d'une haine acerbe de la part de vieux politiciens de gauche à l'égard d'une étoile montante de droite qui vient de remporter un très grand succès électoral et démocratique, en dénonçant les dérives anti-démocratiques dont ils sont eux-mêmes les auteurs et le symbole.
Et de quels mensonges s'agit-il, selon Ayrault? Il pense sans doute au chiffre de 350 millions de livres par semaine dont les partisans du Brexit disaient qu'il pouvait être affecté au système national de santé britannique. Les partisans du maintien ont affirmé que ce chiffre était faux, car le Royaume-Uni bénéficie d'un rabat ce qui fait que sa contribution nette n'est «que» 250 millions par semaine. Mais le rabat pour chaque année n'est remboursé que quatre ans plus tard. C'est à dire que cet argent, la somme de 350 millions de livres par semaine, est effectivement enlevé du budget britannique pour être affecté à Bruxelles; ensuite, et après un calcul long et complexe, une partie de cet argent est remboursé. Quand le Royaume-Uni ne sera plus membre de l'UE, la totalité de cet argent appartiendra au budget du gouvernement britannique qui pourra le dépenser comme il voudra. Où est le mensonge ?
Ce que Steinmeier n'a pas compris c'est que Johnson agissait de manière très british face à la grande victoire électorale qu'il venait de remporter
Le mensonge, il est dans la bouche de ceux qui affirment, à l'instar des ministres Ayrault et Steinmeier, que l'Union européenne protège la croissance et la sécurité des Européens ; que les traités européens ne menacent pas la souveraineté nationale ou la démocratie ; qu'il n'y a pas de lien entre terrorisme et islam et que les communautés issues de l'immigration sont bien intégrées parce que l'Europe, c'est les droits de l'homme; ou que ces problèmes peuvent être combattus et réglés avec une intégration européenne encore plus étroite qu'avant.
En réalité, ce que Steinmeier reproche à Boris Johnson quand il l'appelle «monstrueux» («ungeheurlich» en allemand), c'est son insouciance apparente. Or, ce que Steinmeier n'a pas compris, et ne peut pas comprendre, c'est que Johnson agissait de manière très british face à la grande victoire électorale que, il faut le répéter, il venait de remporter. Laissant de coté l'indélicatesse que Johnson aurait commise s'il avait annulé son rendez-vous sportif pris de longue date chez Lord Spencer, qui de plus est un rendez-vous annuel, son geste s'inscrit dans une longue tradition britannique d'insouciance affichée devant les grandes victoires ou les moments de destin.
Bien évidemment, ce goût de l'humour n'est pas du tout la tasse de thé des Allemands
On pense à Sir Francis Drake qui a terminé sa partie de boules avant d'affronter la Grande Armada en 1588. On pense où au Duc de Wellington qui aurait opiné après la victoire contre Napoléon à la bataille de Waterloo que «Ce fut une course très serrée» comme s'il venait de gagner un jeu de cartes. On pense aussi à Sir Winston Churchill qui partait peindre au Maroc pendant la Seconde Guerre Mondiale. On pense finalement aussi à David Cameron qui fredonnait une petite mélodie après avoir annoncé qu'il quittait le 10 Downing Street dans les 48 heures.
Cette insouciance est une spécialité des anciens élèves d'Eton comme Johnson, Cameron et le Duc de Wellington. Si on y apprend une chose, c'est de ne jamais se vanter de son succès mais au contraire de le prendre à la légère. Ils font comme si tout leur arrivait par hasard. Le mieux, c'est de plaisanter sur son propre succès, voir à se tourner en autodérision, une autodérision pratiquée à l'extrême par Boris Johnson dont les clichés embarrassants et drôles ont fait le tour du monde.
Bien évidemment, ce goût de l'humour n'est pas du tout la tasse de thé des Allemands. C'est même insupportable pour un représentant de ce peuple bien connu pour son côté lourdaud. Et pour un homme suffisant aux lèvres pincés comme Ayrault, il est intolérable de voir les valeurs qu'il incarne piétinées par des blagueurs; il est encore plus inacceptable qu'un homme qui prétend être un bouffon s'est avéré son vainqueur en politique, lui ayant en vérité infligé une grande défaite.
Le Brexit, ce n'est pas seulement la révolte du peuple contre les élites. C'est aussi la révolte d'hommes hauts en couleur, tels Boris Johnson ou Nigel Farage, contre l'insupportable grisaille des hommes comme Jean-Claude Juncker - celui même qui s'est ridiculisé involontairement en annonçant beaucoup trop tôt que Johnson quittait la scène politique. Le Brexit, c'est la victoire de l'humour contre l'ennui et la platitude bruxellois. Aux déclarations pleines d'amertume de Steinmeier et d'Ayrault, l'Angleterre répond: «Rira bien qui rira le dernier».
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