Le rapport sur la guerre en Irak de John Chilcot ne fait pas de révélations inattendues mais atteste et confirme les faux prétextes de l'intervention, estime le chercheur et écrivain Alexandre Del Valle.
RT France : Quelles seront les conséquences de la publication du rapport Chilcot pour la Grande-Bretagne ? Serait-il possible que le pays soit poursuivi en justice ?
L’Angleterre est un Etat particulièrement souverain, qui comme les Etats-Unis n’a pas l’habitude de se laisser juger par des instances internationales
Alexandre Del Valle (A. D. V.) : On n’est pas sûr que les conséquences soient dramatiques d'un point de vue juridique parce que c’est très compliqué d’aller au devant de la justice internationale.
L’Angleterre est un Etat particulièrement souverain, qui, comme les Etats-Unis n’a pas l’habitude de se laisser juger par des instances internationales, comme on l’a vu avec notamment le Conseil de l’Europe, où l’Angleterre a tenu tête à plusieurs jugements. Par contre, il est clair que l’image tant des conservateurs que des travaillistes - qui étaient en faveur de différentes guerres, et notamment la guerre en Irak de 2003 - peut effectivement être ternie, de même que celle de George Bush a déjà été ternie auparavant. Mais on savait que George Bush, avec la complicité de Tony Blair, avait mis au point des documents falsifiés ou exagérant des rapports de qualité d’ailleurs assez basse pour diaboliser le régime afin de justifier une guerre, ça, aujourd’hui, ce n’est pas nouveau.
Même pendant la préparation de la guerre on savait que des rapports avaient été faits à partir de ragots, de rumeurs et de désinformation
Ce qui est nouveau c’est le fait qu’un rapport apparemment sérieux en atteste et le confirme. Mais tout cela on le sait depuis 2003, même pendant la préparation de la guerre on savait que des rapports avaient été faits à partir de ragots, de rumeurs et de désinformation. Il n’y a donc pas grand-chose de nouveau là-dedans.
RT France : Quelles sont les perspectives de poursuite envers Tony Blair ? Peut-il être poursuivi en justice pour crime de guerre?
A. D. V. : Les juridictions internationales, comme on l’a souvent vu avec l’Etat d’Israël - ou un juge, comme on l’a vu en Espagne ou en Belgique - ont une sorte de tradition depuis une quinzaine d’années : essayer de soulever la justice internationale à partir de la saisie d’un cas dans leur propre pays pour invoquer, au nom de complicité de crime de guerre ou autre, la culpabilité d’une personne, même en dehors de leur pays. Cela peut se faire mais encore faut-il ensuite y parvenir et convaincre d’autres pays.
Un juge peut donc prendre une telle initiative, peut-être qu’un juge va saisir une juridiction nationale ou internationale pour juger Tony Blair, mais je ne vois pas sur quelles bases, parce que les hommes politiques, et ce souvent quand ils ont été les premiers responsables, ont des sortes de clauses ou d’exemptions liées au fait qu’ils ne sont pas forcément toujours au courant de ce qu’a fait le ministre en charge de l’information ou de la justice ou de la guerre ou de l’intérieur.
Il est presque impossible de condamner Tony Blair
C’est donc relativement compliqué mais peut effectivement ternir l’image de Tony Blair si un juge l’inculpe. Mais ensuite pour mener à bien une inculpation et la traduire en condamnation puis en incarcération, le parcours est très très compliqué, surtout que les anciens chefs d’Etat ont beaucoup de moyens et de nombreux avocats.
Aucune justice et aucune police d’un pays occidental n’acceptera d’incarcérer Tony Blair
A mon avis, il est presque impossible de le condamner et c’est impossible de l’incarcérer. Mais cela pourrait effectivement faire du bruit. Dans le meilleur des cas, on pourra l’inculper. Ne parlons pas de la Cour pénale internationale, elle n’a jamais jugé que quelques Etats et chefs d’Etat africains. Les justices du style cour pénale de La Haye pour la Yougoslavie ou le Rwanda ont condamné quelques personnes. Aucune justice et aucune police d’un pays occidental n’acceptera d’incarcérer Tony Blair si tant est qu’il était véritablement inculpé même si on pouvait prouver qu’il avait commis une erreur.
RT France : Tony Blair a lui-même dit que le monde serait meilleur sans des individus comme Saddam Hussein. Est-ce une justification suffisante pour entamer une guerre ?
A. D. V. : Bien sûr que non, d’autant qu’il y a une dérive depuis une trentaine d’années à l’initiative de Bernard Kouchner et d’autres, qui au nom du droit d’ingérence, ou de ce que l’on appelle plus tard la responsabilité de protéger, on va réussir à ouvrir une brèche dans le droit international puisque tout Etat est souverain, on ne peut pas déclarer la guerre contre un Etat si celui-ci ne nous a pas agressé. Il est donc clair qu’il y a un vrai problème sur le plan du droit international. Le droit international ne permet pas ce genre de guerre tant que quelqu’un ne nous a pas agressé, même si le chef d'Etat est un dictateur. Mais au nom des droits de l’Homme, de la protection des minorités, et de la lutte contre les crimes et les génocides, il y a eu une dérive qui a permis à certains occidentalistes et même impérialistes d’utiliser ce prétexte des crimes contre l’humanité, pour en fait tout simplement intenter au principe du droit international qui est la souveraineté des Etats et l’autonomie des régimes.
Le droit international a été manipulé voire bafoué pour justifier une nouvelle forme d’interventionnisme néocolonial et impérialiste
Toutes ces erreurs des Américains, des Anglo-Saxons, et même des Français en Libye, qui ont renversé des gouvernements avec des guerres qui ont détourné souvent des résolutions de l’ONU. Pour l’Irak, une guerre a été accepté en 1990 mais la deuxième n’avait pas la couverture de l’ONU et surtout pour la Libye, c’est une décision de l’ONU qui a été entièrement détournée de sa justification pour ensuite aboutir au renversement d’un régime qui n’était pas du tout prévu dans la résolution. Le droit international a donc été manipulé, voire bafoué, pour en fait justifier une nouvelle forme d’interventionnisme néocolonial et impérialiste.
En Occident, les gens en ont assez de ces prétextes humanitaires pour déclencher des guerres qui aboutissent à pire
Une partie de la popularité de Trump, comme de Sanders, est justement la remise en question de l’interventionnisme. Même aux Etats-Unis, une grande partie de la population serait prête à voter pour des outsiders parce que le thème de la non-intervention est devenu populaire. De même en Occident, les gens en ont assez de ces prétextes humanitaires pour déclencher des guerres qui aboutissent à pire. Qui peut dire que la Libye est mieux aujourd’hui que sous Kadhafi ? Tout le monde reconnaît que c’est pire. On a tiré les leçons et ce sera beaucoup plus difficile dans le futur de mener ce genre de guerre.
Le retour de la Chine et de la Russie a quelque chose de positif, cela empêche les Occidentaux les plus impérialistes de faire n’importe quoi
Les printemps arabes qui sont devenus un hiver islamiste et un chaos ont montré les limites de cette dérive qui a été permise en fait par l’absence de la Russie. Le fait que la Russie a été absente dans les années 1990 et 2000, a permis un vide. Les Américains se croyant surpuissants et même hyperpuissants, sans contre-pouvoir, ont fait ce qu’ils ont voulu et l’Occident est devenu lui-même impérialiste. Aujourd’hui c'est le retour de Poutine et de la Russie comme puissance qui empêche les excès, qui rappelle l’orthodoxie du droit international et qui empêche de faire n’importe quoi comme on l’a vu en Syrie. Les Occidentaux voulaient renverser Bashar el-Assad et l’une des raisons pour lesquelles ils ne l’ont pas fait est le refus russe et chinois. Le retour de la Chine et de la Russie a quelque chose de positif, cela empêche les Occidentaux les plus impérialistes de faire n’importe quoi.
On en a assez de cet internationalisme qui a plein de belles idées mais qui aboutit à des guerres, à l’immigration incontrôlée, à une ingérence dans les affaires des autres
RT France : En ce qui concerne la politique extérieure britannique, pensez-vous qu’après le Brexit, le Royaume-Uni sera plus prudent dans ses agissements dans le monde ?
A.D.V. : Oui, parce que ceux qui ont voté pour le Brexit sont des gens que l’on appellerait souverainistes. Les souverainistes ne veulent pas faire la guerre à ceux qui ne les ont pas agressé. Le souverainisme est le contraire de l’interventionnisme. Les souverainistes sont pour la patrie, la nation, le fait de gérer leurs affaires chez eux. Mais en général les souverainistes de tous les pays sont d’accord pour ne pas empiéter sur les affaires des autres. Chacun doit être maître de sa zone.
Le Brexit confirme une tendance au retour aux Etats, un retour à la souveraineté des Etats
Sauf que c’est ce que l’on appelle un monde multipolaire et aux Etats-Unis comme en Hollande, en Hongrie, en Grèce ou en Grande-Bretagne, on en a assez de cet internationalisme qui a plein de belles idées mais qui aboutit à des guerres, à l’immigration incontrôlée, à une ingérence dans les affaires des autres. Je pense que le Brexit confirme une tendance au retour aux Etats, un retour à la souveraineté des Etats avec le constat que l’internationalisme et l’interventionnisme ont abouti à des dégâts bien pires que ceux qu’ils voulaient dénoncer.
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