La dynastie saoudienne a des aspirations impériales et suffisamment de moyens pour les satisfaire. L'analyste politique Catherine Shakdam se penche sur les bouleversements géopolitiques à venir.
Après avoir pendant plusieurs jours fait honte à l'Arabie Saoudite pour pointer du doigt les brutalités affreuses commises contre le Yémen, en particulier contre les enfants yéménites, l'ONU a été obligé de revenir sur sa décision en vue de calmer la colère de Riyad. Voici le «meilleur» des mondes dans lequel nous vivons !
Tout a commencé quand l'ONU a publié plus tôt ce mois-ci un rapport indiquant plusieurs cas d'abus et de violences perpétrés envers les enfants dans les zones de conflit, au Yémen, dans le cas du royaume. D'après le rapport long de 40 pages, rédigé principalement par Leila Zerrougui, représentante spéciale de l'ONU pour les enfants et les conflits armés, la coalition dirigée par l'Arabie Saoudite a été responsable d'à peu près 60% des 1 953 enfants morts et blessés depuis l'année dernière.
Personne ne peut se permettre de critiquer le Royaume d'Arabie Saoudite ! Même le ciel ne tolérerait pas une telle traîtrise.
Même si les conclusions de Leila Zerrougui ont certainement gêné l'Arabie Saoudite, en qualifiant le royaume de «criminel en série violant les droits de l'Homme», ces conclusions n'étaient pas vraiment une surprise. Le chemin suivi par l'Arabie Saoudite laisse depuis longtemps à désirer, que ce soit au Yémen ou même à l'intérieur de ses propres frontières.
Bien sûr que Riyad ne pouvait pas laisser sans conséquences un tel crime de «lèse-majesté» de la part de l'Organisation des Nations unies. Personne ne peut se permettre de critiquer le Royaume d'Arabie Saoudite ! Même le ciel ne tolérerait pas une telle traîtrise.
Alors le royaume a forcé l'ONU à retirer son compte-rendu initial, demandant que son nom ne figure plus sur la liste noire déshonorante des violeurs des droits de l'Homme.
Même si je pense que beaucoup de pages seront noircies sur le rôle de l'Arabie Saoudite dans la désintégration du Yémen, je préférerais regarder au-delà de ce nouveau scandale politique en me concentrant plutôt sur ses implications.
Nous avons rarement l'occasion de voir un changement politique d'une telle envergure. L'année 2016 se veut une telle année de changements dramatiques et regroupements politiques que les puissances occidentales, ces pays profondément en faveur de la mondialisation, ceux qui à l'époque traçaient la carte politique du monde, pourraient bientôt être réduits à jouer les seconds rôles derrière la dynastie saoudienne.
Je peux me tromper, bien sûr, mais c'est comme ça que je vois ce nouveau dégel entre l'ONU et l'Arabie Saoudite.
Riyad, qui n'est plus un acteur timide que les puissances occidentales peuvent exploiter, voudrait que le monde marche sous sa houlette. Et pourquoi pas ?
Depuis le décès du Roi Abdallah Al Saoud début 2015, le royaume est passé du partenaire politique taciturne de l'Ouest à un pays qui se fait entendre et aspire à devenir une superpuissance. Le Prince Mohammed ben Salmane ayant pris le relais – ne prétendons pas qu'il ne l'a pas fait – la santé du Roi Salmane étant assez instable, le royaume s'est transformé en une puissance avide et impériale avec un ego sans limite et le chéquier qui va avec.
Riyad, qui n'est plus un acteur timide que les puissances occidentales peuvent exploiter, voudrait que le monde marche sous sa houlette. Et pourquoi pas ? Riyad a financé assez de pays pour que ses dirigeants estiment y avoir droit !
Je ne suis pas un grand fan des Saoudiens, mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'un pays fasse les chèques alors que les nations occidentales jouent à Risk. Si on a affaire avec le diable, il viendra au final prendre ce qui lui revient !
Comme je le vois, nous assistons à une tragédie grecque classique – le conte du fils supprimant son père pour mieux trouver sa place au Soleil. Le Soleil doit certainement briller de pleins feux à Riyad, et le Prince Mohammed ben Salmane n'est pas partageur.
Je vous conseillerais vivement de NE PAS sous-estimer la capacité de l'Arabie Saoudite à causer de graves préjudices à ses amis de l'Occident, si elle choisit d’enseigner à ses partenaires politiques turbulents à s'incliner devant les ambitions hégémoniques croissantes de Riyad.
Si les Saoudiens ont souvent eu des «conflits» avec l'ONU – quel pays n'en a pas eu – je ne pense pas que le royaume ait jamais été aussi déterminé à nuire à cause d'une offense perçue.
La réponse de l'Arabie Saoudite à l'ONU en juin prochain devra donner le goût des choses à venir. Et je ne parle pas des baklavas.
Indignés pas ce geste de défi de l'ONU, d’importants diplomates saoudiens ont prévenu lundi que le royaume prendrait des mesures radicales contre l'organisme international, si son nom reste inscrit sur la liste noire des droits de l'Homme de l'ONU. Riyad a prévenu :
1. Rompre les liens avec l'ONU et appeler ses partenaires arabes à faire de même. Compte tenu du fait que les pays du Conseil de Coopération du Golfe et certains autres pays arabes – tous d’importants producteurs du pétrole – font comme le royaume, une telle mesure mettra à rude épreuve les relations diplomatiques internationales.
2. Couper le financement de toutes les agences de l'ONU. C'est probablement cette mesure-là qui fera le plus de mal. Vous pouvez les haïr ou les mépriser, mais les Saoud ont du cash à dépenser, et l'ONU ne peut pas se permettre de perdre un tel généreux donateur.
«Les menaces ont été prononcées au cours d’échanges entre des hauts responsables saoudiens à Riyad, y compris Adel al-Joubeir, ministre des Affaires étrangères saoudien, selon les responsables basés à l'ONU»,écrit Foreign Policy.
Si les Saoudiens ont souvent eu des «conflits»avec l'ONU – quel pays n'en a pas eu – je ne pense pas que le royaume ait jamais été aussi déterminé à nuire à cause d'une offense perçue.
Si le Roi Abdallah souhaitait voir son influence confinée aux frontières de l'Arabie Saoudite, le Prince Mohammed ben Salmane a des aspirations pour le monde tout entier.
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