Dans une interview exclusive accordée à RT, l'ancien président yéménite, Ali Abdallah Saleh, a évoqué la situation actuelle dans son pays déchiré par la guerre, l’exil du président Abd Rabbo Mansour Hadi et l’implication de Riyad dans le conflit.
Alors que des négociations supervisées par l’ONU pour ramener la paix au Yémen après plus d’un an de conflit se déroulent au Koweït, l’ancien président yéménite, qui ne s'exprime que rarement dans les médias, a accordé une interview exclusive à RT.
Depuis le 21 avril, l'envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen, Ismail Ould Cheikh Ahmed, conduit, avec les parties impliquées dans cette crise, des négociations portant sur le retrait des groupes armés, la libération des prisonniers et l’instauration d’un processus de règlement politique au Yémen.
En septembre 2014, le Yémen est devenu l’épicentre d’une crise opposant le président Abd Rabbo Mansour Hadi et les rebelles houthis, une force d’opposition restée fidèle à l’ancien président yéménite déchu, Ali Abdallah Saleh. En mars 2015, l’Arabie saoudite a rejoint le conflit à la tête d’une coalition de pays arabes qui a commencé à bombarder les positions des rebelles. Depuis lors, le tout a dégénéré en un véritable conflit armé dans lequel plus de 6 400 personnes ont été tuées et plus de 30 000 autres blessées, selon les chiffres de l’ONU. Le 10 avril 2016, un cessez-le-feu fragile est entré en vigueur.
RT : Nombreux sont ceux qui disent que la non-participation de votre parti, le Congrès universel populaire, au dialogue direct avec l’Arabie saoudite est une humiliation. Vous êtes allié avec le parti Ansar Allah, mais ses représentants sont partis négocier au Koweït sans vous…
Ali Abdallah Saleh (A.A.S.) : Ce qui est primordial, c’est d’obtenir la paix. Que les représentants d’Ansar Allah ou du Congrès universel du peuple participent au dialogue avec l’Arabie saoudite, n’est pas quelque chose d’important.
Nous sommes pour un cessez-le-feu total partout, dans tout le pays, en mer, sur terre et dans les airs. Mais nous parlons du conflit avec le régime saoudien et pas avec d’autres pays. Nous n’avons pas de différends ni de conflit avec d’autres pays que l’Arabie saoudite. Elle nous a attaqués et ce n’est pas le contraire. Ils [les Saoudiens] tuent nos femmes, nos vieillards et nos enfants. Pourquoi ? Nous n’avons jamais eu aucun différend religieux. Pourquoi sont-ils apparus ? Nous avons nos propres convictions religieuses, vous les vôtres. Pourquoi tuez-vous le peuple yéménite qui est votre voisin et votre frère ?
RT : Qui gouverne le Yémen à l’heure actuelle ?
A.A.S. : Ansar Allah pour le moment. Ils contrôlent déjà les institutions publiques. Abd Rabbo Mansour Hadi leur a «transmis» la responsabilité en fuyant le pays. Comment peut-on fuir le pays et ensuite, s’exprimer sur la légitimité ? Tu as quitté le pays pour l’Arabie saoudite. Puis les Saoudiens t’ont ramené à Aden où tu n’as pas été en mesure d’assurer ta propre sécurité. Et maintenant, tu commences à parler de légitimité, à donner des ordres depuis le soi-disant palais du Congrès à Ryad et à nommer un gouverneur… Mais pour quelle raison ? Tu n’as aucun droit légitime de le faire ! Tu n’as aucun droit parce que de facto, tu n’existes pas. Tu ferais mieux de te rendre au Tribunal international comme criminel de guerre. Je pourrai le justifier s’il affirme qu’il n’est pas lié à l’opération [de la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite] «Tempête décisive» qui, selon lui, a été organisée par le régime saoudien. Mais si tu demandes la prolongation de l’opération «Tempête décisive», tu es aussi un criminel de guerre. Rends-toi ! Que veux-tu gouverner ? Aden, Taïz, Al Hudaydah, Sanaa ? Tout est détruit là-bas. Qui veux-tu gouverner ? Ceux dont tu as tué les enfants et les femmes mais aussi détruit les maisons ? Tu nommes quelqu’un général, ministre ou gouverneur. De quel droit ? Conformément à la Constitution ? Tu n’as aucune légitimité !
RT : La guerre dure depuis plus d’un an. Sans doute, il n’y a plus beaucoup d’argent dans le budget yéménite pour les salaires des fonctionnaires et les services publics. Le pays produit-il quelque chose ?
A.A.S. : Il n’y a aucun revenu des impôts, la douane en génère un peu, mais c’est trop peu. Il n’y pas de pétrole, pas de gaz. On peut produire du gaz mais seulement pour les ménages, pas pour en exporter.
S’il y a du pétrole, il est contrôlé et vendu par Al-Qaïda à Hadramaout et à Shabwah.
RT : Ils vendent du pétrole à l’Etat ?
A.A.S. : Ils le vendent sur le marché intérieur. Al-Qaïda vend et reçoit de l’argent. Cela se passe sous les yeux du régime saoudien. Ils disent au monde qui ne veut rien comprendre : «Nous sommes contre Al-Qaïda.» Quel Al-Qaïda, quel Daesh ? Ils sont Daesh eux-mêmes, ils sont Al-Qaïda eux-mêmes. Tous connaissent ce régime. Il achète la conscience des gens en concluant des accords d’achat et de vente d’armes, des accords politiques, en payant les gens puissants dans différents pays du monde. Quelle est leur idéologie ? L’Arabie saoudite ne poursuit que ses propres intérêts.
RT : Pour le moment, dans les négociations au Koweït, l’envoyé spécial de l'ONU sur le Yémen essaie d’utiliser la moindre possibilité pour parvenir à un accord. Etes-vous optimiste à cet égard ?
A.A.S. : Nous devons être optimistes. Nous poussons aux concessions qui ne touchent pas à la souveraineté du Yémen ni à la dignité des Yéménites. Le dialogue politique, la nouvelle période de transition, la formation du nouveau gouvernement avec la participation de toutes les forces politiques. Ou le retour du gouvernement dirigé par Khaled Bahah qui a été reconnu et bénéficiait de la confiance de la Chambre des députés. Ce gouvernement rentrera, préparera les élections présidentielles et parlementaires. Nous ne nous y opposons pas.
Hadi a perdu sa légitimité, il n’en a plus aucune.
Je veux souligner que nous ne reconnaissons pas la division [du Yémen] en régions et n’appelons pas à cela. Nous nous prononçons pour l’unité du peuple yéménite, conformément à la Constitution et au référendum organisé sur l’unité [du pays]. Si quelqu’un a une grosse tête, elle restera grosse pour toujours. La question de l’unité est une question réglée et elle ne doit pas être discutée ni à Genève, ni au Koweït, ni nulle part. Le dialogue doit être mené avec le peuple yéménite.
RT : Des élections peuvent-elles avoir lieu si la sécurité n’est pas assurée ?
A.A.S. : Après son retour, le gouvernement de Khaled Bahah formera la commission de vote qui préparera les élections. Des élections démocratiques avec la participation de toutes les forces politiques auront lieu sous la protection de la résolution 2216.
RT : Si la résolution 2216 est appliquée, des casques bleus, des forces internationales doivent être présentes.
A.A.S. : J’ai des remarques sur la rencontre au Koweït. Des commissions des représentants d’Ansar Allah et du Congrès universel populaire se forment. Aucune objection. Mais ceux qui sont arrivés de Riyad n’ont aucun soutien. Qui les représentera ?
RT : Quels sont les dommages infligés au Yémen par les actions de la coalition arabe ?
A.A.S. : Les dommages s’élèvent à des milliards de dollars. J’ai des données statistiques sur le nombre de morts, de blessés et le montant des dommages matériels. Plus de 8 000 personnes tuées, dont beaucoup d’enfants, de femmes et de vieillards… Il s’agit des victimes civiles. Toutes ces personnes sont les victimes du régime saoudien.
Nous voyons qu’il s’agit d’une destruction totale. Nous sommes détruits par l’Arabie saoudite «fraternelle».
L’Arabie saoudite est souvent appelée «les Etats-Unis du Moyen-Orient». Ils se comportent comme les patrons du Moyen-Orient.
RT : Quid de l’immunité que vous ont accordé les pays arabes du Golfe ?
A.A.S. : Cette immunité ne fonctionne plus depuis le début de la guerre. Et elle n’est pas nécessaire. Je suis protégé par le peuple yéménite. Ma défense, c’est le peuple. Ma défense, c’est mon parti. Je suis prêt à le répéter 20 fois : «L’initiative arabe ne me donne pas l’immunité.» L’initiative arabe ne fonctionne plus, ni même la résolution de l’ONU 2216, conformément à laquelle Hadi est le président légitime du Yémen.
En conclusion, je voudrais dire que je souhaite la stabilisation la plus rapide possible au Yémen. Dès que cela se produira, je quitterai la politique. C’est assez. Je suis en politique depuis 45 ans déjà. Je souhaite que la stabilité et la sécurité règnent au Yémen.
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