RT : Vous avez souvent fait référence à la Russie comme à un ours qu’il ne faut pas toucher. Pourquoi utilisez-vous le terme ours russe pour faire référence à la Russie ?
Daniel Kawczynski (D. K.) : La Russie est un pays extraordinairement important et puissant, membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies et le comité des Affaires étrangères m’a chargé de faire un rapport sur les relations russo-britanniques. Je suis ravi d’être ici, à Moscou, pour discuter avec de nombreux interlocuteurs russes et britanniques afin de connaître leur point de vue sur la détérioration des relations russo-britanniques. J’ai entendu des choses très intéressantes. J’ai rencontré beaucoup d’hommes d’affaires britanniques ce matin lors d’un déjeuner d’affaires à l’ambassade et leur ai demandé s’ils étaient pour les sanctions contre la Russie. Bien sûr, aucun d’entre eux ne l’était. Les grandes entreprises britanniques considèrent que les sanctions européennes sont biaisées, irréalisables et illogiques. Il est très important que nous normalisions nos relations avec ce partenaire stratégique potentiel très important pour le Royaume-Uni et l’Occident. Donc notre travail est d’examiner la façon dont notre gouvernement gère ses relations avec la Russie. Je pense que notre gouvernement ne s’y prend pas comme il faut pour améliorer les relations avec Moscou et c’est pour cela que nous, parlementaires, sommes venus voir la situation sur place et en faire un rapport à notre parlement.
Les grandes entreprises britanniques considèrent que les sanctions européennes sont biaisées, irréalisables et illogiques
RT : L’Union européenne, et le Royaume-Uni en particulier, insistent pour prolonger les sanctions contre la Russie. Que pensez-vous qu’ils espèrent obtenir avec ces sanctions ? Sont-elles efficaces ou contre-productives des deux côtés ?
D.K. : Ce que mon gouvernement doit comprendre, c’est que les Ukrainiens ne respectent pas tous les aspects des accords de Minsk II. Nos médias sont très efficaces pour scruter et critiquer la Russie mais oublient les torts de l’Ukraine. Il est extrêmement important de mettre une fin logique et pratique à ces sanctions. Je ne pense pas que la Russie rendra la Crimée de mon vivant, et je pense que les Russes pensent que la Crimée fait partie intégrante de la Russie. Donc je suggère de travailler ensemble à l’exécution des accords de Minsk II, de travailler avec les Russes pour résoudre certains points litigieux des accords de Minsk, et de revenir aussi tôt que possible à des relations commerciales normales.
Les Ukrainiens ne respectent pas tous les aspects des accords de Minsk II. Nos médias sont très efficaces pour scruter et critiquer la Russie mais oublient les torts de l’Ukraine
Ce qui est incroyable ici, à Moscou, c’est le dynamisme de cette ville, la rigueur professionnelle des Russes et leur grande éthique du travail, le réel intérêt des Moscovites pour les échanges avec le Royaume-Uni. Une telle détérioration de nos relations est… Ce n’est pas dans nos intérêts ni dans ceux de la Russie. Nous avons eu beaucoup de réunions très productives aujourd’hui, au ministère des Affaires étrangères, nous avons rencontré monsieur Pouchkov, le président du comité des Affaires étrangères. Nous avons rencontré beaucoup d’interlocuteurs, ici, et notre rapport sur les relations russo-britanniques sera publié en septembre. J’insisterai sur la nécessité de surveiller encore plus notre gouvernement sur ce point. J’ai même mis au défi notre Premier ministre, dans la Chambre des Communes, en lui demandant ce qu’il faisait pour faire apaiser ces tensions avec la Russie. Nous ne voulons pas que cette dispute continue, nous voyons la Russie comme un partenaire potentiel très, très important.
J’ai [...] mis au défi notre Premier ministre, à la Chambre des communes, en lui demandant ce qu’il faisait pour faire apaiser ces tensions avec la Russie
RT : Vous avez peut-être remarqué que les médias russes sont très préoccupés par l’expansion de l’OTAN vers l’est. Que pensez-vous de la déclaration récente de l’ancien chef de l’OTAN, le général Richard Shirreff, où il dit que l’Occident et la Russie sont en marche vers la guerre.
D. K. : Tous ceux qui ne veulent pas faire baisser les tensions entre l’OTAN et la Russie jouent avec le feu. Nous avons entendu parler des tensions entre l’OTAN et la Russie, au-dessus des pays baltes. C’est une véritable poudrière et n’oublions pas que les deux côtés possèdent assez de bombes nucléaires pour s’exterminer l’un l’autre. Quand je pense à tous les efforts qui ont été fait quand j’étais enfant... Les tensions étaient tout aussi fortes sinon plus fortes avec l’Union soviétique. Mais les dirigeants occidentaux savaient et comprenaient qu’il était important de respecter les Russes, d’engager un dialogue avec eux et de faire un pas vers eux pour essayer de trouver un terrain d’entente. Je me souviens de la tension au sommet de Reykjavik et de tous ceux qui réunissaient l’Occident et l’Union soviétique. Mais ces générations ont persévéré. Ils étaient déterminés à rétablir des relations normales - et c’est ce que je veux faire. Mes collègues et moi-même voulons pousser notre gouvernement et montrer publiquement que, malgré toutes nos différences - et il y a d’importantes différences, culturelles notamment - dans notre façon de voir les choses, ne traitons pas la Russie en paria, alors que nous faisons marche arrière pour accommoder la Chine. C’est ce que m’a dit un homme d’affaires ce matin. N’est-il pas ironique que nous fassions marche arrière pour faciliter des échanges commerciaux avec la Chine et accommoder la Chine ? Beaucoup de personnes, dans ma circonscription, vous diraient que les violations des droits de l’homme et des lois internationales sont plus graves en Chine qu’en Russie. Donc relativisons les choses et faisons en sorte que nos dirigeants nous rendent des comptes et essayent d’engager un dialogue entre le président Vladimir Poutine et notre Premier ministre.
RT : En mars dernier le ministre britannique des Affaires étrangères, Philip Hammond, a déclaré que la Russie représentait une menace pour la communauté internationale. Que faut-il faire pour améliorer les relations entre la Russie et l’Occident et retrouver une sorte de dialogue et de confiance ?
D.K. : Cela prend des années de dialogue en face à face entre les dirigeants pour établir une sorte de confiance et de compréhension à ce niveau-là. Je suis politicien depuis maintenant 12 ans et je peux dire que cela nécessite beaucoup d’efforts et de réunions. C’est pour cela, d’ailleurs, que j’essaie d’organiser une autre délégation parlementaire qui viendra après vos élections parlementaires. Vous ne concluez pas un accord comme ça avec les Russes, vous devez venir et revenir les voir, pour leur prouver que vous voulez établir un dialogue sérieux avec eux, que vous leur montrez le respect qu’ils pensent –à juste titre- mériter en tant que puissance mondiale majeure et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Je ne suis pas d’accord avec mon propre ministre des Affaires étrangères sur ce point. Il m’a dit, il a dit devant la Chambre des Communes, que cela ne servait à rien de parler à Serguei Lavrov parce que nous ne sommes pas d’accord. Et j’ai dit : non, non, non ! Quelle terrible erreur de dire ça de nos jours. Bien-sûr que monsieur Lavrov n’est pas d’accord avec nous sur beaucoup de points, que ce soit la Syrie, les pays baltes ou d’autres choses, mais nous devons préserver le dialogue. Personne ne veut que les relations se dégradent d’avantage, certainement pas les jeunes gens de ma circonscription. Les gens auxquels j’ai parlé ne veulent pas de telles relations avec la Russie, ils veulent des relations stables avec ce pays.
Vous savez, je suis le seul député né en Pologne, je suis né à Varsovie, et j’ai dit à la Chambre des communes que personne ici n’avait plus de raisons d’être contre la Russie que moi. Mon grand-père possédait beaucoup de terres et a tout perdu sous le communisme. Mais je ne vais pas pour autant adopter une attitude hostile à l’égard de la Russie. L’ayant écouté me raconter les ramifications de la guerre, je comprends [ce que cela implique] pour cette génération aujourd’hui si nous ratons le coup avec la Russie. Si nous ratons le coup avec la Russie, nous allons sérieusement vers la confrontation. Et de nos jours, vous pouvez aisément imaginer quel en serait le résultat. Je ne veux pas de confrontation. Je veux un dialogue avec la Russie et, bien qu’être pour le dialogue avec la Russie ne soit pas à la mode ces temps-ci, mes collègues et moi-même continuerons de mettre au défi notre gouvernement sur ce point.
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