Ahmet Davutoglu, le Premier ministre turc, a déclaré que «la liberté de la presse ne devrait jamais nier le respect de la dignité humaine», et que les insultes proférées à l’encontre du président Recep Erdogan ne font pas partie de la liberté de presse. Dans le même temps, Reporters sans frontières a critiqué Ankara, déclarant que «toute personne écrivant quoi que ce soit de critique sur Erdogan [pouvait] être poursuivie en justice».
RT : En ce qui concerne les inquiétudes soulevées par Reporters sans frontières, Erdogan est-il en train de pousser le bouchon trop loin en essayant d’influencer ce qui peut être dit en Europe de lui et de la Turquie ?
Scott Griffen : Oui, je pense que c’est ce à quoi nous sommes en train d’assister. Cela fait un moment que cette situation en Turquie mijote. Près de 2 000 affaires pénales concernant des insultes faites à l’endroit du Président ont été recensées depuis l’arrivée d’Erdogan au pouvoir. On remarque désormais une exportation de cette approche pour faire taire la critique en Europe. On a d’abord vu cela avec l’affaire Jen Boehmermann en Allemagne. Malheureusement, la façon dont l’affaire a été traitée en Allemagne, par le gouvernement allemand, n’a pas établi un bon précédent.
Près de 2 000 affaires pénales concernant des insultes faites à l’endroit du Président ont été recensées depuis l’arrivée d’Erdogan au pouvoir
A l'image de ce qui vient d'être discuté en Suisse, à Genève – ce genre de cas risque de se produire de plus en plus souvent maintenant. Vraiment, il est exact que cela a commencé à l'intérieur de la Turquie avec ce genre de lois sur les insultes visant à éliminer toute critique du gouvernement et du président turc, il semble que les autorités turques sont en train d’adopter la même approche à l'égard des critiques du président Erdogan à l'étranger et cela est très important.
RT : Jusqu'à présent, nous avons vu des hommes politiques de l'Union européenne se plier aux pressions d'Ankara, comme l’a montré la chancelière Angela Merkel dans le cas du comédien allemand. Comment cela peut-il arriver ?
S. G. : Je ne dirais pas que le gouvernement [allemand] a cédé, mais je pense que ce n’était pas la bonne réponse, surtout quand la chancelière Merkel a dit à Erdogan lors d’une conversation téléphonique qu’elle avait ressenti que le poème était délibérément blessant. Ce n’est pas le genre de réponse publique au sujet de la liberté d'expression que nous voudrions entendre d'un chef d'Etat de l'UE. Parce que, je le répète, même si vous dites: «Eh bien, nous allons laisser les tribunaux allemands trancher», il y a maintenant une perception que ce type de situation est en quelque sorte acceptable, qu'il y a la place pour discuter si on peut être poursuivi pour cela ou non. C’est, selon nous, très dangereux.
En ce qui concerne l'utilisation des lois sur les insultes, je pense que ce que l’on cherche à atteindre est très clair : faire taire la critique contre lui
RT : En Turquie-même, qu’est-ce que le président Erdogan tente de réaliser avec cette politique de la répression et de peur, interpellant quiconque s’exprime de manière critique ?
S. G. : En ce qui concerne l'utilisation des lois sur les insultes, je pense que ce que l’on cherche à atteindre est très clair : faire taire la critique contre lui. Nous avons vu que ces lois sur les insultes avaient été employées pas uniquement contre les journalistes, mais en réalité contre un groupe de personnes très variées : universitaires, écoliers, gagnantes de concours de beauté... contre de simples citoyens.
C’est donc tout simplement une manière [...]de ne pas laisser les gens remettre en question ce que le gouvernement est en train de faire d’essentiel
Pourquoi une personnalité politique se tourne-t-elle vers ce genre de lois ? C’est une tentative de faire taire les critiques, de ne pas permettre de débattre à propos de certaines politiques qui sont menées en Turquie. Beaucoup de ces choses étaient en rapport avec la question kurde, ou avec la politique turque vis-à-vis de Daesh ou d’Etats étrangers.
C’est donc tout simplement une manière de mettre un terme au débat, de ne pas laisser les gens remettre en question ce que le gouvernement est en train de faire d’essentiel. Voilà pourquoi on a recours à ces lois... Ce sont des lois archaïques, qui visent à protéger ceux qui sont au pouvoir. C’est la seule raison qu’on peut y voir.
Tout le monde a le droit à la dignité et à la protection contre, par exemple, des accusations factuelles erronées, mais ce n'est pas ce dont il s’agit dans ce cas. Il s’agit des gens qui expriment leurs opinions sur ce que le gouvernement fait, ce que Erdogan fait, et comment la Turquie réagit à certaines questions de politique internationale.
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