John Laughland est un universitaire britannique spécialisé en géopolitique et philosophie politique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages traduits en sept langues.

Pour en finir avec «les Anglo-Saxons»

Pour en finir avec «les Anglo-Saxons»© Andy Rain Source: Reuters
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Le Royaume-Uni, partenaire privilégié des Etats-Unis ? La Chine et l'Arabie saoudite lui sont passées devant, estime l'analyste britannique John Laughland.

Il existe en France une habitude malencontreuse d'employer le terme «les Anglo-Saxons» pour désigner les Britanniques et les Américains comme un bloc, et pour insinuer que les Etats-Unis et le Royaume-Uni agiraient toujours ensemble sur la scène internationale et partageraient les mêmes valeurs.  Selon cette théorie, l'hégémonie américaine du XXe et du XXIe siècle ne serait que la continuation, sans interruption, de celle de l'empire britannique au XVIIIe et au XIXe siècle.

La visite actuelle du président Obama à trois pays, l'Arabie saoudite, le Royaume-Uni et l'Allemagne, devrait mettre fin, une fois pour toutes, à cette fausse lecture de la réalité internationale et de la culture politique des deux pays.

Le Royaume-Uni est un pays qui ne pèse presque rien dans le monde et dont il convient de parler avec condescendance

Tout d'abord, la tournée du président Obama prouve que le Royaume-Uni n'est absolument pas un partenaire privilégié pour les Etats-Unis, contrairement à ce que la classe politique britannique aime prétendre. Le dédain avec lequel Obama a parlé du Royaume-Uni dans sa conférence de presse au 10 Downing Street le 22 avril, quand il a dit que les Etats-Unis seraient trop occupés pour négocier un accord commercial séparé avec un Royaume-Uni qui aurait quitté l'Union européenne, a suscité indignation et colère en Angleterre. Nombreux sont ceux qui reprochent à Obama de vouloir imposer aux Britanniques une souveraineté réduite par l'UE que jamais les Américains n'accepteraient pour eux-mêmes. Nombreux aussi sont ceux qui répliquent que les Britanniques ne se sont jamais dits trop occupés pour aider les Américains dans leurs guerres. Mais la remarque du président Obama - qui ressemble étrangement à une insulte bien calculée - traduit très bien sa pensée, à savoir que le Royaume-Uni est un pays qui ne pèse presque rien dans le monde et dont il convient de parler avec condescendance.

Le pays européen qui compte pour les Américains, c'est l'Allemagne. Nous savons depuis la publication du long entretien qu’Obama a accordé à Jeffrey Goldberg à la revue The Atlantic en mars  qu'Angela Merkel est «un des très peu nombreux dirigeants mondiaux pour lesquels Obama a du respect». Cette attitude est certes arrogante mais elle traduit une vérité indéniable : les Etats-Unis raisonnent en termes de pouvoir et non pas en termes d'affectivité. C'est avec Berlin qu'Obama veut s'entendre sur le Pacte commercial transatlantique car l'Allemagne est, de loin, la plus grande puissance économique en Europe. Croire à une quelconque communauté d'esprit «anglo-saxonne» quand il s'agit d'un président américain issu de la communauté africaine est une pure fantaisie, d'autant plus que les fameux WASPs ne sont plus, et depuis au moins un demi-siècle, hégémoniques à Washington, pas plus qu'ils ne sont dans la société américaine en général. L'immigration massive aux Etats-Unis en provenance de quasiment tous les pays du monde sauf la Grande-Bretagne pendant les XIXe et XXe siècles explique, d'ailleurs, la raison pour laquelle, pour l'Américain moyen, un Britannique est tout aussi étranger qu'un Allemand ou n'importe quel autre Européen.

Les Etats-Unis raisonnent en termes de pouvoir et non pas en termes d'affectivité

Alliée principale des Américains pendant la guerre froide, et pilier principal de la politique américaine d'extension des structures occidentales (UE + OTAN) depuis 1991 - une politique qui s'apparente à la fameuse Mitteleuropa chère aux stratèges allemands du XIXe et du XXe siècle - l'Allemagne est en Europe la seule «nation indispensable» pour les Américains. Cette alliance américano-allemande est d'ailleurs très ancienne, les premiers rapports diplomatiques ayant été établis entre Washington et les Etats allemands, et notamment la Prusse, à la fin du XVIIIe siècle, précisément car les Etats-Unis nouvellement indépendants cherchaient des alliés contre un Empire britannique revanchard. Plus récemment, les Etats-Unis ont attendu décembre 1941 avant d'entrer en guerre contre l'Allemagne nazie, c'est-à-dire plus de deux ans plus tard que les Britanniques, et seulement après que Hitler leur avait déclaré la guerre.

Ensuite, la visite en Arabie Saoudite, où Barack Obama a été accueilli à l'aéroport non pas par le roi en personne, mais par le gouverneur de la capitale, a été largement interprétée comme la preuve que Washington ne privilégiait plus Riyad comme avant. Il est certainement vrai que Barack Obama, avant d'être élu président, avait ouvertement critiqué le régime saoudien. Jeffrey Goldberg, qui désapprouve l'accord nucléaire conclu avec le grand rival des Saoudiens, s'attarde longtemps dans son article sur les difficultés qui ont empoisonné les rapports arabo-américains sous Obama. En renouant avec Téhéran, le président Obama aura effectué un tournant historique dans la politique étrangère américaine, comparable à son abandon de cinquante ans de sanctions contre Cuba, pays qu'il a ensuite été le premier président américain depuis 1928 à visiter. Sans doute les Saoudiens espèrent que les vieilles habitudes reprendront, une fois la parenthèse Obama refermée. Ils se trompent peut-être, car la non-publication des 28 pages du rapport dans les attaques terroristes du 11 septembre, qui parleraient de l'implication du régime saoudien dans le réseau d'Osama bin Laden, continue à susciter des remous au sein de l'opinion publique. 

Pilier principal de la politique américaine d'extension des structures occidentales [...]l'Allemagne est en Europe la seule «nation indispensable» pour les Américains

Néanmoins, le fait est que l'un des axes majeurs de la politique étrangère américaine depuis 1945 est l'axe saoudien. Conclu quelques jours à peine après les accords de Yalta, le 14 février 1945, l'accord dit de Quincy entre le roi Ibn Saoud et le président Roosevelt est l'un des axes majeurs de la politique américaine non seulement au Moyen Orient mais au monde. Malgré quelques vicissitudes, cet accord, qui consiste à vendre des armes aux Saoudiens et à leur acheter leur pétrole en contrepartie, par le biais notamment de concessions pétrolières en partie américaines, a été soutenu par cinq rois saoudiens et par douze présidents américains successifs. N'oublions pas non plus que le président Obama lui-même s'est rendu à Riyad l'an dernier pour présenter ses hommages au nouveau roi Salman, ce qu'un président américain ne fait qu’avec très peu d'autres nouveaux chefs d'Etat au monde.

Il est sans doute superflu de rappeler, en conclusion, qu'il est de notoriété que le plus grand partenaire commercial des Etats-Unis, après le Canada, c'est la Chine, avec laquelle le bilan commercial est six fois plus grand qu'avec son «cousin anglo-saxon» britannique. Quitte à dire «les Francs», le nom d’une vieille tribu germanique, pour parler de la France et pour créer l'illusion d'une communauté politico-culturelle franco-allemande, il faudrait abandonner l'expression les «Anglo-Saxons» qui ne peut qu'induire les gens crédules en erreur.

LIRE AUSSI : Face à la montée du scepticisme, Obama met la pression pour accélérer les négociations du TTIP

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