John Laughland est un universitaire britannique spécialisé en géopolitique et philosophie politique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages traduits en sept langues.

Affaire Seselj : plusieurs décennies d'accusations contre la Serbie tombent à l'eau

Affaire Seselj : plusieurs décennies d'accusations contre la Serbie tombent à l'eau Source: Reuters
Vojislav Seselj
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L'acquittement de Vojislav Seselj est non seulement celui d'un personnage sulfureux, mais aussi une remise en cause de toutes les théories de l'Accusation sur la culpabilité des Serbes dans les guerres yougoslaves, d'après l'analyste John Laughland.

L'acquittement sensationnel du politicien serbe, Vojislav Seselj, annoncé par le juge français Jean-Claude Antonetti,  président de la Chambre de première instance dans cette affaire, le 31 mars 2016, est non seulement l'acquittement d'un personnage sulfureux. Il représente également une remise en cause accablante de toutes les théories de l'Accusation sur la culpabilité des Serbes dans les guerres yougoslaves, comme de la propagande occidentale tout entière.

Cet acquittement est l'aboutissement extraordinaire d'un procès extraordinaire. En prison depuis 2003, mais libéré pour des raisons humanitaires en 2014, Seselj aura passé onze ans en prison malgré son innocence. Aucun tribunal pénal digne de ce nom ne devrait retenir un accusé pendant si longtemps, car le droit à un procès rapide est un droit fondamental. Or, tout comme d'autres détenus devant d'autres tribunaux internationaux, tels l'ancien président de la Côte d'Ivoire Laurent Gbagbo, ou l'ancien chef de la gendarmerie rwandaise, Augustin Ndindiliyimana, Seselj aura purgé une très longue peine sans aucune condamnation. 

Vojislav Seselj était, au cours des années quatre-vingt, était un prisonnier politique en Yougoslavie

L'histoire retiendra un jour ces périodes de détention injuste comme la preuve de l’injustice fondamentale des tribunaux pénaux internationaux modernes, tout comme le GULag symbolise l'iniquité du système soviétique. Le parallèle est d'autant plus frappant que Vojislav Seselj était, au cours des années quatre-vingt, un prisonnier politique en Yougoslavie - il figurait parmi les «prisonniers de conscience» d'Amnesty International à l'époque - car il a été condamné à huit ans de prison pour exactement les mêmes délits de parole - un discours dit nationaliste par les autorités yougoslaves - que ceux que le TPI lui reprochait. Par conséquent, le sort infligé à Vojislav Seselj par le TPI est la preuve que certaines pratiques honnies du système communiste ont simplement migré à l'Ouest à la fin de la guerre froide pour trouver une nouvelle demeure accueillante au sein des organisations occidentales, un peu comme un diable peut quitter une âme pour s’installer dans une autre.

Le procès de Seselj devant le TPI était doublement politique. D'abord parce que l'éloignement physique de Vojislav Seselj de la Serbie entre 2003 et 2014, jusqu’au moment où on a sans doute considéré qu'il ne représentait plus aucun danger politique, a rendu possible le rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne et l'OTAN sous la présidence de Boris Tadic, président ouvertement pro-occidental ; il a également permis aux puissance otaniennes d'arracher la province de Kosovo-Métohie à la Serbie, en encourageant les dirigeants albanais à leur solde à proclamer l'indépendance en 2008. Or, l'actuel président de la Serbie, Tomislav Nikolic, qui était l'adjoint de Seselj mais qui a rompu avec son ancien maître, n'a perdu les élections présidentielles de 2004 et de 2008 contre Tadic que de justesse. Si Seselj avait été encore à la tête de son parti, et s'il avait été en mesure de contester les élections en Serbie, il aurait très bien pu remporter la présidence et faire infléchir le cours de l'histoire.

Seselj était poursuivi essentiellement pour ses discours

Le procès était politique aussi dans la mesure où les accusations portées contre Seselj étaient politiques, et ceci à deux égards.  D'abord parce que Seselj était poursuivi essentiellement pour ses discours: il n'avait aucun pouvoir politique ni militaire, même si son parti participait au recrutement des volontaires serbes au début des guerres yougoslaves, et par conséquent on ne pouvait lui imputer aucune responsabilité de commandement pour les actes commis par des soldats ni aucun lien hiérarchique avec ceux-ci.  Tout cela est finalement confirmé dans le jugement du 31 mars.

Mais l'accusation était politique aussi parce qu'elle reposait sur l'accusation, centrale dans l'affaire Seselj tout comme dans l'affaire de Slobodan Milosevic,  l’ancien président d’abord serbe et ensuite yougoslave, que Belgrade aurait tenté de créer une "Grande Serbie" sur le territoire de l'ex-Yougoslavie et que les dirigeants serbes portaient ainsi la responsabilité primordiale pour le déclenchement de cette guerre.

Les échanges entre les juges et le Procureur dans l’affaire Milosevic, Geoffrey Nice, où celui-ci, pris en flagrant délit de mensonge, affirme tout et son contraire, sont reproduits dans le jugement du 31 mars acquittant Seselj comme la preuve de la vacuité de cette accusation

Or, comme le juge Antonetti l'a rappelé dans le résumé - qu'il a lu devant des chaises vides, car l'accusé a refusé de rentrer de Belgrade pour entendre le verdict - cette accusation s'était totalement effilée pendant le procès de Milosevic, et ceci pendant les auditions de Seselj comme témoin à décharge en 2005. En effet, le Procureur avait adopté, selon le juge Antonetti et ses collègues, une position totalement contradictoire et confuse sur cette question qui pourtant avait constitué le socle de l'accusation contre Milosevic comme contre Seselj. Les échanges entre les juges et le Procureur dans l’affaire Milosevic, Geoffrey Nice, le 25 août 2005, où celui-ci, pris en flagrant délit de mensonge, affirme tout et son contraire, sont reproduits dans le jugement du 31 mars acquittant Seselj comme la preuve de la vacuité de cette accusation.

Loin d'accréditer la thèse selon laquelle la Serbie aurait cherché à agrandir son territoire en expulsant des populations non serbes, le Tribunal de première instance dans l'affaire Seselj conclut que la version donnée par l'Accusation «occulte et dénature» les faits.  En particulier, elle le fait en culpabilisant les Serbes d'avoir créé des entités serbes au sein de la Croatie et de la Bosnie, alors que ces actes ont eu lieu dans le contexte de la sécession de ces pays de la Yougoslavie à laquelle les Serbes restaient fidèles. Les juges considèrent donc que l'armement de ces populations serbes en Croatie et en Bosnie n'était pas agressif ou criminel, mais défensif et légitime. Selon les juges, statuant à majorité : «De nombreux éléments de preuve montrent que la démarche concernait la défense des Serbes et la défense de la Yougoslavie et non pas une entreprise criminelle commune.» 

Avec ce jugement tombent en ruines, donc, plusieurs décennies d'accusation contre la Serbie comme Etat et contre les Serbes comme peuple

Les juges rejettent donc la thèse de l'Accusation selon laquelle la totalité de la guerre menée par la Yougoslavie aurait été criminelle, et ceci dès le départ, et ils lui reprochent une confusion totale entre les concepts de «violence» et de «crime», confusion qui est d'autant plus absurde qu'il s'agit de statuer sur des actes commis pendant une guerre, qui est par définition violente. Avec ce jugement tombent en ruines, donc, plusieurs décennies d'accusation contre la Serbie comme Etat et contre les Serbes comme peuple. 

Vojislav Seselj s'est rendu volontairement à La Haye en 2003, promettant qu'il allait mener un combat judiciaire pour laver la réputation du peuple serbe de tout soupçon.  Sans doute n'a-t-il jamais cru qu'il lui faudrait treize ans pour le faire, mais il peut légitimement prétendre aujourd'hui qu'il a gagné son pari.

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