Même si l’abandon du projet de révision constitutionnelle est une victoire pour ses opposants, la députée du Calvados Isabelle Attard déplore des mois perdus en un «débat stérile».
RT France : Considérez-vous que la décision du président de la République d’abandonner le projet de révision constitutionnelle, auquel vous étiez opposé, est une victoire pour vous ?
Isabelle Attard : Oui. La victoire, c’est le mot qui vient en premier, mais c’était presque une issue logique, car le président s’est enfermé dans un piège, sans savoir comment en sortir.
Il y a eu une pression terrible sur les députés – j’en ai été témoin – sur les députés socialistes pour les obliger à voter ce texte, parce qu’ils n’en avaient pas envie. Evidemment, la pression a dû être la même au Sénat. Donc on se retrouve avec un blocage et énormément de critique à gauche. A ce moment-là, c’était déjà le texte de trop. On peut se poser la question de savoir si la loi Travail est à nouveau le texte de trop. Mais l’idée de déchéance [de nationalité], qui était une idée d’extrême droite, se retrouvait dans un projet de loi révisant la constitution par un gouvernement socialiste, c’est quand même quelque chose d’énorme.
On ne fait pas avancer le pays avec des mesures symboliques, on le fait avancer avec des mesures concrètes, réalistes et applicables
Il y a donc eu une contestation évidente. Comment s’en sortir ? Pour le président de la République c’était : «Voilà, le texte est bloqué par la droite, les Républicains, et je suis contraint d’abandonner le projet.» Dans un sens, ça l’arrange bien, ça arrange le gouvernement. Finalement, ça arrange tout le monde car on sort d’un sujet puant. Mais on a quand même passé trois mois là-dessus avec un Premier ministre qui déclare en tout premier lieu : «Oui, je sais, c’est un symbole», alors qu’on aurait pu traiter de vrais sujets : le terrorisme, le chômage, l’évasion fiscale… On ne fait pas avancer le pays avec des mesures symboliques, on le fait avancer avec des mesures concrètes, réalistes et applicables.
Je pense aujourd’hui que le gouvernement est probablement soulagé d’être sorti de cette impasse
RT France : D’après vous, de quoi témoigne l’abandon de ce projet ? Est-ce un signe de faiblesse du gouvernement et du président ?
Isabelle Attard : Nous avons eu uniquement des débats de politique politicienne, et cela fatigue tout le monde. La stérilité de ces débats était visible pour tous. Les Français ont bien compris qu’on avait peut-être autre chose à faire que de se livrer à ce genre de débats. Donc le fait d’abandonner n’est pas forcément un constat d’échec, étant donné le sujet ultra-épineux dans lequel se sont mis eux-mêmes le gouvernement et le président. Ce n’est quand même pas nous qui avons demandé au président de dire ce qu’il a dit à Versailles le 16 novembre. Vous avez un Premier ministre qui parle de «serment» à Versailles. Premièrement, on n’est plus dans une royauté, sous un régime monarchique, et deuxièmement, à Versailles, c’est un discours présidentiel, certes, mais ça n’a rien d’un serment de Versailles ! C’est ce mot «serment» qui a été choisi volontairement par le gouvernement, par le Premier ministre et les députés socialistes, parce que je crois que cela a une valeur extrêmement forte, parce qu’il a été dit à Versailles, pour que, après, on dise : «Vous voyez, on est bien obligé de le faire, puisque le président l’a dit dans le serment de Versailles. Il faut bien tenir sa parole, il faut aller jusqu’au bout.» Je pense aujourd’hui que le gouvernement est probablement soulagé d’être sorti de cette impasse.
RT France : Croyez-vous que l’abandon de la révision constitutionnelle ouvre la voie à l’abandon du projet de loi El-Khomri, qui provoque beaucoup de manifestations et qui est fortement contesté par la population ?
Isabelle Attard : Ça sera un autre bras de fer. Je pense que l’on va assister à un autre débat. Le débat a commencé dans la rue, il a eu aussi lieu à l’Assemblée nationale : de nombreux collègues socialistes prennent la parole – j’ai pu le constater hier en Commission des affaires sociales – mais pas dans le sens de la protection des salariés, dont le recul énorme. Au sein de la majorité il y a beaucoup de voix qui se font entendre et la contestation grossit. Les débats vont commencer à l’Assemblée nationale, on va voir comment ce texte évolue. Même si c’est mon souhait, je suis loin d’être aussi confiante sur le fait que le gouvernement retire ce texte.
Je vais faire une contre-proposition à ce projet de loi, je vais mettre sur la table, la semaine prochaine, une autre version du Code, travaillée avec des universitaires spécialisés dans le droit du travail français.
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.