Avec la «modernisation» des règles de l’élection présidentielle, la France s’oriente vers un système de bipartisme, où le candidat serait imposé soit par Les Républicains, soit par le PS, estime le co-fondateur du Comité Orwell, Alexandre Devecchio.
RT France : Laurent Herblay vient de publier sur Figaro Vox une tribune concernant la nouvelle loi modifiant les règles de l’élection présidentielle. Etes-vous d’accord avec lui lorsqu’il dit que ces modifications «verrouillent» la présidentielle ?
Alexandre Devecchio : Oui, je partage l’opinion de Laurent Herblay sur ce point. Je crois que c’est d’abord un contexte à peu près général où on se retrouve face à un bipartisme ou un tripartisme de plus en plus accentué. Il y a d’abord les primaires, qui n’étaient pas tout à fait dans la tradition de la cinquième république, où les Français choisissaient leurs candidats au premier tour. L’élection, c’était vraiment la rencontre entre un homme et le peuple. Désormais on se dirige de plus en plus vers un système politique verrouillé par les deux plus grands partis, plus un troisième : le FN [Front national]. Nous avons comme ça une espèce de jeu à trois où, finalement, à l’issue du premier tour on connaît toujours le vainqueur, qui est soit le candidat imposé par Les Républicains, soit celui imposé par le PS [Parti socialiste].
Les petits candidats vont disparaître. Ils n’auront aucune possibilité d’émerger, puisqu’on ne les verra pas dans le débat public
Donc on a ce contexte global de cadenassage de la démocratie par les partis, avec notamment une Assemblée nationale qui n’est pas représentative puisque le mode d’élection n’est pas du tout proportionnel : les partis qui font aujourd’hui jusqu’à 25%, comme le Front national, ne sont quasiment pas représentés à l’Assemblée nationale. On a l’impression que ce système ne satisfait plus grand monde en France, puisqu’on voit qu’il y a une très grande défiance vis-à-vis de ces partis, vis-à-vis de la politique en général, et une coupure entre les élites et le peuple. On a vraiment l’impression que cette loi accentue encore les problèmes plus qu’elle ne les résout. C’est une loi promulguée par quelques députés, sans débat préalable. Elle donne l’impression que les partis actuellement au pouvoir sentent peut-être que la population est en colère et cherchent donc à verrouiller le système. Le pluralisme du débat, qui était une tradition en France, une composante de la République qui permettait justement de s’extraire de la dictature des partis, disparaît – on voit bien que ça y ressemble de moins en moins.
Ces règles de plus en plus coercitives font que le débat va se passer entre les mêmes
RT France : Le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignant, a déclaré que cette loi conduisait à affaiblir les petits candidats au regard de la restriction sur le temps de parole. Pensez-vous que ce soit effectivement le cas ?
Alexandre Devecchio : Oui, bien sûr, c’est l’évidence. Les petits candidats vont disparaître. Ils n’auront aucune possibilité d’émerger, puisqu’on ne les verra pas dans le débat public.
Je pense que la présidentielle est une élection que les Français aiment bien, parce que c’est une sorte de respiration démocratique. Désormais, le débat se réduit, on va avoir un tripartisme, qui est en fait un bipartisme, car on sait que le Front national n’est pas assez fort aujourd’hui pour l’emporter. Il y a comme un plafond de verre. Du coup, c’est la garantie pour les deux autres d’être réélus, quitte à être réélus par défaut, comme cela a été le cas la dernière fois, où on a eu un vote contre Nicolas Sarkozy et non pas un vote en faveur de François Hollande. Sa popularité s’est effondrée très vite après son élection. Mais plus encore que l'égalité du temps de parole, il y a le problème des parrainages rendus publics. Certains élus vont recevoir des pressions, venant leurs partis ou de leurs administrés. C'est une remise en cause du vote à bulletin secret.
RT France : Cette proposition de loi va-t-elle faire le jeu du Front national ?
Alexandre Devecchio : Ils ne sont pas mécontents, puisque, dans les sondages, ils sont assez forts. Donc oui, ça avantagera le Front national mais les vrais vainqueurs sont les Républicains et le PS qui seront assurés de l’emporter à la fin. Ces règles de plus en plus coercitives font que le débat va se passer entre les mêmes.
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