L’intervention occidentale va peut-être éliminer une fraction des djihadistes mais au profit d’autres djihadistes, estime le spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan.
RT France : Les autorités américaines affirment que les frappes aériennes en Libye du 19 février visaient le commandant de Daesh qui aurait été impliqué dans les attentats en Tunisie. Cela vous semble-t-il plausible ?
Bernard Lugan : Ce qui me paraît étrange, c’est que ces frappes ont eu lieu à Sabratha, une ville située dans une zone qui n’est pas du tout contrôlée par Daesh. C’est une zone contrôlée par les milices Fajr Libya, qui sont des milices salafistes mais qui ne sont pas affilées à Daesh. Alors si à Sabratha, dans une zone contrôlée par ces milices qui ne sont pas affilées à Daesh, les Américains détruisent des terroristes qui sont censés être membres de Daesh, cela veut dire qu’il y a porosité entre toutes les milices salafistes et que la situation libyenne est beaucoup plus compliquée et beaucoup plus dangereuse que ce que l’on pensait auparavant. On nous disait que ces milices de Fajr Libya étaient des milices certes proches d’Al-Qaïda, mais opposées à Daesh. Et c’est en principe pour soutenir ces milices opposées à Daesh que les Occidentaux prépareraient un plan d’intervention en Libye. Donc, cela pose beaucoup de problèmes.
Les Américains et les Occidentaux veulent faire une intervention aérienne, mais le problème est que cette intervention doit se faire à l’appel d’un «gouvernement légal» libyen
La deuxième intervention est en effet programmée. Les Américains et les Occidentaux veulent faire une intervention aérienne, mais le problème est que cette intervention doit se faire à l’appel d’un «gouvernement légal» libyen. Or, pour le moment, ce gouvernement n’a pas été constitué. Il a été théoriquement constitué, mais il n’a pas été accepté par toutes les parties libyennes.
RT France : Quel est le but de cette deuxième intervention ?
B.L. : Le but de cette deuxième intervention, officiellement, est de détruire Daesh. Mais nous sommes exactement dans la même situation qu’en Syrie. C’est-à-dire que les Occidentaux vont soutenir des milices islamistes, dites «modérées» alors qu’elles sont proches d’Al-Qaïda, contre Daesh, alors que toutes sont islamistes et toutes sont terroristes.
D’après les Occidentaux, la véritable raison, est de vouloir éviter la contagion de Daesh, pour diverses raisons : premièrement, parce que les Occidentaux pensent qu’ils vont pouvoir s’entendre avec les autres composantes libyennes différentes de Daesh, et pour éviter que Daesh ne prenne le contrôle d’une partie de la Libye. C’est la raison officielle.
L’autre danger serait que cette intervention soit considérée comme une provocation et entraîne un rapprochement, une co-régulation de toutes les milices islamistes
RT France : Pensez-vous que l’intervention va réussir ?
B.L. : Pour moi, une intervention contre Daesh et au profit des milices qui sont affiliées aux mouvements salafistes proches d’Al-Qaïda et des autres mouvements terroristes ne va pas régler le problème, parce qu’une telle intervention éliminera peut-être une fraction des djihadistes, mais au profit d’autres djihadistes. Et l’autre danger serait que cette intervention soit considérée comme une provocation et entraîne un rapprochement, une co-régulation de toutes les milices islamistes soit-disant opposées les unes aux autres, mais qui pourraient se liguer contre cette intervention. C’est une situation très difficile.
Le danger que présente Daesh, à mon avis, n’est pas tellement sur le littoral de la Méditerranée. Le danger que représente Daesh, est de le voir tenter une liaison avec les foyers terroristes de Boko Haram dans le nord du Nigéria, dans la région du lac Tchad, où Boko Haram s’est affilié à Daesh.
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