Il est extrêmement nécessaire de mettre un terme au conflit syrien. Mais il est peu probable que le dernier projet de cessation des hostilités soit mis en œuvre, car l’accord conclu par les puissances internationales est basé sur des prémisses fondamentalement opposées.
En résumé, Washington et ses alliés veulent un changement de régime, alors que la Russie et l'Iran insistent sur le fait que le président Bachar al-Assad et son gouvernement sont les autorités légitimes dirigeant la Syrie. Tous les côtés sont mandatés par des résolutions de l'ONU pour respecter les droits souverains du peuple syrien à déterminer l'avenir politique de leur pays.
Mais les puissances occidentales et leurs partenaires régionaux, l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar en particulier, insistent – explicitement ou implicitement – sur leur objectif d'évincer Assad. Cette volonté d'ingérence illégale dans les affaires d'un État souverain est le nœud du problème, et la raison pour laquelle le dernier accord apparent sur une trêve nationale est aussi mince que la feuille de papier sur lequel il est rédigé.
Lire aussi : Un cessez-le-feu sera «difficile» selon Bachar el-Assad
Le secrétaire d'Etat des Etats-Unis John Kerry et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ont divulgué le projet de cessation des hostilités après six heures de négociations avec 15 autres Etats membres qui ont participé au Groupe de soutien international à la Syrie à Munich vendredi dernier. La trêve est supposée entrer en vigueur dans le courant de la semaine.
La trêve décrite dans un communiqué d'ISSG ne s'applique pas à deux groupes militants : l'État islamique (EI, également connu comme EIIL ou Daesh) et le Front al-Nosra. Les deux sont liés à Al-Qaïda et sont officiellement reconnus par des gouvernements internationaux comme des organisations terroristes. Cette réserve dispense également « d’autres groupes terroristes » mais ne précise pas les noms. C'est une énorme lacune dans ce projet de trêve et qui rendra son application extrêmement problématique ou même infaisable. Cette lacune fait aussi allusion aux appuis de nature étrangère dans le conflit en Syrie.
Il semblerait incontestable que le gouvernement syrien et ses alliés russe et iranien sont tout à fait légitimes dans leur maintien de cet élan militaire
Après le communiqué de Munich, le gouvernement syrien et son allié russe ont dit que leurs campagnes militaires combinées contre des groupes terroristes continueraient.
Le président Assad s’est promis que ses forces armées avanceraient dans leur offensive, soutenue par les forces aériennes russe, «pour reprendre tout le pays». Il a dit que la bataille pour la ville du nord d'Alep – la plus grande du pays – a été cruciale pour «couper les voies d'approvisionnement des terroristes depuis la Turquie».
Etant donné la description des groupes terroristes dans le communiqué à Munich et dans des résolutions récentes de l'ONU (2249 et 2254), il semblerait incontestable que le gouvernement syrien et ses alliés russe et iranien sont tout à fait légitimes dans leur maintien de cet élan militaire.
Pourtant, l'offensive continue de la Syrie et de la Russie autour d'Alep au cours du week-end a provoqué des récriminations des puissances occidentales. La couverture médiatique occidentale a eu tendance à présenter la poursuite des campagnes militaires comme une rupture déloyale de la tentative de trêve.
L'agence de presse Reuters a communiqué : «La Russie poursuit les bombardements malgré la trêve syrienne ; Assad décidé à continuer les combats».
Le secrétaire Kerry a fait preuve d’agacement quand il a dit : «Si le régime d'Assad n’agit pas en accord avec ses responsabilités et si les Iraniens et les Russes ne tiennent pas Assad aux promesses qu'ils ont faites… alors la communauté internationale ne va pas rester assise, là, comme une idiote et regarder ça. Il y aura une augmentation de l'activité pour faire encore plus pression sur eux».
Kerry a même averti qu'une «pression plus forte» pourrait impliquer l’envoi des troupes étrangères en Syrie, sans préciser depuis quels pays, disant : «Il y a une possibilité qu’il y ait des forces terrestres supplémentaires.»
Le haut fonctionnaire américain a fait ses commentaires tout en participant au Forum de Munich sur les politiques de défense avec plusieurs dirigeants mondiaux qui a eu lieu le jour qui suivait la médiatisation de l’accord de trêve par l'ISSG. Kerry a dit aux délégués sinistrement : «Nous espérons que cette semaine sera une semaine de changement. C’est un moment-charnière. Les décisions prises au cours des prochains jours, semaines et mois peuvent mettre un terme à la guerre en Syrie. Ou, si les choix mauvais sont faits, ils peuvent ouvrir le chemin à un conflit encore plus large».
Le premier ministre russe Dmitri Medvedev s’est également adressé au Forum de Munich, mais il a averti que toute invasion des forces étrangères du territoire syrien ferait courir le grave risque de déclencher une guerre totale.
Au cours du week-end, il a été annoncé que les avions de guerre saoudiens F-16 devaient commencer à partir de la base turque de l’OTAN à Incirlik, prétendument pour des opérations de combat contre le groupe terroriste l’Etat islamique en Syrie. Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a dit que des forces terrestres saoudo-turques combinées étaient prêtes à intervenir en Syrie, et qu’il y avait des rapports de tirs d’artillerie transfrontaliers par la Turquie sur des localités kurdes syriennes.
Le Washington Post a admis que le Front al-Nosra "dans certains cas, se battait aux côtés des forces rebelles soutenus par les Etats-Unis et leurs alliés"
Le cœur du projet de trêve proposé est que la Syrie et la Russie soient légalement autorisées à détruire Daech, Al-Nosra et leurs groupes associés. Stratégiquement aussi, on peut dire que la défaite de tels insurgés illégalement armés est une tâche prioritaire dans la création des conditions pour mettre fin au conflit de cinq ans.
Cependant, «des groupes terroristes associés» comprennent également beaucoup d'autres militants que les gouvernements occidentaux et les médias occidentaux appellent faussement «des rebelles modérés». Ainsi, alors que l'armée arabe syrienne et les avions de combat russes peuvent légalement justifier que ces groupes doivent être visés, Washington et ses alliés déclareront trompeusement que Moscou attaque «des rebelles modérés».
Ceci est une fiction risible fabriquée par les gouvernements des pays occidentaux, leurs partenaires régionaux et les médias occidentaux. Il est bien prouvé que des groupes comme Jaïch al-Islam, l’Armée de la Conquête, Ahrar al-Sham et Brigade Omar al-Farouq - largement sponsorisés par l'Arabie Saoudite et le Qatar - sont intégrés avec l’organisation terroriste d'Al-Qaïda, officiellement reconnue. Même l'Armée syrienne libre qui est soi-disant «laïque» - et bien protégée par Washington - est en coalition avec Daesh et le Front al-Nosra, tout comme les brigades turkmènes, ouvertement soutenus par le gouvernement turc.
Voice of America – un média appartenant au gouvernement américain – a présenté cette relation entre les terroristes et les rebelles d’une façon délicate, comme suit : «L’accord de Munich n’inclut pas la cessation de toutes hostilités dans le cas non seulement de Daech, mais également du Front Al-Nosra, un affilié d’Al-Qaïda, et d’autres groupes considérés comme terroristes par le Conseil de sécurité de l’ONU. Certains de ces groupes, en dehors de Daech, ont été des alliés du champ de bataille d'autres factions rebelles autour d'Alep».
La trêve que Washington a assidûment tenté de réaliser ne vise pas véritablement à mettre fin au conflit
En attendant, le Washington Post a admis que le Front al-Nosra «dans certains cas, se battait aux côtés des forces rebelles soutenus par les Etats-Unis et leurs alliés». L'article du Post a ajouté que, même dans le cas de la trêve : «Les Etats-Unis et leurs partenaires continueront à assurer le niveau actuel de [livraisons] des équipements et de formation de l'opposition afin de ne pas laisser les rebelles dans une situation désavantageuse si la cessation des hostilités échouait».
La trêve que Washington a assidûment tenté de réaliser ne vise pas véritablement à mettre fin au conflit. Au contraire, il est évident qu’il s’agit d’une pause tactique qui permettrait de souffler aux forces rebelles sur le terrain qui avait largement besoin de répit après les attaques russo-syriennes. Ces attaques menacent de balayer les myriades de brigades, terroristes comme liées aux terroristes.
C'est pourquoi John Kerry a été si occupé à entraver l'intervention russe. Cette intervention, ordonnée par le président Vladimir Poutine il y a moins de cinq mois, élimine les actifs terroristes que Washington et ses alliés ont investis dans le cadre du changement de régime en Syrie au cour de ces cinq ans. Cet investissement s'est terminé en eau de boudin, et c'est également la raison pour laquelle Washington et ses partenaires régionaux comme la Turquie et l’Arabie saoudite se réservent le droit de mener des activités militaires directes – afin de sauver leur projet de changement du régime.
La trêve proposé en Syrie est bien vaine et manquera son but d'apporter la paix au pays dévasté par la guerre. Parce que Washington et ses alliés ne sont pas intéressés par la paix. Ils veulent changer de régime – de gré ou de force.