Les juges sont très largement maîtres des dates et des circonstances où se manifeste leur curiosité, a estimé l’écrivain Dominique Jamet, interrogé sur la mise en examen de Nicolas Sarkozy et les perquisitions qu’a subies le siège du Front national.
RT France : Une enquête pénale est ouverte à l’encontre de Nicolas Sarkozy, le siège du Front national (FN) et le domicile de Jean-Marie le Pen sont perquisitionnés. Est-ce que ce timing vous paraît anodin ?
Dominique Jamet : Cette question revient très souvent lorsque la Justice s’intéresse aux hommes ou aux partis politiques. Je ne suis pas dans la tête des juges. Aucun élément ne me permet de dire que la mise en examen de Nicolas Sarkozy, les perquisitions qui sont opérées chez Jean-Marie le Pen ont une connotation politique. Dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, le temps des juges n’est pas le même que celui des hommes politiques et il arrive, naturellement, comme on le voit, que les convocations de la Justice ou que les curiosités de la justice coïncident avec des périodes d’activité politique, de pré-campagne ou de campagne électorale. Alors, il ne faut pas être angélique, il ne faut pas être naïf, c’est-à-dire que les juges qui ordonnent des perquisitions ou qui décident d’une mise en examen, savent naturellement à qui ils ont affaire et ils ne peuvent pas ignorer que telle ou telle de leurs actions peut avoir des conséquences politiques. Mais rien ne me permet de dire qu’elles ne sont pas justifiées dans les cas qui font l’actualité actuellement. Les juges sont très largement maîtres des dates et des circonstances où se manifeste leur curiosité.
RT France : Florian Philippot, le numéro deux du FN, affirme pour sa part qu’il s’agit d’une tentative de récolter un maximum d’informations pour les mettre sur la table du PS en vue de la campagne présidentielle. Pensez-vous qu’il a raison ?
Dominique Jamet : Cela se passe régulièrement dans les cas similaires qui ont amené Florian Philippot à s’exprimer ainsi. Ce qui se passe, c’est que naturellement les personnalités politiques, pour les partis politiques qui sont visés, ont tendance à crier au complot, ont tendance à accuser la justice d’être en lien avec le pouvoir politique du moment. Je laisse la responsabilité de ses accusations à Florian Philippot. Si l’on prêtait trop attention aux protestations des hommes politiques ou des partis politiques lorsqu’ils sont victimes d’enquêtes judiciaires, on finirait par décréter l’immunité des hommes politiques. Cela ne me paraît pas raisonnable.
Je ne crois pas que cela fera changer énormément l’opinion de l’électorat sur l’ancien président de la République
RT France : Pensez-vous que cette enquête sur Nicolas Sarkozy puisse nuire à sa campagne pour les primaires d’abord, et potentiellement à sa campagne présidentielle ?
Dominique Jamet : Je ne pense pas que dans l’immédiat cela puisse lui nuire beaucoup. Pourquoi ? Parce que les faits dont il s’agit, c’est-à-dire des irrégularités graves et des dépassements dans le cadre du financement de sa campagne présidentielle de 2012, remontent à il y a trois ans et demi. Ce dossier est connu, il a été étalé sur la place publique à maintes reprises depuis sa défaite. Donc, ce n’est une surprise pour personne : il y a depuis longtemps un certain nombre de personnes qui n’ont aucune intention de voter pour lui, qui n’ont jamais eu l’intention de voter pour Nicolas Sarkozy, pour eux cela ne change rien. Il y a aussi un certain nombre de personnes qui, depuis le début, sont convaincues que Nicolas Sarkozy a commis ou a couvert de graves irrégularités et ces gens-là ont été amenés, notamment à cause de ces irrégularités, à ne plus vouloir voter pour Nicolas Sarkozy. Et puis, il y a un certain nombre de gens qui, tout en sachant parfaitement ce qui est reproché à l’ancien président de la République, ont néanmoins l’intention de voter pour lui et qui sont persuadés qu’il s’agit d’un complot dirigé contre Nicolas Sarkozy. Sur ce plan-là, je ne crois pas que cela fera changer énormément l’opinion de l’électorat sur l’ancien président de la République, cela ne peut pas lui faire de bien naturellement, cela ne peut pas lui faire de mal non plus, cela ne peut pas non plus je crois modifier sensiblement les choses. Disons que c’est plutôt quelque chose qui lui nuit, qui lui est nuisible, que quelque chose qui l’avantage, c’est évident. Je ne crois pas que cela ira loin. En revanche, si la mise en examen de Nicolas Sarkozy aboutissait soit à une comparution devant les juges, soit a fortiori à une condamnation, voire à une interdiction d’éligibilité, avant l’élection présidentielle de 2017, naturellement, cela serait de nature à lui nuire énormément. Mais pour l’instant je ne suis pas dans le secret des juges, l’instruction n’est pas terminée, le procès n’a pas eu lieu et, donc, je pense que c’est simplement une assez mauvaise nouvelle pour lui, mais sans plus.
Les juges savent parfaitement que les poursuites qu’ils engagent peuvent éventuellement nuire à ceux qu’elles visent et faire plaisir à ceux qui en sont les spectateurs
RT France : Les perquisitions effectuées au sein du FN sont-elles un signal envoyé aux autres partis ?Cela peut-il avoir un impact sur l’activité d’autres partis ?
Dominique Jamet : S’agissant des perquisitions chez Jean-Marie le Pen ou au siège du Front national, il s’agit d’un dossier auquel l’opinion publique ne s’intéressera pas beaucoup. Je ne crois pas que ce dossier-là puisse gêner électoralement le Front national, ni le Pen, ni sa fille. Ce sont des cas de figures différents de celui de Nicolas Sarkozy. Il ne faut pas être innocent, les juges qui décident cela savent parfaitement que les poursuites qu’ils engagent peuvent éventuellement nuire à ceux qu’elles visent et faire plaisir à ceux qui en sont les spectateurs. Mais la liberté d’appréciation des électeurs, dans un pays blasé et politisé comme le nôtre, leur permet de prendre de la distance avec les intentions des juges, tout comme avec les décisions des juges.
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