L’écrivain Denis Tillinac partage avec RT France sa vision de la rencontre entre le Pape François et le Patriarche orthodoxe Cyrille.
RT France : Quelles sont vos impressions suite à la rencontre du Pape et du Patriarche ?
Denis Tillinac : Beaucoup d’émotion, parce que la symbolique est énorme. Le schisme date de 1054 et jamais un patriarche russe et un pape ne s’étaient vus depuis. Ce schisme est un scandale, par rapport à l’unité de la foi. C’est d’ailleurs dit dans le communiqué commun des deux chefs d’Eglises. Ce communiqué est assez consistant : le Pape et le Patriarche ont abordé beaucoup de sujets, ils ont pris beaucoup de positions communes. Donc je suis très ému de cette rencontre et je trouve que c’est extrêmement satisfaisant. On a l’impression que deux traditions religieuses si longtemps séparées et mêmes antagonistes sont en voie de rapprochement.
Il est important que l’Occident et l’Orient européens produisent davantage une impression d’unité.
RT France : Les deux chefs d’Eglise ont appelé la communauté internationale à protéger les chrétiens d’Orient et ont souligné qu’aucun crime ne peut être commis au nom de Dieu. Est-ce que vous pensez que cet appel sera entendu par la communauté internationale ? Est-ce que la situation des chrétiens d’Orient en sera améliorée ?
Denis Tillinac : Cela peut jouer un rôle. Les deux jouissent d’une confédération et d’un respect important dans leurs sphères religieuses respectives. C’est très important au moment où d’aucuns utilisent Dieu pour tuer - je pense au terrorisme de Daesh, de l’Etat islamique. Il est important que l’Occident et l’Orient européens produisent davantage une impression d’unité, après une longue période historique où l’Orient et l’Occident européens ont été séparés pour des raisons idéologiques. C’est très important de montrer, face au péril d’un islamisme radicalisé, violent et meurtrier, qu'on est sur la même longueur d’onde.
RT France : Les deux responsables spirituels ont également déploré le sécularisme de la société occidentale, le consumérisme et la crise de la famille. Est-ce qu’on peut s’attendre à une évolution dans ces domaines-là ?
Denis Tillinac : C’est important de nous entendre sur une idée forte. Donc c’est bien que le Pape et le Patriarche dénoncent ce matérialisme consumériste comme l’ennemi commun. Il est très important qu’ils l’aient souligné ensemble. De même, il est important qu’ils aient rappelé un certain nombre de fondamentaux comme le droit à la vie, l’importance de la famille comme allégorie de l’unité et de la fraternité en Dieu. Pour ce qui est de la sécularisation des sociétés – il s’agit surtout de l’Occident puisque il y a un renouveau du christianisme en Russie, ce qui est souligné d’ailleurs dans le communiqué. La sécularisation a Presque amené une espèce de restriction de la liberté de la religion, comme si elle devait être évacuée dans le domaine strictement privé, ce qui n’a aucun sens dans l’Europe de l’Ouest qui est une Europe dont les fondements culturels, politiques et intellectuels, sont chrétiens.
La sécularisation a presque amené une espèce de restriction de la liberté de la religion
RT France : Il y a beaucoup de débats concernant la laïcité, concernant la séparation de l’Eglise de l’Etat en France. Pensez-vous que la rencontre entre les deux chefs d’Eglises ait un écho dans le pays ?
Denis Tillinac : Les traditions concernant les relations entre l’Eglise et l’Etat ne sont pas les mêmes. La laïcité, la separation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spiritual, fait partie de la culture française. Mais, elle est utilisée par les intégristes de la laïcité pour marginaliser les chrétiens et l’Eglise catholique. Ils sont dénoncés ensemble. L’Eglise orthodoxe russe a été par ailleurs longtemps persécutée pendant le régime soviétique. A cet égard-là, on a l’impression d’un veritable retour en force. Donc un chrétien occidental comme moi ne peut que se réjouir.
La prégnance politique du Patriarche de Moscou est supérieure à celle, par exemple, de l’archevêque de Paris ou du primat de Rome parce que ce n’est pas la même culture. Et donc personnellement, je me réjouis du communiqué commun et aussi du fait que, dans la Russie de Poutine, l’Eglise orthodoxe a toute latitude pour propager le message évangélique, c’est ça qui compte.
RT France : Qu’est-ce qui vous a paru le plus important à la suite de cette rencontre ?
Denis Tillinac : C’est qu’au moment des tensions politiques, géopolitiques entre l’OTAN, les Occidentaux au sens large, l’Europe, les Etats-Unis, et la Russie de Poutine, le Pape et le Patriarche se sont rencontrés. Je pense qu’on doit être unis parce qu’on a deux ennemis communs, que sont le terrorisme islamiste et le matérialisme consumériste. Il est très important, en terme d’impression, que les croyants des deux traditions, qui ont été les mêmes pendant un millénaire, soient unis dans le même combat pour la défense de leur spiritualité et d’une humanité pacifiée et plus sage.
Il y a une déchristianisation de l’Europe de l’Ouest
RT France : Est-ce que vous pensez que dans le XXIème siècle l’Eglise peut redevenir importante comme elle l’était avant ?
Denis Tillinac : L’Eglise catholique exerçait un pouvoir semi-temporel, elle a structuré la vie quotidienne des hommes pendant quinze siècles - je parle de la France. Ce n’est plus le cas. Ceci dit, sur le plan mondial, les choses se sont déplacées. Le Pape revient du Mexique où ça s’est très bien passé, tout comme dans les grands pays catholiques comme le Brésil ou les Philippines. Le centre s'est déplacé. Il y a une déchristianisation de l’Europe de l’Ouest. Je pense que ce pape, avec son charisma, peut enrayer cette déchristianisation. D’où la belle symbolique de cette rencontre, avec le Patriarche de Moscou au moment où le christianisme orthodoxe russe donne l’impression d’être en plein essor, et de vivre dans l’euphorie sa liberté retrouvée après 80 ans de communisme.
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