La percée du Front national est avantageuse pour le Parti socialiste afin de gagner la présidentielle de 2017 – et ce n’est pas la première fois, estime le professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8 Jacques Nikonoff.
Le résultat des élections régionales des 6 et 13 décembre et les projets que vont mettre en œuvre les nouveaux élus n’intéressent plus personne. Pas plus que les raisons pour lesquelles plus de 6 millions de citoyens ont voté pour les listes du Front national, faisant de ce parti le premier en France en nombre de voix, atteignant même un record historique. Or, ces dernières semaines, ce parti a été présenté par la gauche et la droite, relayées abondamment par les grands médias, comme «fasciste», «raciste», «antisémite», et même accusé de «porter en lui les germes de la guerre civile». Le grand patronat, rejoint par toutes les confédérations syndicales (à part FO), des autorités religieuses et maçonniques, des artistes, des journalistes, des présidents d’université ont appelé à «faire barrage au FN». Malgré ce déluge, comparable à celui observé au moment du référendum du 29 mai 2005 sur le Traité constitutionnel européen, le FN arrive en tête dans 6 régions sur 13 et se qualifie pour la première fois dans toutes les régions au 2e tour (12 sur 22 en 2010). Voilà qui devrait susciter la réflexion, d’autant que s’ajoutent à ces 6 millions d’électeurs la moitié du corps électoral qui ne s’est pas déplacée aux urnes, manifestant ainsi son indifférence à tous ces «appels» et au climat de peur et même d’hystérie organisés à propos du FN.
Seule compte désormais pour la «bande des trois» (PS et ses satellites, LR/UDI/MoDem et FN) la perspective de l’élection présidentielle de 2017, toutes les déclarations de leurs dirigeants témoignent de cette préoccupation unique. Dans ce climat délétère, alors qu’il n’était plus dans la course, François Hollande, paradoxalement, possède les meilleures cartes, il a pris un avantage stratégique et tactique sur les deux autres camps, ceux de la droite et de l’extrême droite. Sa stratégie est déjà fixée : poursuivre l’opération de promotion du FN et passer du tripartisme à un nouveau bipartisme. Si cette tambouille politicienne a peut-être une chance de fonctionner – mais ce sera probablement la dernière - ce n’est pas ainsi que les difficultés des Français et de la France seront résolues. C’est même l’inverse.
Le PS veut poursuivre l’opération de promotion du FN
François Hollande, le charisme en moins, est le continuateur de François Mitterrand, formé par ce dernier, puisque à peine sorti de l’École nationale d’administration (ENA) en 1980, il rejoignait en 1981 le cabinet du président de la République, François Mitterrand. C’est là qu’il a appris l’art des coups tordus en politique, et particulièrement l’opération de promotion du Front national qu’il poursuit aujourd’hui assidûment. Le 8 mai 1982, François Mitterrand élu président de la République au printemps 1981, prononce un discours à Orléans dans lequel il affirme que «l’unité nationale, ce n’est pas l’uniformité, c’est le pluralisme des opinions, le choc des idées» (1). Au même moment, Jean-Marie Le Pen, qui a fondé le Front national en 1972, se désespère, car il a plafonné à 0,2% des voix aux élections législatives de juin 1981 et aux cantonales de mars 1982. Aucune chaîne de télévision n’est venue «couvrir» le congrès du FN. Jean-Marie Le Pen décide donc d’écrire à François Mitterrand, d’autant que ce sont d’anciennes connaissances, ils ont été tous les deux, comme avocats, témoins de la défense des putschistes d’Alger en 1962. En outre, en 1965, Jean-Marie Le Pen alors directeur de campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancourt, candidat de l’extrême-droite fasciste à l’élection présidentielle, avait appelé à voter Mitterrand au 2e tour.
L’opération de promotion du Front national a débuté le 22 juin 1982, lorsque François Mitterrand envoie un courrier de réponse à Jean-Marie Le Pen dans lequel on peut lire : «Il est regrettable que le congrès d’un parti soit ignoré par Radio-Télévision. […] Elle ne saurait méconnaître l’obligation de pluralisme qui lui incombe […] L’incident que vous signalez ne devrait donc plus se reproduire. Mais d’ores et déjà, je demande à Monsieur le Ministre de la Communication d’appeler l’attention des responsables des sociétés Radio-Télévision sur le manquement dont vous m’avez saisi.» (1) Les choses vont alors aller très vite. La politique de relance menée par le gouvernement socialiste (avec 4 ministres communistes) s’essouffle, la situation économique se dégrade, le blocage des prix et des salaires est décidé. Mitterrand refuse de faire ce qui aurait permis à la France de résister aux politiques néolibérales qui déferlent alors sur le monde sous l’impulsion de Margaret Thatcher et Ronald Reagan : prendre des mesures protectionnistes et découpler le franc du mark. Pour conserver le pouvoir sans changer de politique – comme aujourd’hui – il faut donc trouver des subterfuges pour affaiblir et diviser la droite en favorisant l’extrême-droite.
C’est ainsi que le 29 juin 1982, Jean-Marie Le Pen, pour la première fois, est l’invité en direct du journal du soir de TF1. Le 7 septembre, il est encore en direct au journal de 20h sur TF1, le 19 septembre c’est le 20h d’A2, une nouvelle fois au 20h de TF1 le 30 octobre. Lors des municipales de mars 1983, Yves Mourousi de TF1 invite Jean-Marie Le Pen deux fois dans son journal… De surcroît, Mitterrand décide de changer le mode de scrutin pour les élections législatives et passe à la proportionnelle pour diviser la droite en faisant entrer le FN à l’Assemblée nationale qui obtiendra 35 députés, autant que les communistes. C’est ainsi que le FN obtenait 2,7 millions de voix et 9,65% aux législatives de 1986, et 4,3 millions de voix et 14,38% à la présidentielle de 1988. Mitterrand était réélu président de la République… Son ami Pierre Bérégovoy, ancien Premier ministre, dira «on a tout intérêt à pousser le Front national, il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattables. C’est la chance historique des socialistes.» (1) Tel est le modèle que François Hollande connaît bien et applique à la lettre, notamment depuis qu’il a été élu président de la République.
François Hollande, «père de la nation»
La promotion du FN par le PS va donc s’amplifier jusqu’en 2017. Car le PS, finalement, grâce notamment à l’hystérisation de la fin de campagne autour du FN, ne s’est pas trop mal sorti des régionales, alors que le rejet suscité par sa politique aurait logiquement dû le conduire à la débâcle. Son résultat est en tout cas moins catastrophique que celui de la droite quand elle était au pouvoir, lors des scrutins de 2004 et 2010 où celle-ci avait perdu toutes les régions, sauf l’Alsace. Obtenir la présidence de cinq régions relève même du miracle, grâce au FN. Dans cette configuration, François Hollande pense qu’il conserve toutes ses chances pour 2017, d’autant que la posture consensuelle qu’il a adoptée après les massacres du 13 novembre et l’opération COP 21 sont pour lui un atout considérable, le hissant au statut de «père de la nation». C’est pourquoi il est parvenu à déconnecter sa situation personnelle du résultat du PS aux élections régionales, son «baromètre de confiance» étant largement au-dessus du score du PS (23%). Toutefois, pour être réélu président de la République en 2017, François Hollande, aujourd’hui en 3e position, doit se placer en tête au 1er tour en rassemblant la gauche, pour gagner ensuite au second en élargissant son périmètre.
Rien n’est pour l’instant acquis pour François Hollande au premier tour, il peut être «jospinisé». En effet, si les résultats du 1er tour des régionales avaient été ceux du 1er tour de la présidentielle de 2017, les deux candidats qualifiés pour le 2e tour auraient été celui du FN (27,73%) et celui de la droite (26,65%). Avec 23,12%, le candidat socialiste serait éliminé, comme l’avait été Lionel Jospin en 2002. Pour éviter cet échec il a besoin d’écarter tous les candidats potentiels qui, à gauche, pourraient lui prendre des voix et risquer de le faire échouer à la qualification pour le 2e tour. Il doit même impérativement obtenir leur soutien actif. Les écologistes, les communistes, les mélenchonistes et les autres composantes de la gauche «radicale» vont-ils se coucher, une nouvelle fois, devant la politique unique menée par le PS et la droite, comme l’a fait Tsipras en Grèce ?
Ce piège ne peut être déjoué qu’à trois conditions : mettre un terme aux souffrances des Français provoquées par les politiques néolibérales impulsées par l’Union européenne et aggravée par l’euro, principalement le chômage et la précarité ; délégitimer l’élection présidentielle qui ne fait que renforcer le bipartisme ; organiser, contre la bande des trois (LR/UDI/MoDem, PS et affiliés, FN), un vaste rassemblement pour la démondialisation en présentant un candidat en 2017.
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