Les conflits de haute intensité se multiplient dans le monde, et avec eux, les victimes civiles. Passée l’émotion, une étude approfondie du phénomène s’avère riche d’enseignements et très éloignée de la propagande médiatique occidentale, estime l'analyste géopolitique Alexandre Regnaud.
Chaque mort est une tragédie, et au-delà des pertes militaires, il est souvent difficile de parler des victimes civiles d’un conflit sans ressentir une vive émotion. Par conséquent, traiter la mort comme une simple statistique a toujours un côté inconfortable, surtout quand il s’agit d’innocents. Et pourtant, derrière les tragédies individuelles, de telles études sont souvent riches d’enseignements et peuvent renvoyer paradoxalement à une certaine humanité… ou à son absence.
Au départ, une simple intuition, résultat de l’accumulation d’années de lecture quotidienne de dépêches et de notes d’actualités.
Lors des multiples frappes russes de ce mois de mai sur le port d’Odessa, où les infrastructures militaires sont pourtant volontairement installées au milieu des civils, seuls trois morts ont été déplorés (ONU).
Le 17 juin, plus de 50 civils palestiniens étaient tués par l’armée israélienne lors du bombardement d’un centre d’aide humanitaire (Le Monde).
Le 14 juin, une soixantaine de personnes, dont 20 enfants, étaient tuées dans une frappe israélienne sur un complexe résidentiel de Téhéran (Libération).
L’intuition était là. Il restait à l’approfondir à partir des chiffres les plus récents, et surtout les plus fiables possibles. Pour des sujets aussi sensibles, et dans un climat général de propagande abondamment relayée par les médias occidentaux, c’est toujours une question délicate. Cependant, même en admettant qu’ils puissent être gonflés ou minorés selon les sources, et sans les prendre donc comme une vérité absolue, les résultats sont tellement frappants qu’ils parlent d’eux-mêmes dans tous les cas.
Pour l’Ukraine, le point de départ sont les chiffres de l’ONU, bien que principalement basés sur des sources ukrainiennes (avec la fiabilité que l’on sait). Il faut également prendre en considération l’habitude de l’armée ukrainienne, largement documentée par l’ONU et Amnesty International (Marioupol, Sumy, etc.), d’utiliser des civils comme bouclier humain. Ces précautions étant prises, on dénombrerait un peu plus de 12 600 victimes civiles dans les zones de combat en Ukraine.
Sur 1 200 jours de conflit correspondants à la période de ces chiffres (soit plus de 3 ans), cela représente une moyenne de 10 morts de civils par jour.
La proportion de victimes civiles par rapport aux pertes militaires (en prenant toujours beaucoup de précautions avec les chiffres) est estimée à environ 11% (ONU).
A Gaza, selon les chiffres des autorités locales, 55 300 civils seraient morts, soit un pour 40 habitants. Sur une durée de 540 jours correspondant à ces chiffres, cela représente 102 morts de civils par jour.
En proportion, 70% des victimes du conflit sont des civils (rapport du Lancet, 2025).
Lors de la récente agression israélienne contre l’Iran, officiellement 224 morts de civils sont reconnues sur une période de 4 jours, mais certaines sources parlent de plus du double.
En s’en tenant aux chiffres officiels iraniens, et donc vraisemblablement sous-estimés, cela fait une moyenne de 56 morts de civils par jour.
En proportion, 90% des victimes sont des civils (ONG américaine Human Rights Activists).
Même avec des chiffres imparfaits, la comparaison est déjà perturbante en soi.
A rebours complet de la propagande médiatique occidentale, les ratios de morts civils, même s’ils seront toujours trop élevés, exposent clairement une doctrine militaire russe qui fait tout son possible pour minimiser au maximum les pertes civiles malgré des conditions difficiles.
En effet, les zones concernées sont tout aussi urbaines qu’au Moyen-Orient, puisque les infrastructures militaires et industrielles visées par les frappes russes sont largement (et volontairement) installées dans des zones densément peuplées.
Et pour ceux qui douteraient encore et voudraient mettre d’avantage ces chiffres en perspective, rappelons que la guerre en Irak, beaucoup moins intense que le conflit ukrainien actuel, faisait environ 50 morts civils par jour.
En parallèle, nous voyons une armée israélienne qui, au mieux, n’a pas la même retenue ni la même préoccupation de l’armée russe pour atteindre ses objectifs. La part de victimes civiles est en conséquence, les chiffres sont éloquents.
On constate alors une fois de plus un deux poids deux mesures de l’Occident. D’autant plus perturbant que tout semble ici moralement inversé, où la Russie, pourtant ouvertement soucieuse des populations civiles dans un conflit de très haute intensité est conspuée, tandis que d’autres multiplient les morts innocents sans faire bouger une oreille, voire même y sont encouragés.
Des questions émergent alors naturellement : Où sont les appels au « droit international basé sur des règles » ? Où sont les paquets de sanctions ? Où sont les dénonciations médiatiques bruyantes ? Pourquoi certains pays peuvent agir, ou réagir, lorsqu’ils se sentent menacés quand d’autres se le voient reprocher ? Pourquoi certains pays peuvent multiplier les victimes civiles sans aucune conséquence quand d’autres prouvent qu’il est pourtant possible de les limiter ?
Et surtout, surtout, les Occidentaux ont-ils encore le moindre sens moral ?
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