Les cérémonies du 9 mai sont une épine de taille dans le pied du Monde global, particulièrement cette année pour la commémoration des 80 ans de la Victoire : la Russie étant l’ennemi, elle ne peut ni avoir été vainqueur, ni alliée. Karine Bechet-Golovko rappelle les raisons historiques et idéologiques de cette vague de haine politico-médiatique.
L’approche du 9 mai met le Monde global dans un état de fébrilité extrême. En effet, l’ensemble de son territoire et de ses peuples est tenu de célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale le 8 mai. On ne plaisante pas avec les symboles en politique et celui du 9 mai n’est pas acceptable pour les Atlantistes, car il renvoie justement à la diversité politique, au pluralisme, à l’histoire nationale et donc à la Nation, autant de concepts qui n’ont pas leur place dans ce Monde global.
Tout d’abord car historiquement, le 9 mai rappelle que l’URSS était l’un des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, à une époque où les Alliés ont pu dépasser leurs divergences idéologiques pour combattre un ennemi commun.
En 1945, l’URSS et les Alliés signent la capitulation de l’Allemagne nazie. En réalité, cette capitulation sera signée deux fois, car l’URSS a dû imposer son intérêt national, d’une capitulation totale de l’Allemagne in fine reconnue par tous les Alliés. Et elle l’a pu, car elle était alors en position de force pour ce faire.
Une première fois, la capitulation de l’Allemagne sera signée le 7 mai à Reims. « Au nom du Haut Commandement allemand, il a été signé par le chef d'état-major opérationnel du commandement suprême des forces armées allemandes, le colonel général Alfred Jodl ; au nom de la partie anglo-américaine, par le chef d'état-major général de la force expéditionnaire alliée, le lieutenant-général de l'armée américaine Walter Bedell Smith ; au nom de l'URSS, par le représentant du quartier général du commandement suprême auprès du commandement allié, le général de division Ivan Sousloparov. À ce moment-là, il n'avait reçu aucune instruction du commandant en chef suprême et avait signé l'acte à la condition que ce document n'exclue pas la possibilité de signer un autre acte à la demande de l'un des pays alliés. L'acte a également été signé en qualité de témoin par le chef d'état-major adjoint de la Défense nationale, le général de brigade François Sevez. La capitulation de l'Allemagne nazie est entrée en vigueur le 8 mai à 23h01, heure médiane d'Europe (le 9 mai à 01h01, heure de Moscou). Le document a été rédigé en anglais et seul le texte anglais a été considéré comme officiel. » .
On voit clairement ici la tentative d’une prédominance anglo-saxonne. Ainsi, le 8 mai, les dirigeants américains, britanniques et français se sont dépêchés d’annoncer la victoire sur l’Allemagne nazie, mais les Soviétiques n’ont pas accepté et ont exigé la signature d’un nouveau document de capitulation sans condition de l’Allemagne, puisque les combats continuaient sur le front germano-russe, violant ainsi l’accord de Reims.
Staline a alors demandé qu’une capitulation de l’Allemagne soit formellement signée à Berlin, expliquant ainsi la position de l’URSS : « Le traité signé à Reims ne peut être annulé, mais il ne peut pas non plus être reconnu. La capitulation doit être accomplie comme l'acte historique le plus important et acceptée non pas sur le territoire des vainqueurs, mais là d’où l'agression fasciste est partie – de Berlin –, et non pas unilatéralement, mais nécessairement par le commandement suprême de tous les pays de la coalition anti-hitlérienne. ».
Le Maréchal Joukov a été mandaté pour établir la capitulation absolue de l’Allemagne. Ainsi, le 8 mai un nouvel accord a été signé à Berlin, cette fois-ci dans toutes les règles de l’art, à 22h (heure européenne) et 24h (heure de Moscou) et la cérémonie a été ouverte par le Maréchal Joukov, qui a salué les armées alliées : « L'acte a été rédigé en neuf exemplaires (trois exemplaires chacun en russe, en anglais et en allemand). Au nom de la partie allemande, le document a été signé par : le chef du commandement suprême de la Wehrmacht, le maréchal Wilhelm Keitel ; le représentant de la Luftwaffe (armée de l'air), le colonel général Hans Stumpf ; et le représentant de la Kriegsmarine (marine), l'amiral Hans von Friedeburg. La capitulation sans conditions fut acceptée par le maréchal Gueorgui Joukov (du côté soviétique) et le commandant en chef adjoint des forces expéditionnaires alliées, le maréchal Arthur Tedder (Grande-Bretagne). Le général Carl Spaatz (USA) et le général Jean de Lattre de Tassigny (France) ont signé comme témoins. ».
L’URSS reprend la main et s’impose dans le processus de fin de guerre. Car pour remporter réellement une victoire, encore faut-il être reconnu comme vainqueur. L’URSS le fut, et elle ne l’a évidemment pas négocié, elle n’a pas permis aux États-Unis de s’attribuer un rôle, qui n’était pas le leur.
La deuxième et non moins importante raison pour laquelle les Atlantistes ne peuvent accepter le 9 mai est idéologique.
Comment l’Occident atlantisé pourrait-il accepter la manière dont la capitulation a été signée ? Il ne le peut pas.
Imaginez : la première mise en scène anglo-saxonne mise de côté, le représentant américain finalement mis sur le même plan que le Français, celui des « témoins ». Le 9 mai doit être gommé, car les Atlantistes doivent effacer le rôle majeur tenu par l’armée soviétique au sein des Alliés. Par ailleurs, il faut gommer Staline, figure diabolisée surtout en raison justement de cette Victoire (puisque le sang sur les mains de Trotsky ne l’empêche nullement d’être adulé en Occident). Une diabolisation, qui n’empêche pas la sympathie populaire en Russie, où symboliquement la question du retour à Stalingrad a été posée par les habitants de Volgograd.
Sans cette épuration globaliste de l’histoire, Trump ne pourra pas recoller les morceaux éparpillés du Monde global autour d’un seul centre de pouvoir, les États-Unis, qui ne peuvent donc, eux-seuls, être Le vainqueur.
Ainsi, le discours politico-officiel des élites atlantistes occidentales « oublie » de mentionner l’URSS au rang des vainqueurs, la Russie n’est plus invitée aux cérémonies officielles en Occident, les gens sont sommés d’oublier l’histoire, leur histoire. Car un peuple sans passé est un peuple sans avenir. Les « peuplades » du Monde global ne peuvent avoir d’avenir, ce ne sont que des troupeaux. Les troupeaux n’ont pas d’histoire.
Tout le territoire de l’URSS a été assailli, dès sa chute. Et ce territoire est historiquement immense. Puisque les Occidentaux ont tendance à l’oublier, rappelons que l’URSS a petit à petit réussi à quasiment reconstituer le territoire de l’Empire russe, le Monde russe, et en faisaient partie, en plus de la Russie actuelle, les républiques suivantes, « indépendantes » à compter de 1991 : la Biélorussie, l’Ukraine, l’Arménie, la Géorgie, la Moldavie, l’Azerbaïdjan, l’Ouzbekistan, le Turkmenistan, le Tadjikistan, le Kazakhstan, la Kirghizie, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie.
La puissance symbolique du 9 mai se mesure à l’aune de l’intensité des assauts, sans cesse menés contre elle. Dans les années 90 en Russie, le pouvoir « post-soviétique » globaliste n’osait pas fêter le 9 mai. Ainsi, le Président Eltsine a-t-il organisé le 9 mai 1992 une « parade de la Paix » , avec un défilé des orchestres militaires non seulement des pays alliés, américains en tête, mais aussi allemands et italiens. Les défilés militaires n’ont pu reprendre régulièrement qu’à partir de 1995.
Il y a peu de temps de cela, l’Union européenne a menacé les pays membres de l’Union dont les représentants envisageaient d'aller faire un tour à Moscou le 9 mai. Aucun des représentants des pays de l’Est, membres de l’UE, n’osait pourtant y penser. Hormis la Slovaquie. Ainsi, la Slovaquie et la Serbie, elle candidate à l'entrée dans l'UE, ont été représentées au plus haut niveau à Moscou ce 9 mai. Ce qui a été fortement remarqué. D’autant plus que leurs dirigeants, présents sur le Place Rouge, avaient soudainement eu des problèmes de santé, quelques jours avant leur visite.
C’est également pourquoi, pour ce 9 mai, les dirigeants français, allemand et britannique ont osé se retrouver à Lvov, le berceau du mouvement pro-nazi ukrainien, pour assurer leur soutien au front ukrainien et exiger la capitulation sans condition de la Russie.
C’est aussi la raison pour laquelle les Atlantistes, par la voix de Zelensky, ont menacé la sécurité des délégations étrangères, qui oseraient venir à Moscou pour les cérémonies des 80 ans de la Victoire. Une victoire contre le nazisme bien sûr, mais aussi contre les pays collaborateurs, ce qu’étaient la plupart des pays membres de l’UE. Or, il y avait 29 délégations étatiques étrangères sur la Place Rouge ce 9 mai. C’est une victoire politique et diplomatique de la Russie. C’est une défaite politique des Atlantistes.
C’est une victoire pour autant tactique, qui donne l’espoir d’une victoire stratégique possible à venir. Mais, celle-ci doit encore être acquise. L’histoire est écrite par les vainqueurs. L’URSS a pu construire le 9 mai comme symbole de la nation pour tout le Monde russe, car elle a pu s’imposer comme vainqueur de la Seconde Guerre mondiale et qu’ensuite elle s’est imposée comme centre géopolitique, comme centre de pouvoir. Elle n’a pas négocié sa place, elle l’a gagnée. À sa chute, l’histoire qui avait commencé à être réécrite à l’Ouest s’est reportée à l’Est, au sein même du Monde russe.
Détruire et reconstruire le 9 mai est une mission essentielle pour les Atlantistes, afin d’achever l’éclatement du Monde russe, le faire disparaître dans une illusion post-moderne, avant qu’il ne prenne simplement la poussière dans quelques livres d’histoire pour finalement disparaître. Différentes méthodes sont utilisées, allant de l’échauffement d’un nationalisme local dans ces républiques post-soviétiques à la négation du rôle de l’URSS en général et au discrédit du sacrifice réalisé.
Pour pouvoir défendre son histoire, la Russie doit être en position de force. Pour que Trump and Co ne puissent s’attribuer des palmes, qu’ils ne méritent pas. Et pour que les territoires et les peuples du Monde russe n’oublient pas leur histoire, leur unité au-delà des aléas de la géopolitique. Pour qu’ils se souviennent que c’est leur seule voie d’existence – physique. Pour détruire une nation, il suffit de lui faire oublier son histoire, s’il n’est pas possible de la conduire à la renier.
En organisant les célébrations du 9 mai, la Russie nous a donné la possibilité de réveiller nos mémoires nationales. Nous, chacun dans nos pays. À nous désormais de nous souvenir de notre histoire, de la ramener à la vie et de ne pas accepter docilement notre dilution dans une histoire globale, réécrite pour les besoins de la domination atlantiste.