«C'est l'initiative russe en Syrie qui est désormais la nouvelle cible des bombes britanniques»

Le Royaume-Uni lance sa campagne de bombardements en Syrie, mais pas principalement pour combattre Daesh, explique l'expert britannique John Laughland.

Fin août 2013, la Chambre des Communes à Londres a surpris le monde entier en votant contre le gouvernement de David Cameron qui voulait lancer, avec les Américains, une guerre contre la Syrie. C'était grâce à ce vote que le régime de Bachar al-Assad est toujours au pouvoir.

Le fait que David Cameron veuille attaquer tantôt le régime syrien, tantôt les ennemis du régime syrien, prouve qu'il n'a aucune cohérence politique

Hier soir, et après un débat long et vif tel qu'il n'y en a eu ni en France ni aux Etats-Unis, la Chambre des Communes a donné sont feu vert mais pour lancer une guerre inverse, contre l'Etat islamique cette fois. Depuis un an, en effet, la Royal Air Force bombarde l'Etat islamique en Irak mais non pas en Syrie, et ceci à cause du vote de 2013. Les bombardiers britanniques larguent depuis quelques heures leurs missiles maintenant sur la Syrie aussi, tout comme les Français et les Américains le font depuis un an.

David Cameron semble donc avoir remporté une victoire tardive qui rattrape sa défaite antérieure. En réalité, sa victoire n'est qu'apparente. Le fait que le même homme veuille attaquer tantôt le régime syrien, tantôt les ennemis du régime syrien, prouve qu'il n'a aucune cohérence politique. Tout comme le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, qui vient de demander «pourquoi pas» la France ne combattrait pas ensemble avec les troupes du régime syrien, alors que toute sa politique depuis 2011 est basée sur l'approche inverse, David Cameron fait comme si ses erreurs d'hier n'avaient pas existé.

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David Cameron avait affirmé que les frappes britanniques seraient déployées en coordination avec les opérations militaires de «70 000» combattants non islamistes. Ce chiffre semble relever de la plus pure fantaisie

Pendant le débat, qui par ailleurs était riche dans la meilleure tradition du parlementarisme britannique, aucune clarté n'a été ni demandée ni obtenue sur l'attitude à adopter vis-à-vis de l'armée syrienne. Celle-ci est pourtant, et de loin, la plus grande force armée du pays. David Cameron s'est de nouveau ridiculisé en évoquant une possible future coopération avec les troupes syriennes d'un «gouvernement de transition» aujourd'hui inexistant. Parier sur un changement de régime en Syrie à l'avenir, en faisant abstraction du régime syrien actuel, c'est tout simplement poursuivre une politique à l'aveuglette.

Avant le débat d'hier, David Cameron avait affirmé que les frappes britanniques seraient déployées en coordination avec les opérations militaires de «70 000» combattants non islamistes. Ce chiffre semble relever de la plus pure fantaisie. La réalité, selon une députée musulmane membre de la Commission des Affaires Etrangères qui vient de rentrer du Moyen Orient où elle a obtenu ses renseigements, est que ces fameuses troupes modérés sont au nombre de 10 000 ou 15 000 au maximum, un chiffre qu'il convient de comparer aux 40 000 ou 50 000 troupes qu'il faudrait, toujours selon Yasmin Qureshi, pour prendre la ville de Raqqa où l'Etat islamique a son QG.

La politique occidentale, c'est le bombardement pour le bombardement

Ce qui compte dans un combat militaire, en effet, c'est l'occupation du territoire, non pas le contrôle de l'espace aérien. Celui-ci n'est qu'un moyen pour atteindre celui-là. Une campagne aérienne qui ne couvre pas des troupes au sol est pire qu'une absurdité, c'est un fantasme enivrant qui permet à un impuissant de se donner une impression de puissance. La Russie a compris ce fait élémentaire de la logique militaire, en lançant sa campagne de bombardement en coordination étroite avec les forces de l'armée syrienne et avec le but déclaré d'appuyer celle-ci. Mais sans aucun accord sur les troupes au sol à appuyer, il ne peut y avoir aucune alliance entre, par exemple, la Russie et les pays occidentaux. La dégringolade des rapports entre Moscou et Ankara n'est que la manifestation éclatante de ce différend radical entre la Russie et l'OTAN sur la question centrale dans la guerre syrienne, à savoir l'avenir de Bachar al-Assad.

Désaccord, donc, sur les buts à atteindre; désaccord aussi sur les moyens pour y parvenir. La politique occidentale, c'est le bombardement pour le bombardement. En effet, souvent dans le débat d'hier, les opposants à cette nouvelle campagne ont évoqué les désastres qui sont la Libye, l'Irak et même l'Afghanistan. A aucun moment, en revanche, la campagne aérienne contre la Yougoslavie en 1999 n'a été évoquée. Cette guerre est tout simplement jetée aux oubliettes de l'histoire - et pour cause. Après 74 jours de bombardement intense, suite auxquels le président yougoslave, Slobodan Milosevic, a capitulé en retirant ses troupes du territoire du Kosovo, l'armée serbe était totalement intacte. Elle a quitté le Kosovo indemne. Le passage de pouvoir aux Albanais n'est intervenu qu'au moment où les troupes de l'OTAN et les terroristes de l'UCK ont occupé ce territoire à sa place.

Le but du Royaume-Uni est de rattraper du terrain politique perdu à la Russie pour la frustrer dans ses objectifs

Les dirigeants occidentaux savent tout cela fort bien. Quelle est donc l'explication pour la décision britannique? Elle est géopolitique. Ce ne sont pas les attentats terroristes à Paris qui ont poussé les Britanniques à rejoindre la «coalition» franco-américaine. C'est la campagne aérienne russe.

L'annonce de cette campagne russe a profondément renversé l'échiquier en Syrie. En soutenant ouvertement Damas, Moscou s'est profilé comme une puissance incontournable au Moyen-Orient, et dans le monde, qui va peser sur l'évolution politique de la Syrie. Elle a saisi l'initiative de façon tellement flagrante que l'Occident était en mauvaise posture pendant plusieurs semaines avant de bricoler sa réponse inadéquate.

Mais c'est bien cette initiative russe qui est désormais la nouvelle cible des bombes britanniques. Il ne s'agit pas de rallier la position russe ou de mettre de coté, ne serait-ce que provisoirement, les différends sur Assad pour donner la priorité à l'ennemi principal. Il s'agit au contraire de rattraper du terrain politique perdu à la Russie pour la frustrer dans ses objectifs. La guerre entre la Russie et l'Occident en Syrie vient de monter d'un cran.

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