L’Europe schizophrène sur la Turquie

L’accord conclu il y a quelque jours, à la demande de l’Allemagne, entre Bruxelles et Istanbul relève soit de la légèreté, soit de l’aveuglement.

Il existe un proverbe français qui explique que «lorsque l’on accepte de dîner avec le diable, il vaut mieux avoir une très longue cuillère». En pleine crise des migrants, auxquels la Turquie sert de principal point de passage, mais aussi au moment même où les pays occidentaux ont décidé de porter davantage le fer contre l’Etat Islamique avec lequel la Turquie joue un jeu plus que trouble, les Européens ont décidé de négocier avec les pouvoirs publics turcs, comme si ceux-ci étaient fiables. Cela relève soit de la légèreté, soit de l’aveuglement, soit de la schizophrénie.

Monsieur Erdogan est parvenu à obliger Bruxelles à rouvrir des négociations sur l’idée absurde que son pays devienne le vingt-neuvième européen

Dimanche dernier, Bruxelles a donc décidé d’accorder une aide de 3 milliards d’euros en faveur de la Turquie, qui devra en retour freiner l'arrivée des réfugiés en Grèce. Ce geste annoncé par le Polonais Donald Tusk, président du conseil européen, intervient quelques jours après une visite d’Angela Merkel auprès de Recep Tayyip Erdogan pour le supplier de retenir le flot de migrants qui passent par la Turquie et cherchent à rejoindre l’Allemagne. C’est-à-dire que celle que l’on présente comme «la femme la plus puissante du monde» a fait un déplacement à Istanbul pour «dealer» avec le chef de l’Etat turc, dont chacun sait qu’il ne tiendra jamais ses promesses.

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Et ce n’est pas tout, puisque la Commission européenne a fait deux concessions majeures aux Turcs. D'abord la promesse d'une exemption de visa pour les 75 millions de Turcs, dès octobre 2016 à condition qu’Ankara s’engage à réadmettre systématiquement les clandestins qui continueraient de passer. Ensuite, la réouverture des négociations concernant l’adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Depuis deux ans, les Européens s’étaient heureusement résolus à admettre que la place de la Turquie était en Asie Mineure et non en Europe. Monsieur Erdogan, avec sa menace de déverser sur l’Europe des millions de migrants, est parvenu à obliger Bruxelles à rouvrir des négociations, même partielles, sur l’idée absurde que son pays devienne le vingt-neuvième européen.

L’Europe va faire un chèque de 3 milliards d’euros à la Turquie, un pays voyou qui enrichit Daesh tous les jours - et Monsieur Erdogan finira par déverser ses migrants sur l’Europe

A la suite des accords de Munich en 1938, Churchill avait dit aux français «Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre». Ce pacte faustien passé avec la Turquie à l’initiative de l’Allemagne est du même ressort. Non seulement l’Europe va faire un chèque de 3 milliards d’euros à un pays voyou qui enrichit l’Etat islamique tous les jours. Non seulement Monsieur Erdogan finira par déverser ses migrants sur l’Europe. Mais en plus nous avons cédé à toutes les conditions posées par un Etat qui soutient tacitement Daesh et a délibérément abattu un avion russe, dans un acte de guerre frontale. Nous avons déjà le déshonneur d’avoir été quémander l’aide de la Turquie. Et nous ne voulons pas voir que derrière Daesh, à qui nous faisons la guerre mais moins efficacement que la Russie, il y a cette Turquie qui rêve de reconstituer le puissant califat ottoman qui a régné pendant des siècles sur tout le Proche-Orient.