John Shipton, le père du co-fondateur de WikiLeaks Julian Assange, a accordé une interview à RT dans laquelle il a notamment évoqué l’accord de plaidoyer de son fils avec les États-Unis. Selon lui, les Américains sont «impitoyables et vindicatifs» dans «leur poursuite de ceux qu’ils n’aiment pas».
RT : Compte tenu de l'hostilité actuelle de l’Occident à l’égard de la Russie, pouvez-vous nous dire pourquoi vous êtes à Moscou et ce que vous faites en Russie ?
John Shipton : J’espère pouvoir tendre la main de l’amitié entre moi et les Russes car ce n’est que par la paix entre l’Occident, la Russie et les BRICS que le monde pourra vivre dans une certaine harmonie et sans la peur constante de la destruction par les armes nucléaires.
RT : Le rapporteur spécial des Nations unies Nils Melzer a affirmé pendant des années que la façon dont Julian [Assange] avait été traité s’apparentait à des tortures, à la fois physiques et psychologiques. Julian lui-même a-t-il partagé avec vous ce qu’il a dû endurer ? Pouvez-vous nous en faire part ?
J. S. : Non, parce que Julian ne s’est jamais plaint à moi. J’ai eu accès à la façon dont Julian avait été traité et au diagnostic de torture grâce au rapport de 25 pages que le professeur Nils Meltzer a présenté à l’Assemblée générale des Nations unies en 2019, ce qui a été accepté. C’est donc ainsi que j’ai perçu ce que Julian avait enduré. [...] Nous discutions simplement de ce qui pouvait être fait chaque semaine pour défendre sa liberté ou pour l’obtenir. Mais Julian ne s’est jamais plaint de sa situation quotidienne.
RT : Vous avez attendu pendant plus de dix ans que votre fils soit libéré. Pourriez-vous nous faire part de vos pensées, de vos sentiments et de votre réaction quand vous avez appris qu’il serait enfin libéré ?
J. S. : J’étais ravi car un lourd fardeau m’avait été enlevé, ainsi qu’à des centaines de milliers de personnes qui s’étaient battues avec ardeur pour la liberté de Julian pendant de nombreuses années. En fait, certaines de ces personnes ont lutté pendant 15 ans pour la liberté de Julian et sont même devenues une sorte de grande famille qui s’étend au Royaume-Uni, à l’Allemagne, à la France, à la Russie, à la Nouvelle-Zélande, au Canada, à l’Australie et à l’Espagne. En Amérique du Sud, Julian était énormément populaire, le président brésilien Lula et le président mexicain lui ont apporté leur aide.
RT : John, avez-vous douté du fait que vous le reverriez libre ?
J. S. : Non, je n’ai pas utilisé l’espoir comme un outil pour obtenir de l'énergie émotionnelle. Je me suis uniquement appuyé sur la conviction que les gens du monde entier s’opposeraient fermement à l’injustice et commenceraient à écrire à ce sujet en demandant justice. Je l’ai découvert dans un entretien avec le président du Mexique. Nous avons tous deux convenu qu’après des années d’expérience en plaidoyer et, dans le cas du président mexicain, en politique, l’aspect fondamental que nous avions découvert chez les gens était la soif de justice et le dégoût à la vue de l’injustice.
RT : Nous savons que Julian Assange a dû accepter un accord de plaidoyer. Pouvez-vous nous expliquer comment s’est déroulé ce processus, du moins s’il y a des détails que nous ne connaissons pas encore ?
J. S. : Non, je n’ai pas été impliqué de quelque manière que ce soit dans ce processus. Notre travail consistait avant tout à rallier un soutien politique et populaire en Occident afin de créer les conditions permettant aux responsables politiques, aux diplomates et aux avocats de négocier un accord. C’était ça mon rôle. Je n’ai rien eu à voir avec cet accord, et je ne connais toujours pas les détails de l’accord que Julian, les avocats et les diplomates ont négocié.
RT : Compte tenu de tous les détails, s’il n’avait pas accepté cet accord, à votre avis, où en serait l’affaire aujourd’hui ?
J. S. : Dans leur poursuite de ceux qu’ils n’aiment pas, on voit tous que les États-Unis sont clairement impitoyables et vindicatifs. J’imagine donc que sans l’intercession du gouvernement australien, du peuple australien et du Parlement australien, sans ces intercessions, Julian n’aurait pas pu survivre.
RT : Maintenant que Julian est enfin libre, pensez-vous qu’il puisse être tranquille sachant qu’il n’est plus recherché par les États-Unis ?
J. S. : Je pense que l’accord conclu par les diplomates et les avocats avec les États-Unis est suffisamment solide pour permettre à Julian de mener une vie normale avec sa famille et de continuer son travail d’éditeur et de journaliste. Je n’ai donc pas de craintes à ce sujet. De plus, aux États-Unis, tous les quatre ans, il y a un énorme spectacle autour de l’élection présidentielle. Comme on dit en Inde, quand les éléphants se battent, l’herbe en souffre. On ne voit aucun autre aspect de la vie américaine ou occidentale hormis la question de savoir qui sera élu président. Après l’élection, de nombreuses autres facettes de la vie occidentale et américaine commenceront à nouveau à se manifester.
RT : Depuis des années, les médias occidentaux salissent le nom et la réputation de Julian. Vous le connaissiez personnellement. Comment y avez-vous fait face en tant que père ?
J. S.: J’ignore simplement ce type de choses et je me demande souvent pourquoi les gens gaspillent l’énergie et le temps précieux qu’ils ont sur cette planète à inventer des méchancetés à propos d’autres personnes. Pour moi, ça n’a pas de sens. J’aime bien mieux préparer un repas, retrouver mes amis et boire quelques verres de vin ensemble en nous racontant des histoires drôles. Je ne comprends pas très bien ce comportement, et ça ne m’a donc jamais dérangé. Toutefois, il s’agissait d’un acte politique, d’un acte social et politique visant à détruire la réputation de Julian pour que le Royaume-Uni et les États-Unis puissent s’en prendre à lui et l’écraser. Nous avons tout simplement lutté contre cela et nous avons réussi. Nous avons appris à formuler notre message de façon claire pour le public qui le comprenait et le partageait. Nous avons également appris à mobiliser un soutien politique au sein des sociétés en question, à savoir les États-Unis et le Royaume-Uni, mais surtout, bien sûr, le pays d’origine de Julian, dont il est citoyen, l’Australie.
RT : Beaucoup disent que le journalisme ne sera plus comme avant. À votre avis, quel impact l’expérience de Julian aura-t-elle sur l’avenir du journalisme ?
J. S. : En ce qui concerne les médias prétendument traditionnels, il est évident qu’ils sont limités d’une manière très significative dans leur couverture des événements. Je les considère en grande partie comme un instrument atténué des gouvernements. Ils agissent dans l’intérêt de certaines couches du gouvernement. Selon eux, c’est précisément cela leur responsabilité. En outre, chacune de ces grandes sociétés dispose de licences : licence de bande de fréquences, licence de diffusion, etc. En conséquence, les gouvernements exercent un pouvoir énorme sur ces sociétés. Ainsi, le véritable avenir de la connaissance et de sa diffusion repose sur les médias dits alternatifs et l’influence croissante des médias sociaux. L’avenir appartient à la compréhension d’égal à égal, aux réseaux diffusés et aux médias alternatifs : blogs, médias – ce que j’appelle médias civiques et ce que tout le monde appelle médias sociaux –, médias civiques diffusant les points de vue, la vision et les découvertes de chercheurs et des gens ordinaires. Résultat : le flux d’information pénètre dans la société et se transforme en connaissances. Une fois l’information devenue une connaissance dans la société, elle contribue à l’élaboration de politiques appropriées au sein du pouvoir. C’est là que l’avenir se situe, je pense.
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