Ce que la saga Assange révèle sur l’état de l’empire américain

Ce que la saga Assange révèle sur l’état de l’empire américain© Yuichi YAMAZAKI Source: AFP
Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, quitte le palais de justice fédéral américain du Commonwealth des îles Mariannes du Nord, à Saipan, le 26 juin 2024 (photo d’illustration).
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Les alliés des États-Unis ont lâchement capitulé face à Washington qui avait réclamé la tête du journaliste, cependant sa soudaine libération apporte une lueur d’espoir.

Cette semaine, l’éminent journaliste et fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a été libéré d’une prison britannique après avoir conclu un accord avec les autorités américaines et le président Joe Biden.

L’accord impliquait qu’Assange plaide coupable d'un chef d'accusation relatif à l'obtention et la divulgation d'informations sur la défense nationale, en vertu de la loi américaine sur l’espionnage — 17 autres chefs d’accusation tombant également sous le coup de cette loi ont été abandonnés —, à la suite de quoi il serait ensuite gracié par le président Biden.

Après avoir été libéré de la prison de Belmarsh, Assange a été immédiatement transporté par avion affrété vers l’île de Saipan — capitale des Mariannes dans le Pacifique — sous contrôle américain, où il a comparu devant un juge du tribunal de district américain et a officiellement plaidé coupable.

Assange, citoyen australien, est ensuite retourné en Australie, mettant ainsi fin (pour le moment du moins) à la saga qui a débuté en octobre 2010, lorsque WikiLeaks a publié une multitude de documents classifiés, relatifs à l’implication des États-Unis dans leurs guerres malavisées et désastreuses en Afghanistan et en Irak.

Ces documents classifiés avaient été divulgués à Assange par Chelsea Manning, une ancienne soldate américaine, et leur publication a mis Washington et l’armée américaine dans un grand embarras.

Les documents divulgués ont révélé, entre autres crimes et activités douteuses, que l’armée américaine avait tué des civils non armés en Irak (voir la tristement célèbre vidéo du « meurtre collatéral ») et que les États-Unis avaient régulièrement espionné les dirigeants des Nations Unies.

«Un conte salutaire sur l’exercice du pouvoir américain»

Furieux de voir leurs activités néfastes dévoilées au grand jour, les États-Unis ont répondu en fabriquant de fausses accusations d’agression sexuelle portées contre Assange en Suède, dans le but de le faire extrader vers l’Amérique après sa condamnation.

Assange a réagi en se livrant aux autorités de Londres et a entamé une procédure devant les tribunaux britanniques pour éviter d’être extradé vers la Suède.

En juin 2012, Assange a échappé à la libération sous caution et a cherché asile à l’ambassade équatorienne à Londres, où il est resté de facto prisonnier pendant les sept années suivantes.

En 2017, les accusations suédoises ont été abandonnées, et en 2018 Assange a été officiellement inculpé par le ministère américain de la Justice, déclenchant ainsi une longue bataille devant les tribunaux britanniques pour éviter d’être extradé vers les États-Unis, qui n’a pris fin que cette semaine.

En avril 2019, Assange a quitté l’ambassade équatorienne et a été arrêté par la police britannique et emprisonné pour avoir violé les conditions de sa libération sous caution en 2012. Il est resté en prison à Londres jusqu’à sa libération cette semaine.

La saga Assange est un conte salutaire sur l’exercice du pouvoir américain alors que l’empire américain décline, et sur la volonté continue des alliés des États-Unis, comme le Royaume-Uni et l’Australie, de se conformer aux exigences américaines même lorsqu’elles impliquent la persécution des citoyens de ces pays alliés.

La libération d’Assange est logiquement décrite par certains commentateurs comme une sorte de victoire - la Fédération internationale des journalistes l’a qualifiée de « victoire significative pour la liberté des médias » — et dans la mesure où Assange a retrouvé sa liberté personnelle, c’est bien le cas.

Mais il ne faut pas oublier qu’au cours des 14 dernières années, les États-Unis ont réussi, avec la complicité abjecte des gouvernements et des autorités du Royaume-Uni et d’Australie, à emprisonner un journaliste d’envergure internationale pour s’être simplement engagé dans un véritable journalisme d’investigation.

Assange est un journaliste et non pas un lanceur d’alerte ou un divulgateur de documents classifiés. La publication par Assange des documents classifiés en question n’a pas non plus causé de réel préjudice aux États-Unis, si ce n’est de les avoir mis dans l’embarras en révélant la vérité sur le comportement des États-Unis lors de leurs guerres en Afghanistan et en Irak.

L’engagement légendaire de l’Amérique en faveur de la liberté d’expression et de la presse, symbolisé par le premier amendement de sa constitution, n’a jamais été absolu, mais, comme le montre clairement la saga Assange, il n’a probablement jamais été aussi faible qu’au cours de ces dernières décennies.

Cela n’est pas surprenant, étant donné que la poursuite des objectifs intrinsèquement corrompus de l’Empire à l’étranger doit inévitablement entraîner une restriction des libertés intérieures.

Persécution d’Assange : le déclin américain en toile de fond

Barrington Moore Jr a décrit cette relation comme «une agression à l’étranger et une répression à l’intérieur», au plus fort de la guerre du Vietnam, à la fin des années 1960 ; et les pères fondateurs de l’Amérique étaient bien conscients de la façon dont les Britanniques avaient été corrompus par leur Empire.

Washington, dans son discours d’adieu, a mis en garde contre l’implication de l’Amérique dans des «intrications à l’étranger», et John Quincy Adams a déclaré : «l’Amérique ne va pas à l’étranger à la recherche de monstres à détruire. Elle est la partisane de la liberté et de l’indépendance de tous».

Et Edmund Burke, homme d’État britannique conservateur du XVIIIe siècle et critique sévère de la politique britannique en Amérique et en Inde, a souligné que «ceux qui transgressent la loi en Inde sont aussi ceux qui font la loi en Angleterre».

Il n’est donc guère surprenant que la persécution d’Assange par les États-Unis se soit produite à une époque où l’Amérique s’est engagée dans des guerres en Afghanistan et en Irak et a encouragé et financé des guerres par procuration à Gaza et en Ukraine.
Et il ne fait absolument aucun doute que si Assange avait été extradé vers les États-Unis et jugé par un tribunal américain, il aurait été condamné à une très longue peine de prison. Un procureur a suggéré qu'une peine de 175 ans aurait été appropriée à son encontre.

Il ne faut pas non plus oublier que la persécution d’Assange par l’Amérique a été menée sur une base bipartite. Les Démocrates et les Républicains étaient tout aussi désireux de mettre Assange en prison. Hillary Clinton était une critique particulièrement virulente d’Assange, tout comme Biden jusqu’à tout récemment. En fait, Donald Trump avait une certaine sympathie pour Assange parce que WikiLeaks avait publié les courriels qui avaient porté atteinte à la réputation de Clinton avant les élections de 2016.

Le déclin interne de l’Amérique au cours des 50 dernières années peut être évalué en comparant le sort probable d’Assange avec ce qui est arrivé à Daniel Ellsberg qui a divulgué les fameux Pentagon Papers au Washington Post au début des années 1970. Lorsqu’Ellsberg a été poursuivi, les tribunaux américains ont rejeté l’affaire au motif que l’administration Nixon avait soumis Ellsberg à des persécutions illégales.

Tout aussi troublant — en particulier pour les citoyens du Royaume-Uni et de l’Australie - est le fait que, jusqu’à tout récemment, les gouvernements de ces deux pays ont lâchement capitulé devant les demandes américaines concernant Assange.

Ici en Australie, le gouvernement conservateur qui a été au pouvoir jusqu’en 2022 a refusé de faire quoi que ce soit pour soutenir Assange pendant une décennie. Et ce n’est que très récemment que le gouvernement travailliste d’Anthony Albanese a entamé des négociations avec l’administration Biden pour organiser la libération d’Assange.

Le cas Assange : poids mort pour la campagne de Joe Biden ?

Au Royaume-Uni, le gouvernement conservateur n’a montré que peu ou pas d’intérêt pour la saga Assange et s’est contenté du fait que l’affaire soit portée devant les tribunaux. Le Parti travailliste de Kier Starmer n’a pas non plus soutenu Assange, bien que Jeremy Corbyn, à son honneur, l’ait fait.

Et jusqu’à tout récemment, les tribunaux britanniques ont toujours statué contre Assange. Cette approche a changé cette année lorsque la Cour d’appel du Royaume-Uni a autorisé Assange à faire appel de sa dernière décision défavorable, et a manifesté un intérêt tardif à garantir qu’Assange puisse se prévaloir des droits du premier amendement s’il était extradé et jugé par un tribunal américain. L’appel d’Assange devait être entendu au début du mois prochain.

Il semble que l’accord conclu cette semaine doive à la volonté du président Biden d’éviter que la saga Assange ne devienne un enjeu électoral : apparemment, le dirigeant perpétuellement déboussolé de l’empire américain chancelant est particulièrement désireux de conserver le soutien de la jeune aile radicale du Parti démocrate qui soutient Assange depuis un certain temps.
Ici, en Australie, la réaction des politiciens et des médias conservateurs à cet accord était prévisible : condamnation d’Assange pour avoir osé révéler la vérité sur le bellicisme des États-Unis et mettre en danger la précieuse alliance américaine, assortie de vives critiques envers Biden pour avoir réglé le problème autrement qu’en laissant Assange pourrir dans une prison américaine jusqu’à la fin de ses jours.

Néanmoins, on ne pouvait attendre autre chose de la part de ces gens perpétuellement coincés, comme ils le sont, dans leur vision du monde relevant d’une quasi-guerre froide : cherchant à justifier absolument tout ce que fait l’Amérique sur la scène mondiale, y compris ce qui se passe à Gaza ; exigeant un soutien accru au régime défaillant de Volodymyr Zelensky en Ukraine ; et s’échinant à saboter les relations entre l’Australie et la Chine qui se sont récemment améliorées.

Un aspect optimiste de la fin de la saga Assange est que ces intérêts conservateurs aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni ne sont finalement pas parvenus à persécuter Assange jusqu’au bout et que leur échec est en grande partie dû aux protestations publiques généralisées et aux campagnes de soutien à Assange qui ont eu lieu dans de nombreux pays au cours des 14 dernières années.

La libération d’Assange est peut-être aussi un signe supplémentaire que la puissance de l’Empire américain continue de décliner.

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