Condamnation de Trump : invoqué à tort et à travers, le narratif démocratique trahit la fragilité de l'Amérique

Condamnation de Trump : invoqué à tort et à travers, le narratif démocratique trahit la fragilité de l'Amérique Source: AFP
Donald Trump le 31 mai 2024 (image d'illustration).
Suivez RT en français surTelegram

Les détracteurs de Donald Trump voient dans la remise en cause de sa condamnation judiciaire une «menace contre la démocratie». Cette rhétorique creuse et exagérée témoigne d’une crise profonde, dénonce Henry Johnston.

Le verdict dans le procès de Donald Trump pour avoir acheté le silence de Stormy Daniels a fait s’activer les personnages habituels de toutes les manières prévisibles. Et çà et là, on entend le mot «démocratie».

«Donald Trump menace notre démocratie», a fait remarquer le président Biden lui-même en qualifiant de «dangereuse» la remise en cause du verdict par l’ancien président. La rédaction du New York Times a salué une «manifestation remarquable des principes démocratiques» lors de la condamnation de l’ancien président, et affirmé que cela prouvait que même des personnes aussi puissantes que Trump n'étaient pas au-dessus de la loi.

Le mot «démocratie» est omniprésent en Occident

Le mot «démocratie» est aujourd’hui omniprésent dans le monde occidental. Pas un jour ne passe sans que l’on nous appelle à la défendre, à la protéger, à lutter contre ses ennemis jurés ou à célébrer ses vertus par des clichés pompeux. L’usage précis et neutre a cédé la place à une teinte idéologique aussi galvanisée que floue. 

On dirait que le mot est invoqué pour défendre un certain ordre américain en déclin et les institutions d’élite qui le soutiennent : pourtant, comme son cousin «l’ordre fondé sur des règles», celui-ci n’est jamais vraiment défini. Aux présidentielles américaines de 2024, comme ils le prétendent, c’est la démocratie elle-même qui sera en jeu. Peu importe ce que cela signifie. Si Trump est la figure démoniaque archétypique aux yeux du beau monde, la démocratie est le rempart contre lui.

La démocratie a été imprégnée d’une puissance métaphysique primitive qui semble presque remplacer la foi religieuse.

Lors de son discours sur l’état de l’Union en 2023, Biden a exhorté à guérir le cancer une fois pour toutes et a enchaîné immédiatement par un résumé imposant de ce qui sous-tendait depuis toujours tous les succès américains et qui, implicitement, soutiendra ceux à venir, comme le traitement du cancer.

Revenez un siècle en arrière et remplacez le mot «démocratie» par «grâce de Dieu» et tenez le même discours, personne ne broncherait.

«Les amis, il y a une raison pour laquelle nous avons réussi à faire tout cela : notre démocratie elle-même». Biden a conclu : «Tout est possible avec la démocratie. Sans elle, rien n’est possible.»

Revenez un siècle en arrière et remplacez le mot «démocratie» par «grâce de Dieu» et tenez le même discours, personne ne broncherait. La démocratie est un bouclier contre les accusations d’actes répréhensibles. La défense avancée contre les accusations de crimes de guerre qui pèsent sur les dirigeants israéliens est que le pays est une démocratie. Comme si la façon dont un gouvernement élit ses dirigeants changeait les lois de la guerre.

Une invocation qui trahit son dysfonctionnement profond

Mais ce qui est curieux, c’est que cette omniprésence nauséabonde du mot «démocratie» a coïncidé avec une période de dysfonctionnement profond dans les démocraties autoproclamées actuelles. Plus on en parle, moins elle semble fonctionner, et plus l’écart entre ce qui est proclamé et ce qui est mis en pratique est grand. Parmi les pays qui proclament le plus fort leur démocratie, nombreux sont ceux qui se tiennent à l’avant-garde de la mise en œuvre de politiques fortement antidémocratiques.

Il serait facile de se laisser emporter en soulignant l’hypocrisie flagrante de l’Occident qui embrasse tout ce qui est démocratique tout en s’enfonçant dans des tendances autoritaires. Un exemple entre cent : au cours du mois, par exemple, un tribunal allemand a rejeté une demande de l’AfD contre le classement de son organisation de jeunesse comme mouvement extrémiste, ce qui signifie que le service de renseignement intérieur allemand peut continuer à surveiller les activités et les communications du parti lui-même. Cela a été salué par le gouvernement comme une victoire. « La décision actuelle montre que notre démocratie a les moyens de se défendre », a soutenu Nancy Faeser, ministre de l’Intérieur.

Il est évident que pour les élites occidentales, la démocratie a fini par signifier un système qui n’est pas gouverné démocratiquement en respectant la volonté du peuple, mais gouverné par des démocrates autoproclamés.

«Tout le discours sur les narratifs indique leur défaillance»

Mais plutôt que d’exposer simplement de nouveaux exemples d’hypocrisie et de doubles standards, il est plus intéressant de chercher à comprendre ce qui explique la prolifération de la démocratie en tant que mème, en corrélation parfaite avec le déclin du phénomène réel. Après tout, le mot démocratie n’a pas toujours été sur les lèvres de chaque homme politique.

Même Woodrow Wilson, prédicateur accompli de l’ordre politique américain, dont la citation « faire du monde un lieu sûr pour la démocratie » est désormais associée de manière indélébile à son nom, ne s’est pas laissé aller à des références trop simplistes au système politique grâce auquel tout est apparemment possible. Lors de la Conférence de paix de Paris en 1919, à la fin de la Première Guerre mondiale, le discours d’ouverture de Wilson ne contenait qu’une référence rapide et modeste à la démocratie.

Et pourtant, à cette époque, l’Amérique pouvait, de manière beaucoup plus justifiée qu’aujourd’hui, prétendre être la démocratie prééminente du monde. Que penser de ce paradoxe ?

Le philosophe germano-coréen Byung-Chul Han propose un cadre de réflexion sur ce phénomène dans son dernier ouvrage, intitulé «La crise de la narration». «Un paradigme ne devient un sujet… que lorsqu’il suscite une profonde aliénation», affirme Han. «Tout le discours sur les narratifs indique leur défaillance», écrit-il. En d’autres termes, le fait que la démocratie soit devenue un sujet brûlant et qu’un narratif soit véhiculé à son sujet sont en soi des signes que quelque chose va mal.

Han poursuit en expliquant que tant qu’une narration sert de «point d'ancrage dans l'existence» — une partie organique du tissu de la vie qui donne sens et orientation — il n'est pas nécessaire d'en parler avec autant d'outrance. Mais explique Han, «la surexploitation de tels concepts commence précisément lorsque les récits perdent leur pouvoir originel, leur force gravitationnelle, leur secret et leur magie». Il conclut en écrivant qu’«une fois qu’ils sont perçus comme quelque chose de construit, ils perdent leur moment de vérité intérieure».

C'est aux historiens de trancher si la démocratie américaine — ou toute autre démocratie occidentale — a réellement possédé une quelconque «vérité intérieure» mais il y a eu sans aucun doute une époque où une culture politique démocratique était simplement «vécue» plutôt que constamment défendue, attaquée ou invoquée. Ce qui était sur le bulletin, n'était pas la démocratie elle-même, mais tout simplement un groupe quelconque de politiciens qui avait émergé du processus démocratique.

Avant notre époque controversée, les gens vivaient la démocratie occidentale avec une confiance assumée, émanant d’une vision du monde qui n'avait pas encore été mise en morceaux. Cela ne veut pas dire que les responsables politiques n'avaient pas leur juste part de querelles, traîtrises, sophismes, combines et même purs dysfonctionnements habituels. Lisez n’importe quel témoignage sur la présidence de Warren Harding pour se défaire de cette illusion — l'expression «en cercle restreint» remonte à cette époque-là. Mais ce qui importe, ce ne sont pas les mérites relatifs des hommes politiques d’une époque ou d’une autre mais plutôt le fait que la vie politique se déroulait au sein d’un système perçu comme sûr en soi et à la défense duquel la société n’était pas constamment poussée à recourir.

L’histoire connaît d’autres exemples d’une théorie politique autrefois essentielle réduite à un récit obsessionnel en pleine phase terminale de crise. La plupart des monarques médiévaux croyaient qu'ils détenaient leur autorité directement de Dieu et qu'ils n'avaient pas de compte à rendre devant les autorités terrestres. La forte composante ecclésiastique des anciennes cérémonies de couronnement témoigne que les deux royaumes divin et terrestre étaient entremêlés. Mais dans l’Europe médiévale, cet entremêlement n'avait jamais été défini avec une certaine vigueur, ni n'avait pris les formes d’un système politique qu’il aurait fallu ensuite défendre, justifier, voire même expliquer. Les rois n’évoquaient pas quotidiennement leur communion avec Dieu.

Elle ne s'est figée dans une doctrine politique succincte — appelée la «monarchie de droit divin» — que tardivement, lorsque toute conviction réelle selon laquelle les rois étaient de véritables émissaires de Dieu sur terre avait pratiquement disparu. La théorie a été développée de manière la plus complète par le roi Jacques VI d'Écosse (plus tard Jacques Ier d'Angleterre) — on lui attribue même l'expression «monarchie de droit divin». Pour le dire avec les mots de Han, quelque chose qui avait été autrefois un «point d'ancrage dans l’existence» avait été transformé en un récit — voire un mème, pour ainsi dire. Lorsque le roi Jacques s'est levé devant le Parlement en 1610 (ce n'était pas exactement un discours sur l'état de l'Union) et a déclaré : «la monarchie est la chose suprême sur terre», il était loin de se douter que la doctrine qu'il prônait avec tant de vigueur était sur le point de disparaître à jamais — du moins en Europe.

Son fils réactionnaire et désespérément déconnecté, Charles Ier, fidèle à la tradition héritée de son père selon laquelle il n'avait de compte à rendre qu'à Dieu, a fini par être décapité pour cette raison. Ailleurs en Europe, des processus similaires se mettaient en place. En France, Louis XIV se considérait comme le représentant de Dieu sur terre, doté du droit divin d'exercer un pouvoir absolu. Il a passé une grande partie de son temps à réprimer les rébellions qui couvaient et à établir sa légitimité à la sueur de son front. Mais ses affirmations absurdes, primitives et exagérées — un genre qui irait bien dans le discours sur l’état de l’Union de Biden — ne peuvent être considérées que comme un signe révélateur de crise.

Cette réaction masque une position de vulnérabilité

Pendant des centaines d’années, l’Europe a produit de bons et de mauvais rois mais même le règne d’un roi terrible n’a pas sapé la confiance dans la monarchie en tant qu’institution ou dans le lien implicite entre les royaumes divin et terrestre. La monarchie elle-même n'était pas «sur le bulletin de vote» chaque fois qu'un nouveau roi accédait au trône. Mais lorsque la magie s'est évaporée et que les rois se sont retrouvés sur la défensive, c'est exactement à ce moment-là qu'ils ont commencé à faire valoir l'importance de leur fonction avec outrance. Il n’est pas difficile de comprendre que cette réaction masque une position de vulnérabilité.

La réaction caricaturalement exagérée aux menaces qui selon eux sont posées par Trump et par d’autres, mettant en péril le temple de la démocratie, n’est qu’une petite partie d’un drame bien plus vaste — et n’en est pas moins une manifestation d’insécurité. Cela signifie que la version actuelle de la démocratie libérale occidentale a perdu sa magie. Elle sera tout de même défendue, attaquée, idéalisée, invoquée — jusqu’à ce qu'elle disparaisse tout simplement et soit remplacée par autre chose.

Raconter l'actualité

Suivez RT en français surTelegram

En cliquant sur "Tout Accepter" vous consentez au traitement par ANO « TV-Novosti » de certaines données personnelles stockées sur votre terminal (telles que les adresses IP, les données de navigation, les données d'utilisation ou de géolocalisation ou bien encore les interactions avec les réseaux sociaux ainsi que les données nécessaires pour pouvoir utiliser les espaces commentaires de notre service). En cliquant sur "Tout Refuser", seuls les cookies/traceurs techniques (strictement limités au fonctionnement du site ou à la mesure d’audiences) seront déposés et lus sur votre terminal. "Tout Refuser" ne vous permet pas d’activer l’option commentaires de nos services. Pour activer l’option vous permettant de laisser des commentaires sur notre service, veuillez accepter le dépôt des cookies/traceurs « réseaux sociaux », soit en cliquant sur « Tout accepter », soit via la rubrique «Paramétrer vos choix». Le bandeau de couleur indique si le dépôt de cookies et la création de profils sont autorisés (vert) ou refusés (rouge). Vous pouvez modifier vos choix via la rubrique «Paramétrer vos choix». Réseaux sociaux Désactiver cette option empêchera les réseaux sociaux de suivre votre navigation sur notre site et ne permettra pas de laisser des commentaires.

OK

RT en français utilise des cookies pour exploiter et améliorer ses services.

Vous pouvez exprimer vos choix en cliquant sur «Tout accepter», «Tout refuser» , et/ou les modifier à tout moment via la rubrique «Paramétrer vos choix».

Pour en savoir plus sur vos droits et nos pratiques en matière de cookies, consultez notre «Politique de Confidentialité»

Tout AccepterTout refuserParamétrer vos choix