Les craintes face à un éventuel retrait américain, le recours excessif à une supposée menace russe et l’orientation de Washington vers l’Asie menacent l'avenir de l'Alliance Atlantique, selon Fiodor Loukianov.
L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord célèbre son 75e anniversaire : c'est cette semaine, mais en 1949, que les documents fondateurs ont été signés à Washington. L’OTAN est si fermement ancrée dans le paysage international que même sa transformation décisive au tournant des années 1980 et 1990 n’a pas ébranlé sa position.
En théorie, le bloc aurait dû prendre sa retraite, ayant rempli sa mission de protéger le «monde libre» de la menace communiste. Mais une autre logique a prévalu : pourquoi abandonner un outil qui avait si bien fonctionné ? Après tout, la principale réussite n’était même pas la victoire dans la Guerre froide elle-même, qui ne faisait aucun doute en Occident, mais le fait qu’elle avait été remportée sans confrontation militaire directe. C’était le résultat d’une politique d’endiguement prolongé et d’épuisement socio-économique progressif de l’ennemi. En d’autres termes, l’OTAN n’était pas un bloc militaire, mais une structure politique très efficace qui pouvait facilement se recentrer sur d’autres objectifs.
Pilier d'un nouvel ordre mondial centré sur l'Occident
Elle faisait face à une mission non triviale : devenir le pilier d’un nouvel ordre mondial centré sur l’Occident.
Laissons de côté la question de l’expansion de l’OTAN vers l’est et celle du développement de territoires autrefois hostiles. On a beaucoup parlé du rôle que cela a joué dans la montée des tensions européennes et dans l’émergence de la crise politico-militaire actuelle. Mais il y a un point encore plus intéressant.
Le contexte international en 2024 montre à quel point les contradictions liées à la structure de l’OTAN et sa réticence à la modifier posent des problèmes de plus en plus complexes à l’Alliance.
La version officielle dit que le bloc n’a jamais été aussi grand (la Suède vient de le rejoindre en tant que 32e pays) ou aussi uni. Selon le discours officiel, le défi lancé par la Russie a uni des alliés prêts à faire front commun contre des autocrates impérialistes agressifs.
La principale source de danger n’est plus l’ennemi (la Russie), mais plutôt le premier allié (les États-Unis).
En fait, la situation est compliquée. La principale source de danger n’est plus l’ennemi (la Russie), mais plutôt le premier allié (les États-Unis). La lutte politique interne en Amérique, dont la principale victime jusqu’à présent a été l’aide militaire à Kiev, et l’éventuelle arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, obligent les États d’Europe occidentale à admettre l’impensable. Les États-Unis abandonneront-ils complètement l’OTAN et changeront-ils leurs priorités ? Après tout, le déclin de l’intérêt de Washington pour le Vieux continent n’est pas une anomalie du trumpisme, mais une tendance constante depuis le début de ce siècle.
La panique à propos de la sortie des États-Unis de l’OTAN sous Trump est très probablement causée par la lutte politique interne. Même si l’ex-président imprévisible le voulait, il n’a aucune autorité pour le faire. En général, Trump est obsédé par autre chose : de son point de vue, toute grande stratégie doit rapporter de l’argent, de préférence, et le plus littéralement possible, en tarif pour des services. D’où ses appels à l’OTAN et aux alliés d’Asie orientale à dépenser davantage pour leur propre défense, réduisant ainsi le fardeau pesant sur le budget américain. L’argument plus complexe selon lequel le contrôle des alliés nécessite des investissements, mais qu’il est rendu au centuple par la capacité de dicter des règles, a peu d'intérêt pour Trump.
Mais répétons-le : il ne s’agit pas de lui. L’administration de Joe Biden, considérée comme «pro-européenne», aimerait bien transférer une grande partie du fardeau des dépenses ukrainiennes aux États de l’UE et semble même les encourager à prendre l’initiative, ce qui n’était pas le cas auparavant. La notion d’autonomie stratégique, vivement débattue les années précédentes, est en train d’être reconsidérée. Sauf qu’actuellement, ce n’est plus une ligne politique séparée.
Et là, il faut revenir à la façon dont l’OTAN était perçue au début des années 1990. La contradiction entre la nature atlantique de l’Alliance et le caractère transcontinental de ses objectifs n’a pas été résolue à l’époque. Le bloc est resté centré sur l’Europe et sur ce qui l’entoure, et les tentatives de l’utiliser pour résoudre des problèmes mondiaux de plus vaste portée ont échoué. En outre, à l’apogée de la mondialisation, on estimait que les outils les plus importants n’étaient pas militaires : les moyens d’influence économiques et sociaux étaient beaucoup plus productifs.
L’évolution de la conjoncture internationale vers la militarisation et l’escalade extrême des conflits majeurs obligent à revoir les capacités. Les États-Unis décrivent la confrontation mondiale comme une confrontation entre les démocraties et les autocraties, la Chine étant un rival stratégique parmi ces dernières. Cela nécessite la mondialisation de l’OTAN et l’extension de ses activités pratiques (sinon de son mandat officiel) au-delà du bassin Atlantique.
Les problèmes que l’expansion de l’OTAN a créés en Europe (...) risquent de se répéter en Asie.
Le monde unifié fondé sur les principes de la mondialisation libérale appartient au passé. Dans ce cadre, on aurait pu dire que l’Alliance occidentale agissait dans l’intérêt de la sécurité universelle. Aujourd’hui, l’OTAN, ou ses incarnations en Asie, ne peuvent plus prétendre assumer les fonctions dont tout le monde a besoin. Le bloc sert les intérêts géopolitiques du « monde occidental ». Par conséquent, les problèmes que l’expansion de l’OTAN a créés en Europe et qui ont déjà entraîné la nécessité éventuelle de respecter les engagements militaires, risquent de se répéter en Asie. Les Européens occidentaux considèrent la Chine comme un partenaire prometteur plutôt qu’une menace, mais dans le cadre d’une politique commune avec les États-Unis, leurs priorités devront être ajustées.
Cependant, cela ne rend pas l’avenir de l’OTAN plus certain.
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