L’industrie indienne de l’animation, qui n’en est qu’à ses débuts, obtient une solution alternative à l’expertise occidentale très coûteuse en se tournant vers sa vieille amie, la Russie.
Le réalisateur indien Gangadhar Salimath a été impressionné par la série d’animation russe Bodo le Barbu (Beardy Bodo) qu’il a découvert récemment au cours du 54e Festival international du film d’Inde (IFFI) basé à Goa. Dans cette série, un bonhomme primitif géant à fourrure noire [rousse] explore le monde préhistorique.
Ce qui a surtout séduit Salimath – qui est originaire de Bangalore dans l’État du Karnataka, dans le sud de l’Inde –, c’est la haute qualité de production qu’il a jugée au niveau de n’importe quel film d’animation mondialement connu. Il n’est donc pas étonnant que Salimath ait décidé de s’associer avec des spécialistes russes pour son prochain film : un long-métrage d’animation en langue kannada. La sortie est prévue ce mois-ci.
De nombreux réalisateurs et producteurs indiens ont regardé des films d’animation russes pendant le Film Bazaar en marge de l’IFFI de Goa. Les films étaient proposés par Roskino, une entreprise d’État chargée de la promotion des films russes sur le marché international.
Roskino, avec le soutien du ministère russe de la Culture, a amené 11 sociétés de cinéma et d’animation russes en Inde, dont Planet Inform Group, Bubble Studios, KIT Film Studio, Igmar, Media Telecom, Pan-Atlantic Studio, Dream Film Company, Association des femmes productrices de films, Voronej Animation Studio et Riki Group. Les studios russes présentaient pour la deuxième fois leurs animations au Film Bazaar marquant ainsi la première entrée à grande échelle du pays sur le marché cinématographique indien. Cette année, la Russie était représentée par des films d’action, des drames sportifs, des comédies, des documentaires et des films d’animation – au total plus de 45 projets.
Le Film Bazaar a laissé aux réalisateurs indiens le champ libre pour interagir avec les spécialistes de l’animation russes et ceux du marketing dans le but de finaliser des accords commerciaux. Cette opportunité semble avoir permis aux réalisateurs indiens d’aller de l’avant car ils peinent à atteindre la perfection dans les séquences d’animation.
«Les producteurs de films indiens ont déversé des sommes colossales pour embaucher des spécialistes en animation aux États-Unis et dans d’autres pays étrangers», a confié Salimath à RT. «Le scénario est censé prendre une tournure différente avec l’arrivée des spécialistes russes. Ils sont prêts à travailler avec nos budgets, petits ou grands. Cela aidera non seulement Bollywood mais également les cinéastes régionaux.»
Un patrimoine monumental
Les cinéastes indiens ont parfaitement conscience de la richesse monumentale de l’animation russe dont l’histoire remonte à 1906, lorsqu’Alexandre Chiriaev, chorégraphe du Théâtre Mariïnski de Saint-Pétersbourg, a créé le premier dessin animé de marionnettes. Pendant plus d’une décennie, toutes les animations russes ont été réalisées au moyen d’un enchaînement d’images fixes (stop motion) avec des marionnettes comme personnages.
Cependant, les spécialistes ont continué à explorer de nouveaux horizons et, en 1920, ils sont parvenus à produire le premier film animé dessiné à la main. L’attitude à l’égard de l’animation en Union soviétique a changé avec la sortie de Potchta (La Poste) réalisé en 1929 par Sovkino, une société cinématographique de Leningrad [Saint-Pétersbourg]. Potchta a fait des remous à travers le monde. On raconte que l’architecte américain Frank Lloyd Wright aurait trouvé que ce dessin animé incitait à la réflexion et qu’il aurait fortement incité Walt Disney, le pionnier de l’industrie américaine d’animation, à le regarder.
Le premier studio d’animation soviétique –Soyouzmoultfilm – a été fondé en 1936. Il a produit depuis plus de 1 500 dessins animés dont Tchébourachka (1971), Le Hérisson dans le brouillard (1975) et Attends un peu ! (1969), considéré comme le Tom et Jerry russe.
Dès les années 1940, les professionnels soviétiques sont parvenus à créer des arrière-plans réalistes, des animations détaillées des héros et des expressions de visage nuancées.
À la fin des années 1940 et au début des années 1950, les réalisateurs d’animation soviétiques ont utilisé la rotoscopie : le film est tourné avec de vrais acteurs, puis les artistes repassent les contours des personnages, dans le but d’accélérer la production.
Les expériences se sont poursuivies dans les années 1980 et ont abouti à la production de très grands succès comme Alice au pays des merveilles, De l’autre côté du miroir, Docteur Aïe ça fait mal de David Tcherkasky et L’Île au Trésor.
Au début du XXIe siècle, la Russie s’est réservé une niche sur le marché de l’animation avec la production de certaines des séries animées les plus populaires au monde telles que KikoRiki, Macha et Michka, Les Fixies et Les Trois Bogatyrs.
Sarath Chandran, vétéran de la réalisation de films d’animation résidant à Bombay, estime que ce patrimoine monumental joue un rôle clé pour expliquer l’attrait considérable des films d’animation russes sur les marchés internationaux. «L’animation russe a évolué au fil des années. Des dessins animés de marionnettes à la production de séries d’animation populaires dans le monde entier, en passant par la rotoscopie, les spécialistes russes ont prouvé qu’ils étaient les meilleurs. Je ne suis pas surpris que les réalisateurs indiens souhaitent profiter de leur soutien», a-t-il déclaré.
«Il existe trois raisons. Premièrement, la Russie bénéficie d’une longue histoire de relations cordiales avec l’Inde. Deuxièmement, les spécialistes russes de l’animation comprennent le contexte culturel indien et ils peuvent donc mieux tenir compte des nuances. Troisièmement, le coût [de leurs services] est abordable par rapport aux experts en animation américains. Comme leurs collègues partout ailleurs, les animateurs russes utilisent essentiellement l’animation 3D. Donc, la situation de l’industrie russe de films d’animation est plus ou moins la même que partout ailleurs dans le monde.»
Parmi les films d’animation exposés au Film Bazaar figuraient : Bodo le Barbu (Beardy Bodo), un personnage fait des voyages fascinants vers différentes destinations et donne des conseils de voyage ; Les Fixies qui vivent en secret dans un appartement, réparant des appareils et des gadgets ; Tina et Tony qui aident les enfants à explorer le monde autour d’eux ; La Reine des Neiges et la Princesse, dans lequel une brave sorcière et la fille de la Reine des Neiges ont accidentellement laissé échapper les mauvais esprits des glaces ; et La Famille Acier (The Steel Family) dans lequel un jeune de 15 ans découvre le secret d’une incroyable source d’énergie.
Nina Guénéralova, responsable des ventes internationales et du marketing du Voronej Animation Studio, producteur des Gardiens de l’Arctique (Arctic Heroes), de La Reine des Neiges et la Princesse et de La Famille Acier : Fraternité contre Or, souligne l’immense intérêt manifesté par les réalisateurs et producteurs indiens qui présagent un avenir prospère à l’industrie de l’animation en Russie. «Nous offrons ce que les cinéastes et les producteurs indiens recherchent depuis des années. L’animation russe est la meilleure au monde et l’industrie cinématographique indienne en bénéficiera certainement», a-t- elle déclaré.
Les entreprises russes envisagent également de commercialiser leurs séries d’animation extrêmement populaires sur le marché indien.
Ioulia Kim, responsable du développement commercial à l’international et de la distribution chez Riki Group – qui produit des animations pour enfants et des longs-métrages d’animation pour les familles –, a décrit son interaction avec les cinéastes et la distribution comme productive.
«Nous proposons un produit de haute qualité et sans danger pour les enfants», a déclaré Kim. «Nous les avons doublés dans différentes langues indiennes. Ce n’est qu’une question de temps avant que nous puissions nous implanter sur le marché indien. De plus, les cultures russe et indienne sont très proches. Le scénario géopolitique actuel est idéal pour que les deux pays élargissent leur coopération bilatérale au cinéma.»
Il n’est pas prévu de commercialiser le contenu russe en Inde. Au contraire, la coopération bilatérale offre aux maisons de production indiennes l’opportunité de commercialiser des animations tirées d’épopées comme Ramayana et le Mahabharata, déjà populaires en Russie. Mais il est nécessaire de les sous-titrer en russe. Selon Kim, beaucoup de Russes aimeraient regarder une série épique pour s’imprégner de l’héritage culturel indien. «Mais la localisation est le mot-clé ici», a-t-elle déclaré.
Tous les réalisateurs et producteurs indiens que j’ai rencontrés à Goa semblaient être motivés pour collaborer avec des maisons de production et des animateurs russes dans leurs projets à venir.
S. Prathap, un distributeur basé à Bombay, a déclaré qu’il entamerait bientôt des discussions avec des sociétés de production russes d’animation pour obtenir les droits de distribution. «La qualité du contenu et de la production de l’animation russe est d’un bon niveau», a-t- il déclaré. «Nous envisageons d’acheter les droits de diffusion pour les séries d’enfants. Je suis sûr qu’elles plairont aux amateurs indiens d’animation.»