Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Les réticences européennes persistent face à l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN

Les réticences européennes persistent face à l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN© UKRAINIAN PRESIDENTIAL PRESS SERVICE / AFP Source: AFP
Volodymyr Zelensky et Jens Stoltenberg, le 11 octobre 2023 au QG de l'OTAN.
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À ce jour et pour des raisons différentes, l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN n’est ni dans l’intérêt des pays de l’OTAN, ni des pays européens, ni de la Russie, selon Karine Bechet-Golovko.

En janvier de cette année, Jens Stoltenberg déclarait avec une justesse involontaire : «Aucune paix durable n’est possible si l’oppression et la tyrannie l’emportent sur la liberté et la démocratie.» Seulement «l’oppression et la tyrannie» ne se trouvent pas forcément où il est convenu en Occident de les voir.

Les États membres de l’Union européenne doivent s’aligner sur une politique atlantiste contraire à leur intérêt national, au risque de voir l’aide financière réduite ou être menacés de sanctions – en toute démocratie. Les pays de l’OTAN sont tenus de défendre l’intérêt globaliste, les armes à la main si cela est nécessaire – en toute liberté.

Le régime globaliste est bien une tyrannie, qui manie sans complexe l’oppression, contre toute forme de résistance ou d’indépendance, qui menacent par leur expression même son existence.

L'OTAN doit légitimer son existence par des conflits

N’oublions pas que l’OTAN est une organisation militaire et non un club de bridge, qui en toute logique a besoin de conflits, latents ou ouverts, pour légitimer son existence et son financement. Plus les conflits sont intenses, plus cette organisation prend de pouvoir, car le centre de décision, et donc de pouvoir, se déplace des organes civils vers les organes militaires. Et plus les pouvoirs militaires sont forts, plus les pouvoirs civils sont faibles. Le basculement du point de prise de décision enclenche et renforce la spirale du conflit.

Il est parfaitement légitime d’interpréter en ce sens les déclarations de David Arakhamia, affirmant que les Occidentaux, notamment l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson, ont empêché l’Ukraine de négocier la paix avec la Russie en Turquie en 2022, à des conditions pourtant extrêmement favorables à l’Ukraine. Le but de l’OTAN n’était pas «de faire peur à la Russie» pour la conduire à négocier, mais de la vaincre sur le champ de bataille, ce que les dirigeants occidentaux répétaient à qui voulait bien l’entendre pendant l’année 2022. Il est vrai que désormais, avec l’enlisement militaire du conflit et la fin de la première phase, celle de l’euphorie, ils sont plus modérés dans leurs déclarations, ce qui ne les empêche pas de garder intactes leurs intentions.

Si la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN est à ce point centrale, c’est parce que, dans ce cas, nous entrerons de plain-pied dans la Troisième Guerre mondiale, ou plutôt dans la Première Guerre globale, c’est-à-dire non pas dans une guerre entre les États qui se gagnera contre un État ou une coalition d’États, mais dans une guerre contre les États qui se gagnera non seulement sur le front, mais aussi idéologiquement par la restauration des souverainetés nationales au sein des États. La question de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN est ce point de non-retour, que les Atlantistes hésitent encore à franchir, espérant pouvoir vaincre la Russie sans cela – et sans eux. 

L’on assiste d’ailleurs à une «fuite organisée» par Seymour Hersh dans les médias au sujet de soi-disant pourparlers menés, en contournant les États-Unis et le président ukrainien Zelensky, entre le fameux Valeri Zaloujny, nouveau héros médiatique occidental, et le chef de l’état-major russe, Valeri Guerassimov. Comment prendre cela au sérieux ? Avec beaucoup de pincettes...

Les premières grandes négociations en Turquie ont déjà montré que l’Ukraine n’était pas un sujet. Ses autorités politiques ne disposant que d’un pouvoir formel et non réel, elles ne peuvent prendre de décision. Aucunes négociations ne pourraient donc se faire sans l’accord des Atlantistes. Sans même parler du fait que la Russie n’a à ce jour aucun intérêt à négocier : elle n’est pas prête à capituler et par la diplomatie elle ne pourra pas obtenir les buts de sécurité, qu’elle s’est fixée lorsqu’elle a lancé l’opération militaire. Or, tous les responsables russes affirment bien que ces buts n’ont pas été modifiés. La Russie n’y a pas intérêt, l’Ukraine et encore moins Valeri Zaloujny ne sont pas mandatés par leurs curateurs pour mener des pourparlers, l’Occident atlantiste ne peut accepter autre chose qu’une capitulation totale de la Russie, donc logiquement ces «négociations médiatiques» constituent un élément de langage devant participer à la constitution sur la scène médiatique globalisée d’un certain «récit» de ce conflit.

L’hésitation est d’autant plus forte chez les pays européens que le suicide collectif n’est pas du goût de tous et que les États-Unis hésitent encore à en prendre la responsabilité. Comme Jens Stoltenberg vient de le déclarer à l’occasion de la première réunion à Bruxelles du Conseil OTAN-Ukraine, tous les États membres sont d’accord sur le principe de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN : «Les Alliés ont convenu que l’Ukraine deviendra membre de l’OTAN.» Mais quand et comment ? Toutes les spéculations sont ouvertes.

Cet été, en juillet, Jens Stoltenberg annonçait déjà l’accélération sans calendrier du processus d’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et la simplification de la procédure, qui ne dépendra que d’une décision politique prise par les membres. Mais au-delà des problèmes avancés de corruption des autorités ukrainiennes ou de la non-conformité aux standards de l’OTAN d’une armée ukrainienne qui n’existe déjà plus comme ukrainienne, la véritable difficulté est la persistance du conflit armé sur son territoire et la zone de flou concernant les frontières de cet État fantôme ukrainien. Cette fameuse décision politique d’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN est bien l’élément le plus délicat, les pays membres comprenant pertinemment que l’intégration à ce jour de l’Ukraine dans l’OTAN ne peut se faire sans intégrer le confit armé lui-même, comme on peut le lire sur le site de la BBC : «En d'autres termes, si Kiev rejoint l'OTAN pendant un conflit en cours, elle pourrait déclencher la clause de défense mutuelle et entraîner tous les pays de l'OTAN dans la guerre. [...] "Nous serions en guerre avec la Russie, si tel était le cas", a déclaré le président américain Joe Biden, interrogé sur l'éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'alliance lors d'une interview accordée à CNN la veille du début du sommet.»

L'Occident veut gagner du temps

Les États membres ont besoin de gagner du temps. Toute une liste de recommandations en vue de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN va être formulée... mais ne sera pas rendue publique. Et surtout un programme d’adaptation annuelle a été mis en place, afin de rendre l’Ukraine prête à intégrer l’OTAN... à la fin du conflit. L’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN est repoussée sine die, car l’OTAN n’a pas pris la seule véritable décision politique qui pourrait débloquer la situation : entrer en guerre contre la Russie.

Cette position est également celle de l’Union européenne. Non seulement, l’on voit de sérieux désaccords quant au lancement des négociations appelées par Ursula von der Leyen sur l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, mais comme le souligne le ministre hongrois des Affaires étrangères, accepter l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN signifierait le lancement de la Troisième Guerre mondiale. Ce qui est, par ailleurs, la position constante du Premier ministre hongrois. Mais la Hongrie n’est pas le seul pays à ralentir le processus d’intégration. Des pays aussi important que l’Allemagne soutiennent la défiance américaine sur la question. C’est pourquoi l’on voit se développer l’idée d’une négociation – intermédiaire, qui permettrait de faire entrer l’Ukraine sans le conflit armé et développer ainsi l’OTAN aux frontières de la Russie. Cette inquiétude est parfaitement résumée par le commandant sur la ligne de front, Alexandre Khodakovsky : «Il est clair que la prise d’Avdeïevka ne sauvera pas Donetsk et les territoires environnants des Himars, et ceux qui en ont assez de la guerre veulent bien sûr la paix. Mais supposons que nous ayons conclu un accord et permis à l’OTAN d’entrer en Ukraine aux conditions convenues. Il n’est pas nécessaire de parler de ce que valent les promesses de l’Ukraine, et si même les promesses certifiées par des documents sont ignorées, les promesses orales valent encore moins, et après un certain temps, nous pourrons voir la véritable OTAN au seuil même.»

Si la situation sera plus difficile ensuite sur le plan militaire, politiquement aucune amélioration ne serait à attendre non plus : «L’OTAN n’est pas une garantie contre toutes sortes de bascules.» Le coup d'État en Turquie a été lancé, en fait, par l'Occident lui-même, si l'on en croit les «rumeurs» – et en Ukraine, une sorte de nouveau Maïdan est également possible –, mais dans l'intérêt de l'Occident, afin de renforcer ses positions. Et l’appartenance de l’Ukraine à ce bloc, même en cas de grand déluge, nous lierait étroitement les mains.»

À ce jour et pour des raisons différentes, l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN n’est ni dans l’intérêt des pays de l’OTAN, ni des pays européens, ni de la Russie. C’est certainement la raison pour laquelle, devant les étudiants ukrainiens à Nikolaev, Volodymyr Zelensky, voyant arriver la fin de sa route politique et comprenant qu’il sera bientôt sacrifié pour que, justement, le combat atlantiste puisse continuer avec une vigueur renouvelée, répondait ainsi à la question de savoir si l’Ukraine serait ou non dans l’OTAN : «Comment cela se passera, nous ne le savons pas avec certitude. Personne ne pourra vous le dire avec certitude. Ni si nous serons dans l’OTAN ou si nous ne serons pas dans l’OTAN. Nous le voulons, mais...»

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