Franck Pallet, consultant juridique, revient sur le pantouflage observé chez bon nombre d'anciens ministres et députés, notamment sous la présidence d'Emmanuel Macron. Un phénomène bien peu compatible avec le «monde d’après»...
C’est une habitude ancienne du pouvoir politique, quelle que soit la majorité parlementaire, de droite comme de gauche, que de «recaser» les amis fidèles à l’issue de leur défaite aux élections législatives. A cet égard, le président de la République, Emmanuel Macron, ne fait pas exception : pas question pour lui de laisser tomber ses compagnons de route. «Je serai toujours là pour vous parce que vous avez toujours été là pour moi», a-t-il en effet déclaré en août 2022 aux candidats Renaissance battus aux législatives.
Si le pouvoir actuel ne se différencie pas fondamentalement des précédents, il n’en détient pas moins un record en la matière :
- Amélie de Montchalin, députée, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes puis ministre de la Transformation publique et ministre de la Transition écologique, nommée à l’OCDE en remplacement de Muriel Pénicaud, ancienne ministre et elle-même recasée.
- Agnès Buzyn, ex-ministre de la Santé, catapultée en juillet 2022 conseiller maître à la Cour des comptes, alors qu’elle ne dispose d’aucune compétence particulière pour occuper ce type de fonction et qu’elle a été mise en examen fin 2021 pour «mise en danger de la vie d’autrui» dans sa gestion de l’épidémie de Covid-19.
- Jean Castex, ancien Premier ministre, nommé président de la RATP, ce qui est totalement inédit, après contrôle préalable de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), alors qu’il ne dispose d’aucune expérience managériale, à l’instar d’autres hauts fonctionnaires qui auraient pu très bien prétendre à une telle nomination.
- Christophe Castaner, ancien ministre de l’Intérieur et ancien «patron» des députés macronistes, nommé président du conseil d’administration de la Société concessionnaire française du tunnel routier sous le Mont Blanc, en remplacement d’un ancien ministre, Thierry Repentin.
- Brigitte Bourguignon, la très éphémère ministre de la Santé, également battue aux élections législatives, nommée à l’Inspection générale des affaires sociales en septembre 2022.
- Enfin, Emmanuelle Wargon, ancienne ministre du Logement, propulsée à la tête de la Commission de régulation de l’énergie.
Ce sont là les personnalités les plus connues et la liste n’est bien évidemment pas exhaustive. Certaines nominations n’ont par ailleurs pas été évidentes à confirmer, comme celle entre autres d’Emmanuelle Wargon, qui n'a été approuvée que par une courte majorité de députés.
Par-delà les polémiques entourant ces nominations, et, même si la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a émis des avis favorables quoi qu’avec des réserves, notamment pour Emmanuelle Wargon, celles-ci soulèvent bien des questions.
On rappellera brièvement la vocation de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Tout d’abord, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique est une autorité administrative indépendante créée par la Loi relative à la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013 en remplacement de la Commission financière de la vie politique suite à l’affaire Cahuzac.
Cette instance est chargée de recevoir, contrôler avec l’administration fiscale et publier les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d’intérêts de certains responsables publics. Elle peut également être consultée sur des questions de déontologie et de conflits d’intérêts relatifs à l’exercice de leur fonction et émettre des recommandations à la demande du Premier ministre ou de sa propre initiative.
La raison d’être de la HATVP est précisément de protéger l’impartialité des services publics et du pouvoir politique vis-à-vis des potentielles immixtions et de s’assurer que le départ d’un ministre vers le secteur privé ne porte pas atteinte à l’indépendance et à la dignité du pouvoir politique.
Pour les députés, en revanche, il n’existe aucun contrôle comparable à celui des anciens ministres. Ils sont libres de choisir leur reconversion professionnelle sans avoir de risque de conflits d’intérêts. En effet, un député est considéré comme un généraliste et ne remplit pas une fonction identique à celle d’un ministre, dont les compétences sont plus techniques. Cette absence de contrôle dans la reconversion des députés constitue un angle mort de la déontologie à laquelle doivent se soumettre les responsables publics (ministres et hauts fonctionnaires).
Dans un contexte économique et social particulièrement tendu, à l’heure où l’on demande encore plus de sacrifices aux Français, ces parachutages sont par trop mal perçus dans l’opinion.
Ce d’autant que les ministres concernés n’ont pas particulièrement brillé dans leur fonction. Pour certains d’entre eux, notamment Agnès Buzyn, il n’est pas excessif d’affirmer qu’ils ont même été parfaitement défaillants.
«Recasés» pour services rendus ?
Nomme-t-on des personnalités publiques à de telles responsabilités en raison de leurs compétences ou bien tout simplement en guise de remerciements pour «services rendus» au candidat Emmanuel Macron ? N’est-ce pas là une manière pour l’actuel gouvernement de verrouiller le pouvoir et de renforcer toujours plus une oligarchie politico-administrative déjà bien omnipotente ?
Par-delà la réponse qui pourrait être apportée à de telles questions, cela pose un problème démocratique.
En effet, bien que contestées par une opposition parlementaire aux moyens limités de contrôle de l’action du gouvernement, ces nominations sont au final approuvées par une majorité des 3/5 des députés, au gré de «marchandages» politiciens qui sont le plus souvent ignorés du grand public.
Si ce genre de pratique existe également dans d’autres pays – c’est encore plus vrai dans les régimes autoritaires où bien souvent ce sont des proches du pouvoir qui détiennent les postes clés –, on ne peut nier que la France est un pays de réseaux, ce qui permet également de coopter des personnalités fidèles à telle majorité politique ou des camarades de telle promotion, notamment à l’ENA. Cela a été particulièrement perceptible avec la promotion Voltaire (1978-1980) où bon nombre d’élèves fraîchement diplômés ont été placés en tant que conseillers ou directeurs de cabinets ministériels lors de l’alternance politique de 1981. Depuis lors, cette tendance n’a jamais cessé de se confirmer.
On peut également citer la période de cohabitation de 1986-1988 durant laquelle d’anciens camarades de promotion de l’ENA, inspecteurs des finances et proches du pouvoir en place, ont préparé les dossiers de privatisation puis ont été nommés présidents du conseil d’administration des groupes ainsi privatisés (banques, assurances, groupes industriels…).
D’un point de vue économique, il n’est pas sain que des postes-clés soient confiés à d’anciens hauts fonctionnaires ou certains ministres, aussi compétents soient-ils, notamment ceux issus des grands corps. En effet, les méthodes bureaucratiques de la haute administration ne sont pas nécessairement transposables dans les entreprises privées. Il en est de même de l’application des méthodes managériales du privé dans les services publics. A bien des égards, cette confusion des genres rend même l’action publique totalement inefficace. La recherche de la performance à tout prix dans le secteur public par un contrôle accru des coûts de gestion de telle ou telle administration aboutit même à des résultats désastreux, ce qui est notamment le cas dans les hôpitaux publics qui sont en souffrance depuis plus d’une décennie.
Parmi les 2 000 énarques sur les 10 000 hauts fonctionnaires que compte notre pays, seule une infime minorité parvient à de telles fonctions, majoritairement choisis dans les seuls grands corps, pour la plupart à l’Inspection générale des finances. Or, recruter des managers uniquement dans ce seul vivier prive incontestablement les grandes entreprises françaises d’autres grands talents qui pourraient s’exprimer.
Ce sont précisément ces allers et retours entre public et privé qui posent problème dans notre pays et qui alimentent la défiance du peuple qui comprend mal ces privilèges dont bénéficie une élite minoritaire en période de crise. Comme l’écrivait si justement l’économiste Georges Elgozy dans son ouvrage L’Esprit des mots ou l’Antidictionnaire, «l’élite est un succédané de l’aristocratie en régime démocratique».
Candidat à sa propre succession, le président Emmanuel Macron avait déclaré que le monde ne serait plus le même à l’issue de l’épidémie de Covid-19 et qu’il fallait désormais s’inscrire dans le monde «d’après» face aux enjeux géopolitiques et risques climatiques qui nous menacent. Force est de constater que ce sont toujours les mêmes modèles et le conservatisme qui tendent à s’imposer en total décalage avec l’évolution de la société et aux nouvelles aspirations qui s’expriment, notamment au sein de la jeunesse. Est-ce imputable aux seules institutions de la Ve République, comme le prétendent certaines personnalités de gauche, ou bien est-ce le produit de l’histoire de notre pays qui, certes, s’est débarrassé de la monarchie en 1789, mais qui, par divers aspects, l’a finalement prolongée sous couvert d’un régime républicain d’apparence ?