«L'agression russe contre l'Ukraine marque un changement d'époque, elle menace l'ordre établi depuis l'après-guerre», a expliqué le 26 février le chancelier Olaf Scholz dans un communiqué. «Dans cette situation, il est de notre devoir d'aider l'Ukraine autant que nous pouvons à se défendre contre l'armée d'invasion de Vladimir Poutine», ajoute-t-il.
Par voie de conséquence, l'Allemagne va ainsi livrer 1 000 lance-roquettes, 500 missiles sol-air de type Stinger et «plusieurs» obusiers, a annoncé le gouvernement. Dans un même élan, la France a également pris la décision ce 26 février de «la livraison additionnelle d'équipements de défense aux autorités ukrainiennes ainsi qu'un soutien en carburant».
La décision sur les armes constitue un revirement politique de taille pour ce pays, dont la position officielle, depuis la Deuxième Guerre mondiale, est de ne pas livrer d'armes «létales» dans les zones de conflit. Il y a eu néanmoins des exceptions, génératrices de polémiques.
Concrètement, ces livraisons de lance-roquettes vont être effectuées par les Pays-Bas, et les obusiers par l'Estonie. Ces deux pays avaient à l'origine acquis ces équipements auprès de l'Allemagne et avaient besoin d'un feu vert de Berlin pour pouvoir les réexporter vers Kiev.
Les obusiers sont anciens, ils appartenaient jadis à l'armée de l'ancienne Allemagne de l'Est communiste.
Berlin répond ainsi aux critiques véhémentes dont il a fait l'objet depuis plusieurs semaines pour son refus d'exporter de telles armes, venant à la fois des autorités ukrainiennes mais aussi de partenaires de l'UE comme les Etats baltes ou la Pologne.
La politique restrictive suivie par la première économie européenne depuis l'après-guerre en matière d'exportations d'armes prend sa source dans les horreurs du nazisme qui ont donné le jour à un pacifisme profondément ancré dans l'opinion.
Cette position était toutefois de moins en moins tenable sur le plan politique depuis l'attaque par l'armée russe de l'Ukraine.
En parallèle, le gouvernement allemand a annoncé l'envoi à l'Ukraine de 14 véhicules blindés ainsi que de 10 000 tonnes de carburant «via la Pologne». «D'autres mesures de soutien sont actuellement à l'étude», a souligné la source gouvernementale.
«Après l'attaque honteuse de la Russie, l'Ukraine doit se défendre», a indiqué à ce sujet la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.
Vladimir Poutine a annoncé le 24 février une opération militaire en Ukraine, qui vise selon lui à défendre les Républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, dont il a reconnu l'indépendance trois jours plus tôt, mais aussi à «démilitariser et dénazifier l’Ukraine». Cette opération a été dénoncée comme une guerre d'invasion, notamment par les pays occidentaux, dont certains ont déjà annoncé de nouvelles sanctions. Elle a également fait, dans des capitales occidentales mais aussi en Russie, l'objet de manifestations de contestation.
L'Allemagne cède sur Swift
Autre tabou brisé le 26 février : le gouvernement a commencé à céder sur Swift, après avoir longtemps refusé d'envisager une exclusion de Moscou de ce rouage clé de la finance mondiale, par crainte d'être pénalisée en retour pour ses livraisons de gaz, pétrole et charbon russes.
Annalena Baerbock et son homologue de l'Economie, Robert Habeck, ont indiqué dans un communiqué commun travailler à «une limitation ciblée et fonctionnelle» de Swift pour les établissements financiers russes.
«Nous travaillons à la manière de limiter les dommages collatéraux d'une déconnexion de Swift», ont-ils ajouté.
Dans le détail, l'idée est d'exclure de cette plateforme électronique, par laquelle passent un très grand nombre de transactions internationales, les banques russes déjà visées par des sanctions de l'Union européennes.
Ces dernières représentent 70% du marché bancaire russe, selon le Conseil de l'Europe.
Le 26 février, avant l'annonce, le Premier ministre Polonais Mateusz Morawiecki, en visite à Berlin, avait qualifié «d'égoïsme en béton» l'attitude de l'Allemagne concernant Swift.
En pleine bataille pour la prise de contrôle de Kiev, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lui aussi exhorté Berlin à avoir le «courage» de bloquer l'accès de la Russie à Swift.
Swift permet les règlements interbancaires entre les établissements du monde entier et évite par exemple à l'Allemagne d'avoir à payer son gaz russe en liquide.
Une exclusion est considérée comme une «arme atomique», en matière financière. Car débrancher un Etat de Swift, c'est aussi empêcher ses propres banques de faire des transactions avec les banques du pays puni.
Plusieurs autres pays européens réticents sur le sujet, comme l'Autriche, l'Italie et la Hongrie, ont eux aussi fait savoir qu'ils étaient désormais prêts à accepter la «sanction» Swift, isolant du coup Berlin.