Accusations sans preuve contre la Russie: un journaliste met en difficulté un porte-parole américain
Washington accuse Moscou d'envisager un projet d'attaque sous faux drapeau afin de fabriquer un prétexte pour envahir l'Ukraine. Mais l'administration américaine botte en touche quand lui sont réclamées des preuves étayant une telle allégation.
Le journaliste américain Matt Lee et le porte-parole du secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Ned Price, se sont livrés le 3 février à un vif échange en conférence de presse alors que le premier demandait au second de rendre accessibles des éléments que l'administration américaine affirme détenir pour appuyer l'allégation selon laquelle Moscou envisagerait de filmer une fausse attaque ukrainienne contre la Russie. Un procédé qui, selon Washington, permettrait de créer un prétexte pour envahir l'Ukraine.
Le journaliste de l'agence de presse Associated Press (AP) a posé au haut responsable américain, ex-employé de la CIA, plusieurs questions sur les accusations proférées par Washington contre Moscou.
«Quelle preuve avez-vous pour soutenir l'idée qu'il y a un film de propagande en préparation ?», demande un journaliste
Sommé de faire preuve de transparence, Ned Price s'est d'abord employé à souligner que le gouvernement américain avait récemment déclaré avoir des informations sur de telles actions imputables à la Russie. «Nous vous avons dit il y a quelques semaines que nous avions des informations indiquant que la Russie avait également déjà prépositionné un groupe d'agents pour mener une opération sous faux drapeau dans l'est de l'Ukraine», a-t-il ainsi argumenté sans pour autant convaincre son interlocuteur, qui a insisté en ces termes : «C'est une action que vous dites qu'ils ont menée, mais vous n'avez montré aucune preuve pour le confirmer. [...] Quelle preuve avez-vous pour soutenir l'idée qu'il y a un film de propagande en préparation ?», a en effet insisté le journaliste, amenant Ned Price à évoquer des informations «déjà déclassifiées» par son administration.
J'aimerais voir une preuve qui montre que les Russes font [ce que vous dites]. Je me souviens encore de l'histoire des armes de destruction massive en Irak
«Où sont-elles ? Où est l'information déclassifiée ? [...] Vous avez [juste] fait une série d'allégations et de déclarations», a encore répliqué Matt Lee, à qui le haut responsable américain a alors proposé, non sans ironie, d'imprimer la retranscription de la conférence de presse au cours de laquelle sont évoquées les allégations en question. «Ce n'est pas une preuve, c'est [juste] vous qui le dites. [...] J'aimerais voir une preuve qui montre que les Russes font [ce que vous dites]. Je me souviens encore de l'histoire des armes de destruction massive en Irak», a encore insisté le journaliste, faisant référence aux fameuses allégations sur la base desquelles Washington a enclenché en 2003 son intervention militaire en Irak, avant que les preuves initialement brandies ne soient finalement mises à mal des années plus tard.
Si les Russes ne vont pas plus loin cette fois, ce n'est pas [pour autant] une indication qu'ils n'ont jamais eu de plans pour le faire
Plaidant pour sa part en faveur d'une certaine opacité afin de garantir la protection de «sources», le porte-parole du secrétaire d'Etat américain a alors expliqué que le but de son administration était également «de dissuader les Russes» des pratiques qu'elle leur imputait. «Si les Russes ne vont pas plus loin cette fois, ce n'est pas [pour autant] une indication qu'ils n'ont jamais eu de plans pour le faire», a-t-il encore assuré. «Mais alors c'est indémontrable !», en a pour sa part conclu le journaliste d'AP – à qui le haut responsable américain a finalement reproché son manque de confiance dans le gouvernement de son pays – tout en faisant un parallèle entre les propos de Ned Price et ceux d'Alex Jones, le fondateur du site controversé de droite alternative InfoWars, régulièrement accusé de colporter des théories complotistes.
Une interview qui fait réagir Edward Snowden
Dans le contexte de crise diplomatique majeure que constitue le dossier ukrainien, l'épisode n'est pas passé inaperçu puisqu'il a déjà cumulé plusieurs millions de vues sur les réseaux sociaux. «C'est terrible, le porte-parole du département d'Etat ne comprend pas pourquoi l'Associated Press ressent le besoin de faire la distinction entre une affirmation et un fait, et devient visiblement offensé – puis irrité – par la suggestion que ses affirmations pourraient nécessiter des preuves pour être acceptées comme crédibles», a par exemple commenté Edward Snowden, ancien employé des renseignements américains – et désormais résident permanent en Russie –, accusé par son gouvernement d'espionnage pour avoir révélé l'existence de programmes de surveillance de masse dans son pays.
This is wild.
— Edward Snowden (@Snowden) February 3, 2022
The State Department's spokesman can't comprehend why the Associated Press feels the need to distinguish between a claim and a fact, and becomes visibly offended—and then angered—by the suggestion that his claims may require evidence to be accepted as credible. https://t.co/O9ALBHMCSE
Si elle est abondamment relayée dans le paysage politico-médiatique occidental ces dernières semaines, l'hypothèse selon laquelle la Russie se préparerait à une invasion de l'Ukraine a été, à plusieurs reprises, catégoriquement démentie par la diplomatie russe.
«J’ai lu, j’ai regardé sur internet des déclarations du département d’Etat selon lesquelles la Russie préparerait une fausse vidéo montrant une attaque de militaires ukrainiens contre le Donbass. Ce genre d’histoires sont de plus en plus nombreuses chaque jour et sont un délire évident pour n’importe quel politologue ayant de l’expérience», a réagi publiquement ce 4 février le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. «Ce n’est pas pour la première fois que des éléments portant sur une "invasion" russe en Ukraine sont publiés aux Etats-Unis, mais cela n’a [jamais] rien provoqué», avait de son côté déjà déclaré auprès de l'agence de presse TASS le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov.