Selon le communiqué officiel laconique du Quai d'Orsay, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius recevra «les principaux partenaires engagés avec la France dans le règlement de la crise syrienne : l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, la Jordanie, le Qatar, la Turquie, l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Italie et le Royaume-Uni.
Liste exhaustive puisque deux acteurs majeurs de la crise syrienne, l'Iran et la Russie, n'ont pas été conviés à une réunion censée «évoquer» «les moyens d’engager une transition politique vers une Syrie unie et démocratique».
Sans la Russie et sans l'Iran
Interrogé sur la présence du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, Laurent Fabius s'est contenté d'un «Non, je ne pense pas» pour toute réponse. Il a cependant précisé qu'il devrait y avoir «d'autres réunions où nous travaillerons avec les Russes».
Pourtant Moscou est devenu un acteur majeur du conflit: depuis l’intervention militaire russe en Syrie, un nouvel équilibre des forces s'est imposé dans le pays changeant de fait la donne diplomatique .
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Ce «dîner de travail» intervient pourtant alors que d'autres discussions sont en cours entre Russes et Américains, pour l'organisation d'une session de discussions élargie sur la crise syrienne.
Interrogé par l'AFP, Denis Bauchard, ancien diplomate et spécialiste du Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (Ifri) estime que «Manifestement, le train (des négociations) est parti, on nous a oubliés et on essaie de rattraper ce retard».
Interrogé par RT France, le spécialiste du dossier, Frédéric Pichon estime que «cette réunion ne sert à rien. La France ne sera pas présente lors de la résolution du conflit». Il y voit même «une forme de négation jusqu'au-boutiste de la réalité et un manque de réalisme absolu».
La crainte française du banc de touche
Les mots du communiqué sont soigneusement choisis, «dîner de travail» et non sommet diplomatique, «évoquer» et non décider, pour ne pas donner sans doute l'impression que la France agit de façon unilatérale sur le dossier syrien. Mais il n'en demeure pas moins que Paris entend visiblement demeurer un acteur du dossier.
Début septembre, Paris avait ainsi tenté de se rendre incontournable dans le dossier syrien. Après l’attentat du Thalys, des frappes ciblées en Syrie avient été décidées par François Hollande contre les bases djihadistes préparant des attentats en France au nom de la «légitime défense». La diplomatie française espérait faire d'une pierre deux coups et être présente dans toutes les futures négociations.
Pourtant, sur ce dossier Paris paraît de plus en plus inaudible. Ainsi, malgré cette implication militaire sur le terrain, la France n'a pas été conviée, pas plus qu'aucun autre pays européen d'ailleurs, à la réunion organisée ce 23 octobre à Vienne par les Russes et les Américains. Réunion à laquelle étaient pourtant conviées l'Arabie saoudite et la Turquie.
Selon Frédéric Pichon, «La France s'est auto-exclue depuis 4 ans. La constante de la France est ce refus de voir la réalité, celle du terrain d'abord mais aussi le refus de voir des grandes puissances comme la Russie et l'Iran jouer un rôle».
Comme pour parer à cette absence, Laurent Fabius avait alors reçu le même jour l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura.
La pierre d'achoppement, le départ de Bachar el-Assad
L'intransigeance française face à Bachar el-Assad a sans doute contribué à brouiller un peu plus sa position. Car les principaux acteurs de la crise syrienne, que ce soit l'Arabie saoudite, Ankara ou Washington ne font plus du départ du président syrien un préalable nécessaire à toute solution politique. Même l'allié traditionnel allemand, touché de plein fouet par la crise migratoire, considère qu'il faudra nécessairement discuter avec lui.
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En France, des voix politiques se font également entendre contre la position officielle de Paris. Ainsi Jean-Frédéric Poisson, député du Parti chrétien-démocrate, en déplacement à Damas, a estimé que «le règlement de la situation politique syrienne passe nécessairement par un dialogue avec le président syrien qui est en place et qui est élu par le peuple syrien».
Autre voix française discordante, celle d'Alain Juppé qui sur son blog, intitulé «notre fiasco syrien» estime qu'il faudra s'« asseoir à Genève à la table de négociation avec Bachar. Peut-être trouvera-t-on le moyen de sauver la face». En septembre, c'était Français Fillon qui avait appelé la diplomatie française à «revoir sa copie en Syrie».
Frédéric Pichon voit aussi dans cette position une erreur: «Ce qui risque de se passer est que la France va être exclue et absente du processus de négociation et que Bachar el-Assad sera lui présent».
Dans cette crise syrienne, c'est surtout le cas libyen qui plane dans tous les esprits. La résolution 1973 qui avait autorisé l'OTAN à recourir à la force pour la «protection des populations» avait abouti au meurtre brutal de Mouammar Kadhafi et une plongée dans le chaos pour le pays avec une partition de fait. Un précédent de destitution brutale dont ne veut pas entendre la Russie.
Le baroud d'honneur de Laurent Fabius?
Quoi qu'il en soit, cette réunion pourrait être le dernier baroud d'honneur du ministre français des Affaires étrangères. Ce dernier est en effet donné partant pour un siège au Conseil constitutionnel, selon des rumeurs persistantes.
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Avant son départ, Laurent Fabius pourrait peut-être tirer profit de la ligne intransigeante qu'il a porté sur ce dossier syrien. C'est en tout cas l'hypothèse retenue par l'ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine.
Selon l'AFP, ce bon connaisseur du dossier estime que «comme dans le dossier nucléaire iranien, la France pourrait même faire de son intransigeance un atout en apportant sa caution à un accord acceptable pour tous, notamment les pays du Golfe inquiets de la montée en puissance de l'Iran».