Italie : le centre droit disparaît-il au profit d'une droite plus radicale ?
Le paysage politique italien est parfois difficilement perceptible. Il a beaucoup évolué et Il est dominé aujourd'hui par des partis plus radicaux que ceux se réclamant du centre à l'époque où Silvio Berlusconi était au pouvoir. Explications.
Le rapport de force au sein de la droite italienne s'est modifié depuis les élections générales de 2018. La Ligue a désormais pris le dessus sur le parti Forza Italia de Silvio Berlusconi tandis que Fratelli d’Italia est en passe de devenir un futur acteur politique majeur. Classés comme partis de centre droit en Italie, les formations de Matteo Salvini et de Giorgia Meloni sont bien souvent qualifiées comme étant de droite, voire d'extrême droite ailleurs en Europe, comme par exemple dans le quotidien Le Monde. Elles se sont d'ailleurs présentées à de nombreuses reprises au scrutin sous la bannière commune de la «coalition de centre droit», une structure électorale informelle.
Jusqu’en 2018, le centre droit italien était largement dominé par la figure de Silvio Berlusconi, président du Conseil à plusieurs reprises jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Mario Monti, auquel ont succédé des chefs du gouvernement issus du centre gauche jusqu’aux élections générales de 2018, comme Enrico Letta ou Matteo Renzi. Durant cette traversée du désert pour le centre droit, le Cavaliere s’était amusé de l’instabilité de l’exécutif en se disant en 2014 être le dernier président du Conseil italien a avoir été élu.
C’est à l’occasion des élections générales de 2018 que le centre-droit se fédère pour reconquérir la présidence du Conseil italien. Les résultats issus des urnes vont cependant déjouer les pronostics. La Ligue devancera ainsi Forza Italia de trois points, tandis que Fratelli d’Italia fera une percée timide qui augurera une dynamique continue dans les sondages.
Tandis que la coalition du centre-gauche tient bon, ce sera le Mouvement 5 Etoiles (M5S) qui la devancera à la chambre des députés, en obtenant 227 sièges sur les 630. Aucune coalition ou parti ne parvient cependant à obtenir la prime majoritaire nécessaire pour gouverner, ouvrant une période d’incertitude qui mènera à l’accord de gouvernement entre la Ligue et le Mouvement 5 Etoiles. Les tractations entre les deux partis surpassant le clivage gauche-droite habituel, certains pays européens virent d’un mauvais œil cette alliance des «populismes» des deux spectres de l'échiquier politique. Certains pays, comme l’Allemagne, étaient allés jusqu’à exiger que l’Italie se dote d’un gouvernement, tandis que le commissaire européen au Budget Günther Oettinger lâchait cette sentence devenue célèbre : «Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter.»
De la Ligue du Nord à une Ligue nationale
Depuis lors, la Ligue n’a cessé de se renforcer auprès de l’opinion populaire, de son entrée au gouvernement à l’arrivée de Mario Draghi à la présidence du Conseil. Le fait d’avoir abandonné l’appellation de «Ligue du Nord» et le projet sécessionniste qui l’accompagnait avait pour but, comme l'explique son leader Matteo Salvini, de s’adresser à tous les Italiens. Axant son programme sur l’anti-immigrationnisme, la famille et le travail, Matteo Salvini sera rejoint par deux économistes connus : Claudio Borghi et Alberto Bagnai, celui-ci ayant longtemps été classé comme économiste de gauche.
Rompant avec le libéralisme propre à la droite politique, la Ligue appuie un projet nataliste pour contrer la démographie en berne de la péninsule italienne – projet que Matteo Salvini oppose volontiers au «Grand remplacement» dont il accuse la gauche d’être responsable – mais aussi la lutte contre le chômage par l’endettement. De même, la Ligue se met d’accord avec le Mouvement 5 Etoiles pour mettre en œuvre un revenu citoyen. Surtout, le parti de Matteo Salvini est eurosceptique, et a longtemps fait peser la nomination de Paolo Savona – économiste anti-euro – contre l’avis du président de la République italienne qui a été accusé de sortir de son rôle d’arbitre pour s’opposer à la formation d’un gouvernement qui comprendrait un souverainiste affiché dans ses rangs.
L’aventure du gouvernement surnommé gialloverde s'est toutefois achevée à la fin de l’été 2019 sur l’initiative de Matteo Salvini, en raison de pourparlers secrets entre Giuseppe Conte, alors président du Conseil italien, et la Commission européenne, en particulier sur les taxes. Jugeant que l’accord gouvernemental était rompu et dénonçant la déloyauté des ministres pentastellaires (M5S), la Ligue claqua la porte, ouvrant ainsi le retour au pouvoir du Parti Démocrate (PD).
Bien que perdant à l’occasion quelques points dans les enquêtes d’opinion, Matteo Salvini n'a jamais arrêté ses bains de foules qui montre à voir qu’il est en campagne permanente. La Ligue finit cependant par négocier avec Mario Draghi pour obtenir des portefeuilles ministériels dans le gouvernement dit d’union nationale, tandis que Forza Italia et Fratelli d’Italia refusent de jouer le jeu. Depuis lors, Matteo Salvini entretient une position ambivalente, soufflant le chaud et le froid sur ses rapports avec l’ancien président de la BCE.
Plusieurs déconvenues politiques semblent ainsi porter préjudice à Salvini. Sa fermeté quant aux débarquements de migrants – et sur l’immigration en général – ne semble pas suivie d’effet au niveau de l'exécutif italien, au point qu’il a soulevé durant l’été 2021 la possibilité de retirer son soutien au gouvernement de Mario Draghi. Dans le même temps, le député de la Ligue et économiste Claudio Borghi battait le pavé contre l’adoption du pass sanitaire – nommé «green pass» en Italie – calqué sur le modèle français. Matteo Salvini lui-même avait qualifié le pass sanitaire de mesure extrême et assuré que Mario Draghi ne l’adopterait pas, allant même jusqu’à annoncer faire pression, en vain, lors d’un Conseil des ministres.
Malgré ces échecs, la Ligue reste au gouvernement et soutient toujours Mario Draghi, favorisant ainsi l’émergence de Fratelli d’Italia dans les sondages.
Fratelli d’Italia, des racines néofascistes au souverainisme conservateur ?
Fratelli d’Italia, allié de la Ligue, est en revanche resté loin du gouvernement d’union national en préférant jouer la carte de la cohérence idéologique. Cette stratégie semble lui réussir, puisque la formation de Giorgia Meloni fait désormais jeu égal avec la Ligue dans les sondages. Fratelli d’Italia (FdI) a cependant une histoire plus singulière que ses alliés. Fruit de la scission en 2012 de l’Alliance Nationale de Gianfranco Fini, il se veut l’héritier direct du Mouvement social italien (MSI), lui-même héritier direct du… Parti national fasciste (PNF). Cela ne l’empêche pas de se situer au centre-droit de l’échiquier politique.
Souvent qualifiée de parti néofasciste en raison de son affiliation historique au PNF, FdI se définit quant à lui comme «un mouvement qui vise à mettre en œuvre un programme politique qui, sur la base des principes de souveraineté populaire, de liberté, de démocratie, de justice, de solidarité sociale, de mérite et de justice fiscale, s'inspire de la vision spirituelle de la vie, des valeurs des traditions nationales libérales et populaires, et participe à la construction de l'Europe des peuples». Les racines fascistes demeurent toutefois présentes, comme en atteste la commémoration par le parti de la Marche sur Rome en octobre 2019. Giorgia Meloni avait pour sa part proposé l’abrogation de deux fêtes nationales : celle célébrant la fin de la Seconde Guerre mondiale le 25 avril, et celle célébrant l’instauration de la République le 2 juin.
Ce faisant, comme la Ligue, Fratelli d’Italia est hostile au droit du sol, à l’immigration clandestine, et favorable à une politique nataliste. Il se montre en revanche plus ferme sur les questions sociétales liées à la famille ou à l’orientation sexuelle. Là où la Ligue fait valoir la liberté de pensée et d’opinion pour s’opposer à la discrimination en fonction de l’orientation sexuelle – comme ce fut le cas du projet de loi Zan –, FdI se montre par exemple ouvertement hostile au mariage homosexuel et attaché à la famille traditionnelle.
De même, au niveau européen, FdI se montre moins ambigu que son allié Matteo Salvini en prônant la fin de l’Union européenne (UE) telle qu’elle est au profit d’une confédération d’Etats souverains, assez proche de l’idée que l’on trouvait par exemple exprimée par Charles de Gaulle. FdI prône ainsi des compétences communes avec la liberté pour les pays membres d’appliquer ces prérogatives à la carte en fonction de leurs intérêts propres. Le feuillet programmatique dénonce aussi l’hégémonie du couple franco-allemand, les politiques d’austérité «imposée par l’Union européenne», et appelle à une réforme monétaire comme de la Banque centrale européenne (BCE).
En toute logique, le parti de Giorgia Meloni défend un fort protectionnisme, mais ne propose pas pour autant de sortir de l’euro, estimant simplement que l’Italie, en tant qu’Etat lésé par cette monnaie jugée trop forte, devrait avoir une compensation en retour.
Le pass sanitaire a aussi été rejeté par FdI qui est même allé jusqu’à occuper la chambre basse du Parlement pour dénoncer une mesure jugée liberticide. Giorgia Meloni avait dénoncé une mesure révélant une «gestion folle» qui ne servirait selon elle qu’à introduire la vaccination obligatoire. Analyse qui risque de se révéler pertinente puisque Mario Draghi a confirmé le 2 septembre que la vaccination deviendrait effectivement obligatoire dès que les vaccins seraient définitivement validés par l’Agence européenne des médicaments.
Quels défis pour les droites italiennes ?
Alors que les élections générales doivent se tenir en 2023, Sergio Mattarella, le président de la République italienne, a laissé entendre qu’il ne se représenterait pas un an plus tôt pour un deuxième mandat présidentiel et les partis préparent déjà l'après-Mattarella. Un double défi institutionnel qui se retrouve complexifié par le jeu égal dans les sondages entre la Ligue, Fratelli d’Italia et le Parti démocrate (PD), ce qui risque de plonger la péninsule dans une situation analogue à celle de 2018.
Nonobstant les enjeux purement électoraux, Matteo Salvini et Giorgia Meloni ont assuré le 5 septembre qu’ils gouverneront bel et bien ensemble. Fini donc le dépassement du clivage gauche-droite comme en 2018, d’autant que Giorgia Meloni a assuré selon l’ANSA (la principale agence de presse italienne) ne pas avoir de «plan B dans les alliances» : «Pour moi il n'y a que l'alliance de centre-droit, j'espère qu'il en va de même pour la Lega et Forza Italia». Giorgia Meloni est d'ailleurs en position de force puisqu'elle a légèrement dépassé la Ligue dans les sondages et devient par ailleurs le premier parti italien avec ses 20,6% dans une enquête de l'institut SWG du 30 août publiée par l'hebdomadaire Panorama.
Quant au parti de Silvio Berlusconi, il a fondu comme neige au soleil dans les sondage en n'étant crédité que de 7% d'intentions de vote selon la même enquête. Le Cavaliere avait par ailleurs projeté l'idée d'un parti unique de centre droit le 15 juin, proposition aussitôt rejetée par Giorgia Meloni. Malgré tout, Forza Italia pourrait demeurer une force d'appoint utile lors des élections générales de 2023. Mais Silvio Berlusconi ne risque cependant pas de faire un retour dans l'exécutif, notamment en raison de son état de santé qui s'est dégradé, avec pour conséquence plusieurs opérations en 2021.
L'Italie doit également toujours affronter des problématiques monétaires et européennes. L'arrivée au pouvoir de Mario Draghi, dans des conditions fort similaires à celles de Mario Monti en 2011, peut laisser penser que si les partis eurosceptiques accèdent au pouvoir en 2023, ce sera pour les mêmes raisons qu'en 2018.
En cas de gouvernement dominé par la Ligue et Fratelli d'Italia, le ton de Rome sur ces sujets, notamment dans les discussions avec Paris et Berlin, pourrait se durcir. Mario Draghi n'a en effet rien obtenu de son côté sur le plan européen en matière d'immigration lors des différents sommets au printemps dernier, affirmant lui-même que «l’Italie est seule à affronter le problème migratoire».
Au-delà des défis économiques, le pays transalpin doit aussi relever un défi démographique. L’Istituto Nazionale di Statistica (Istat) avait en effet souligné en 2018 que «depuis 2015, [l’Italie] est entré[e] dans une phase de déclin démographique» et confirmé en 2020 que «l'épidémie accentue la crise démographique.» En 2019, la péninsule avait enregistré son plus bas taux de natalité depuis son unification au XIXe siècle. Depuis 2015, le nombre de naissance n’a en effet cessé de baisser en Italie tandis que la péninsule connaît un nombre de morts sans cesse croissant. En 2020, ce sont ainsi 404 000 naissances qui ont été enregistrées contre 746 146 décès.