Le 3 juin, la télévision publique biélorusse a diffusé des déclarations filmées dans lesquelles Roman Protassevitch – le journaliste et opposant arrêté le 23 mai après le déroutement vers Minsk d'un avion de ligne dans lequel il se trouvait – reconnaît sa culpabilité et dit vouloir corriger ses erreurs.
Interrogé par la chaîne ONT, Roman Protassevitch a déclaré accorder cette interview volontairement. Il a affirmé qu'il n'avait rien à voir avec le projet Tchernaïa kniga Belorousi («Le Livre noir de la Biélorussie»), qui publiait au moment des manifestations débutées en août 2020 contre le président Alexandre Loukachenko les données personnelles d'agents des forces de sécurité. Il a cependant plaidé coupable pour ce qui est de l'organisation d’actions non autorisées. «Les appels que j'ai publiés ont contribué à ce que des troubles éclatent dans les rues et pendant trois jours, Minsk a vécu dans un état de chaos», a-t-il déclaré, selon l'agence Tass.
En outre, il a confirmé s'être trouvé en 2014 en Ukraine au côté de la milice d'extrême droite bataillon Azov – tout en assurant n'avoir pas été dans la zone de combat entre forces loyalistes et rebelles dans l'Est ukrainien.
Son père dénonce des aveux résultant de «violences, de tortures et de menaces»
Ancien collaborateur de la chaîne Telegram Nexta – qui a joué un rôle clé dans le mouvement de contestation en Biélorussie de 2020 –, Roman Protassevitch a également assuré «respecter» le président Alexandre Loukachenko. Le journaliste de 26 ans affirme par ailleurs vouloir corriger ses erreurs et mener une vie tranquille, loin de la politique. Il est actuellement poursuivi pour organisation d'émeutes, un crime passible de 15 ans de prison.
Le père de Roman Protassevitch, Dmitri Protassevitch, a estimé que ces aveux télévisés étaient le résultat de «violences, de tortures et de menaces». «Je connais très bien mon fils et j'ai la conviction qu'il ne dirait jamais des choses pareilles», a-t-il déclaré l'AFP.
L'opposante et ex-candidate à la présidentielle biélorusse, désormais en exil, Svetlana Tikhanovskaïa, a fait un commentaire similaire le lendemain : «Toutes les vidéos de ce genre sont tournées sous pression. Il ne faut même pas prêter attention à ces mots, car ils sont dits après la torture... La tâche des prisonniers politiques est de survivre», a-t-elle déclaré à la presse à Varsovie, selon l'AFP.
Une «honte» pour Berlin, un entretien «clairement réalisé sous la contrainte» pour Londres
La diffusion de cette «interview-confession est une honte pour la station qui la diffuse et pour les dirigeants biélorusses qui montrent une fois de plus leur mépris total pour la démocratie et, de fait, il faut aussi dire, leur mépris pour les êtres humains», a réagi Berlin ce même jour. Le porte-parole du gouvernement allemand Steffen Seibert a ajouté lors d'une conférence de presse : «Toutes nos pensées vont à ce jeune homme et à tous les autres citoyens de la Biélorussie qui sont traités de manière si inhumaine pour leurs convictions, alors qu'ils luttent pacifiquement pour les droits civils.»
Le ministre britannique des Affaires étrangères Dominic Raab a dénoncé dans la foulée un entretien «troublant» et «clairement réalisé sous la contrainte». «La persécution de ceux qui défendent les droits humains et la liberté des médias en Biélorussie doit cesser», a affirmé dans un tweet le chef de la diplomatie britannique, ajoutant que toutes «les personnes impliquées dans le tournage, la coercition et la réalisation de l'interview doivent être tenues responsables».
Au lendemain de l'arrestation de l'opposant et journaliste, alors que des médias s'inquiétaient de son état de santé, les autorités biélorusses avaient diffusé une vidéo de Roman Protassevitch dans laquelle celui-ci disait être «passé aux aveux». Sa compagne Sofia Sapega est également apparue dans une vidéo où elle avoue des méfaits. A chaque fois, l'opposition biélorusse a dénoncé des enregistrements obtenus, selon elle, sous la contrainte.
Roman Protassevitch a été arrêté le 23 mai avec sa compagne russe de 23 ans, Sofia Sapega, après le déroutage vers Minsk de leur avion de ligne de la compagnie Ryanair, alors qu'il était parti d'Athènes et devait atterrir à Vilnius en Lituanie. Les autorités biélorusses ont justifié le déroutage de l'avion qui survolait leur territoire par une alerte à la bombe ; Minsk a déclaré avoir reçu une menace du Hamas, ce que nie le mouvement islamiste palestinien. L'interception de l'avion de Ryanair par les autorités biélorusses a suscité de nombreuses réactions au sein des chancelleries occidentales, se traduisant notamment par des restrictions concernant le trafic aérien survolant le pays, ainsi que des sanctions.