Escalade des tensions à Jersey : Londres envoie la Royal Navy, la France déploie deux patrouilleurs
La tension est vive autour de l'île anglo-normande, où des pêcheurs français menacent de bloquer un port dans le cadre d'un conflit sur les droits de pêche lié au Brexit. Paris dit ne pas se laisser «impressionner» par les manœuvres britanniques.
Le 5 mai, le Royaume-Uni a annoncé qu'il enverrait deux navires de patrouille autour de l'île de Jersey, dans la Manche, à moins de 30 kilomètres des côtes du Cotentin. Il s'agit, selon Londres, d'une mesure de «précaution», alors que des pêcheurs français menacent de bloquer le port de l'île dans le cadre d'un conflit sur les droits de pêche lié au Brexit.
Deux patrouilleurs français ont par la suite été déployés afin d'assurer «la sécurité de la navigation et la sauvegarde de la vie humaine en mer». Joint par l'AFP, le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes Clément Beaune a estimé que les «manœuvres» de Londres ne devaient «pas nous impressionner».
«Notre volonté n’est pas d'entretenir des tensions mais d’avoir une application rapide et complète de l’accord. Rien que l’accord et tout l’accord», a encore poursuivi Clément Beaune après s'être entretenu avec le ministre britannique chargé des relations avec l'UE, David Frost.
«Avec une cinquantaine de pêcheurs sur zone forcément on a préféré prépositionner ces deux bâtiments», a pour sa part expliqué une porte-parole de la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord, en référence à une manifestation de dizaines de bateaux de pêche, qui se sont rassemblés pour protester ce 6 mai devant Saint-Hélier.
C’est la grande armada des bateaux de pêche de la Manche, nous arrivons à Saint-Helier #Jersey#pechepic.twitter.com/WauQCjaV14
— Marie Carof-Gadel (@mcarofgad) May 6, 2021
En début d'après-midi du 6 mai, la cinquantaine de bateaux de pêche français ont commencé à quitter les eaux de l'île anglo-normande, rapporte l'AFP. Les responsables de Jersey «restent sur leur position», a déclaré auprès de l'agence Ludovic Lazaro, pêcheur de Granville, à l'issue d'une rencontre entre les pêcheurs français et un ministre de Jersey. «Maintenant, c'est aux ministres de s'arranger. Nous, on va plus pouvoir faire grand chose», a-t-il ajouté.
Après ce départ, Londres a annoncé en fin de journée rappeler ses patrouilleurs. «Nous sommes ravis que les bateaux de pêche français ont désormais quitté les abords de Jersey», a déclaré Downing Street dans un communiqué avant d'ajouter : «La situation étant résolue pour le moment, les patrouilleurs de la Royal Navy se préparent à rentrer au port au Royaume-Uni.»
Menaces de blocage
L'impasse entre Jersey et Paris concernant l'octroi de droits de pêche aux navires français dans les eaux de l'île a pris une nouvelle tournure cette semaine lorsque des pêcheurs français ont menacé de bloquer Saint Helier, le principal port de cette île anglo-normande. En réponse, le Premier ministre britannique Boris Johnson a ordonné l'envoi de deux navires de guerre de patrouille dans la zone, à la suite de discussions avec les responsables de Jersey. «Le Premier ministre a souligné son soutien indéfectible à Jersey. Il a déclaré que tout blocus serait totalement injustifié. Par mesure de précaution, le Royaume-Uni va envoyer deux patrouilleurs pour surveiller la situation», a fait savoir Londres dans un communiqué le 5 mai.
Après avoir discuté de l'éventualité d'un blocus avec le ministre en chef de Jersey, le sénateur John Le Fondré, et le ministre des Affaires étrangères de cette dépendance de la Couronne britannique, Ian Gorst, Boris Johnson a appelé à une désescalade urgente des tensions autour de l'île et a exhorté toutes les parties à engager le dialogue. Sur Twitter, Ian Gorst a déclaré «continuer travailler en étroite collaboration avec le gouvernement britannique afin de résoudre les défis actuels de manière diplomatique et d'éviter toute escalade inutile».
My thanks to Prime Minister @BorisJohnson for his support and reassurances during our discussion this evening. We will continue to work closely with the UK Government in order to resolve the current challenges diplomatically and avoid any unnecessary escalation
— Senator Ian Gorst (@Ian_Gorst) May 5, 2021
Une nouvelle réglementation post-Brexit qui a mis le feu aux poudres
Les pêcheurs français ont menacé de bloquer le port principal de l'île – qui reçoit une grande partie de ses fournitures essentielles par voie maritime – afin de couper les livraisons qui y sont effectuées si leurs droits de pêche ne sont pas accordés. La France accuse les autorités de Jersey de bloquer injustement l'accès des navires français à ses eaux, et la dispute s'est enflammée la semaine dernière après l'entrée en vigueur d'un nouveau régime réglementaire post-Brexit.
Les pêcheurs français se plaignent d'avoir des difficultés à obtenir de nouvelles licences pour pêcher dans les eaux britanniques depuis le Brexit.
Michel Duchemin et Laurent Blondel, second et capitaine dû Presqu’île 2 expliquent pourquoi il était essentiel d’être là aujourd’hui devant #Jersey pour les pêcheurs français pic.twitter.com/XbSrC6ifJh
— Marie Carof-Gadel (@mcarofgad) May 6, 2021
La ministre française de la Mer Annick Girardin a fait valoir que les nouvelles licences comportent des conditions imposées unilatéralement, telles que la limitation du temps passé dans les eaux de Jersey. «Nos voisins imposent des critères n'appartenant pas à l'accord post-Brexit Le droit est formel, les conventions doivent être respectées», a-t-elle déclaré.
Nous sommes aux côtés des pêcheurs 🇫🇷 dépendant d'un accès aux eaux britanniques. Nos voisins imposent des critères n'appartenant pas à l'accord post-#Brexit. Le droit est formel, les conventions doivent être respectées. Nous veillerons à ce que l'accord signé fin 2020 le soit. pic.twitter.com/vVoEW6duO3
— Annick Girardin (@AnnickGirardin) May 4, 2021
Les autorités de l'île maintiennent qu'elles ne font qu'appliquer les règles convenues par Londres et Bruxelles, ajoutant que certains des navires français n'ont pas fourni les documents nécessaires au renouvellement de leurs droits de pêche. L'île a déjà accordé l'accès à ses eaux à 41 bateaux français. Dix-sept autres n'ont pas obtenu les licences nécessaires.
Les tensions ne font que s'accroître ces derniers jours : la France a menacé de couper l'électricité de l'île, les autorités de cette dernière qualifiant cette menace de «disproportionnée». En 2019, Jersey a reçu 95 % de son énergie de la France via des câbles sous-marins. Paris a également prévenu pouvoir être «un partenaire brutale et difficile» si ses bateaux n'obtenaient pas l'accès aux eaux de pêche. Londres a fustigé ces déclarations comme étant «surprenantes et décevantes, surtout de la part d'un voisin proche».