La junte au pouvoir au Mali après un coup d'Etat mené il y a trois semaines lance ces 5 et 6 septembre 2020, sous le regard attentif du monde, une vaste consultation avec les partis et la société civile. En jeu, la transition censée ramener les civils à la tête de ce pays.
Les colonels qui ont renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août ont promis de rendre les commandes aux civils à l'issue d'une transition. Mais la forme et la durée de cette dernière, deux sujets de frictions avec la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui a imposé des sanctions aux nouveaux dirigeants militaires, ne sont pas encore fixées.
Le lancement de cette large consultation avait subi un sérieux contretemps le week-end dernier. Les militaires l'avaient reporté en pleine querelle avec un acteur primordial de la crise, le Mouvement du 5-juin/Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP).
Ces rencontres sous la présidence du colonel Assimi Goïta, le nouvel homme fort du Mali, commencent finalement ce matin du 5 septembre à Bamako, ainsi que dans les capitales régionales du pays, sous la houlette des gouverneurs de région selon la junte. «La concertation nationale se poursuivra du 10 au 12 septembre 2020 [à Bamako] avec la participation des délégués régionaux et ceux de la diaspora», a précisé Ismaël Wagué, le porte-parole du Comité pour le salut du peuple (CNSP), l'instance mise en place par les militaires.
Le M5-RFP, qui s'était indigné de ne pas avoir été invité nominativement à la première rencontre, figure cette fois explicitement parmi les participants annoncés, avec les partis politiques, les organisations de la société civile, d'anciens groupes rebelles, les syndicats et la presse.
Le M5-RFP craint d'être marginalisé
Coalition d'organisations et de responsables politiques, religieux et civils réunis par leur opposition à l'ancien président, le M5-RFP a mené pendant des semaines la contestation contre l'ex-président Ibrahim Boubakar Keïta. C'est finalement un groupe d'officiers qui l'a déposé le 18 août après sept années de pouvoir exercé avec le soutien de la France dans le combat contre la propagation djihadiste.
Pour les militaires, le temps presse : les dirigeants ouest-africains, qui ont réclamé une «transition civile» et des élections sous 12 mois, se réuniront le 7 septembre par visioconférence, avec la situation malienne en tête de l'ordre du jour. Sur le plan intérieur, le M5-RFP, qui a canalisé l'exaspération des Maliens devant la grave crise sécuritaire, économique et institutionnelle traversée par leur pays, mais aussi la corruption reprochée à toute la classe politique, réclame d'être placé sur un pied d'égalité avec la junte à l'heure de la transition. Il l'avait accusée de chercher à «confisquer» le changement, tandis que sa figure tutélaire, l'imam Mahmoud Dicko, a prévenu les militaires qu'ils n'avaient pas «carte blanche».
Depuis, et après s'être entretenus avec les représentants étrangers pour les rassurer, mais aussi demander la levée des sanctions imposées par les voisins ouest-africains, les militaires ont reçu séparément les représentants du M5-RFP et des responsables de partis ou de syndicats. Chacun a exposé sa vision, en particulier sur la durée de la transition et qui, civil ou militaire, devra la conduire. Ces sujets divisent les militaires et responsables maliens, mais aussi la communauté internationale et les experts.
Combien de temps les militaires resteront-ils au pouvoir ?
Les uns invoquent le temps et l'autorité indispensables pour relever les immenses défis auxquels fait face le pays, demandant à ne pas commettre à nouveau les erreurs d'un passé tourmenté. Les autres font valoir a contrario le risque d'un nouvel affaiblissement de l'Etat, d'une instabilité encore accrue dont profiteraient les djihadistes, ainsi que le mauvais exemple régional donné par une junte maintenue durablement au pouvoir.
La junte a proposé initialement trois ans sous la conduite d'un militaire, avant d'abaisser la barre à deux ans, tout en se disant ouverte sur l'identité de son chef. De son côté, le M5-RFP a proposé une transition de 18 à 24 mois avec des civils aux manettes des institutions.
L'ex-président Keïta, en résidence surveillée à Bamako selon son entourage, s'apprête à quitter le Mali après avoir été hospitalisé cette semaine, victime selon les médecins d'un court accident vasculaire cérébral. Il pourrait se rendre aux Emirats arabes unis pour des soins complémentaires, avec l'accord des militaires selon ses proches.
Le 4 septembre, au moins 10 soldats ont été tués dans une embuscade près de la frontière mauritanienne.