Pour la troisième nuit consécutive après la réélection, contestée par l'opposition, du président Alexandre Loukachenko avec 80% des suffrages, la Biélorussie a fait face ce 11 août à de nouvelles manifestations. Comme lors des jours précédents, des scènes de violence ont été observées de part et d'autre lors de ce rassemblement, qui a à nouveau viré à l'affrontement.
Déployées en nombre, les forces de l'ordre ont procédé à plusieurs interpellations, alors que les manifestants, de leur côté, ont tenté de bloquer les rues en installant des barricades de fortune dans la capitale, Minsk.
Aux abords de la ville, des affrontements ont également éclaté entre forces de l'ordre et manifestants.
D'autres villes du pays sont également le théâtre de manifestations, comme Brest, à quelques kilomètres de la frontière polonaise, où des opposants au chef de l'Etat se sont livrés à des affrontements avec les forces de l'ordre.
Le 12 août, la police biélorusse a même annoncé, dans un communiqué cité par l'AFP avoir tiré à l'arme à feu sur «un groupe de personnes agressives» armées de barres de métal, dans cette même ville. «Un assaillant a été blessé», précise le texte.
Affrontements et journalistes pris pour cible
Depuis le début du mouvement de contestation le soir du 9 août, de nombreux blessés sont à déplorer, parmi les manifestants mais aussi dans les rangs des forces de l'ordre.
Le ministère biélorusse de l'Intérieur, qui n'était pas en mesure de fournir un bilan précis pour le soir du 11 août, avait fait état de 200 personnes hospitalisées et 5 000 arrestations à l'issue des deux premières nuits de manifestations, lors desquelles la police a fait usage de grenades sonores et de balles en caoutchouc pour disperser les protestataires. Un manifestant a par ailleurs perdu la vie. Selon un communiqué de la police, il a tenté de lancer un engin explosif sur les forces de l'ordre, «mais cet engin a explosé dans ses mains».
Minsk a toutefois souligné que l'affluence avait été moins importante que les soirs précédents lors de cette dernière nuit de protestation.
Par ailleurs, de nombreux journalistes, locaux ou étrangers, ont fait les frais du climat de violence ambiant. Plusieurs d'entre eux ont notamment été blessés, alors que d'autres ont été arrêtés en couvrant les rassemblements ou le scrutin. C'est notamment le cas de plusieurs journalistes russes comme Anton Starkov et Dmitri Lassenko (du média russe Daily Storm), Maxime Solopov (Meduza), des collaborateurs de l'agence vidéo Ruptly, du photographe de l'agence Sputnik Ilia Pitalev, des correspondants de la chaîne russe Dojd, ou encore du journaliste Semion Pegov, entre autres.
Des problèmes de connexion à internet ont en outre été enregistrés dans le pays depuis plusieurs jours. Alors que l'opposition y voyait une volonté de censure de la part du pouvoir biélorusse, l'entreprise publique Beltelecom a pour sa part attribué ces coupures à de «nombreuses cyberattaques» menées depuis l'étranger.
Loukachenko dénonce des «tireurs de ficelle»
La principale rivale du président biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa, qui a récolté environ 10% des voix lors de l'élection présidentielle, dont elle conteste les résultats, a annoncé dans une vidéo diffusée sur Youtube avoir choisi de quitter le pays. Elle est désormais réfugiée en Lituanie, par ailleurs membre de l'Union européenne et de l'OTAN.
«Je me considère vainqueur de ces élections», avait-elle par ailleurs déclaré dans la même prise de parole. Pourtant, dans une autre vidéo diffusée par l'agence biélorusse Belta, la candidate malheureuse appelle ses partisans au «respect de la loi» et à ne pas «descendre dans la rue». Selon les partisans de l'opposante, cette vidéo aurait été réalisée sous la pression des autorités, le 10 août au soir, lorsque l'opposante a été retenue plusieurs heures au siège de la Commission électorale.
De son côté, Alexandre Loukachenko accuse des «tireurs de ficelles» basés à l'étranger de vouloir déstabiliser son pays. «Nous avons enregistré des appels depuis l'étranger. Depuis la Pologne, la Grande-Bretagne, et la République tchèque, il y avait des appels pour téléguider, excusez l'expression, nos moutons», déclarait-il, cité par l'agence Belta. «Nous ne leur permettrons pas de mettre le pays en pièces», ajoutait celui qui est au pouvoir depuis juillet 1994.
Au cours de la campagne présidentielle, le contexte était déjà particulièrement tendu, puisque les autorités biélorusses avaient annoncé l'arrestation de citoyens russes accusés par Minsk d'appartenir à «l'organisation paramilitaire Wagner» et de préparer des actes terroristes, ce que dément Moscou. Alexandre Loukachenko accusait en outre la Russie de soutenir l'opposition.
Cela n'a pas empêché le président russe Vladimir Poutine de féliciter son homologue pour sa réélection, dans un télégramme mis en ligne par le Kremlin : «J'espère que vos activités étatiques contribueront au développement de relations russo-biélorusses mutuellement profitables dans tous les domaines.» Le dirigeant russe mettait en lumière les «peuples frères de Russie et de Biélorussie».
Bruxelles menace de sanctions
Pour autant, toutes les réactions n'ont pas été aussi cordiales. Un porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, repris par l'AFP, a déclaré : «Nous observons avec inquiétude la violence qui a été opposée aux citoyens biélorusses sortis manifester après la clôture des bureaux de vote, et appelons à la plus grande retenue.» Et d'insister : «Il faut que les résultats soient rendus publics de manière complète et transparente.» Par ailleurs, la diplomatie française avait déjà fait part le 7 août de sa «préoccupation sur les conditions du déroulement du scrutin» en l'absence d'observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Conseil de l'Europe.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait de son côté dénoncé sur Twitter un «harcèlement et une répression violente des manifestants pacifiques [qui] n'ont pas leur place en Europe». Londres appelait de son côté le gouvernement biélorusse à «s'abstenir de nouveaux actes de violence» à la suite d'élections présidentielles dont il dénonce les «graves irrégularités».
Le 12 août à Prague, Mike Pompeo, secrétaire d'Etat américain, a déclaré en conférence de presse : «Nous voulons que le peuple biélorusse jouisse des libertés qu'il réclame, qu'il pense être dans son meilleur intérêt [...] J'espère que l'Union européenne publiera non seulement des déclarations, mais prendra également des mesures.» Dans sa dépêche relatant les propos du chef de la diplomatie étasunienne, l'AFP ajoutait que ce dernier estimait «que le régime en place au Bélarus était "inacceptable"».
L'Union européenne, dans une déclaration approuvée par les 27 Etats membres le 11 août, a fustigé une élection «ni libre, ni équitable». Dénonçant une «violence disproportionnée et inacceptable de la part des autorités de l'Etat» et menaçant Minsk de sanctions, le document poursuivait : «Le peuple de Biélorussie mérite mieux.» Une réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de l'Union doit avoir lieu ce 14 août.
Louis Maréchal