Le premier tour de l'élection présidentielle en Biélorussie se tiendra le 9 août.
En lice, cinq candidats enregistrés et validés par la Commission électorale centrale (CEC) : l'actuel président du pays Alexandre Loukachenko, l'ancien membre de la chambre basse du Parlement biélorusse Anna Kanopatskaïa, le coprésident de l'association «Dire la vérité» Andreï Dmitriev, le président du Parti social-démocrate biélorusse Gramada Sergueï Tcheretchen et Svetlana Tikhanovskaïa, qui a remplacé au pied levé son mari, le vidéo-blogueur de renom Sergueï Tikhanovsky, après son arrestation en mai pour «organisation et préparation d'actions violant gravement l'ordre public», comme le rapporte l'agence RIA Novosti.
Deux autres candidatures ont été écartées de la course présidentielle : celle de Viktor Babaryko, ancien banquier et rival du président Loukachenko, arrêté mi-juin puis emprisonné, et celle de Valeri Tsepkalo, ancien diplomate et opposant qui a fui à Moscou par peur d'une arrestation.
Arrestation ou disqualification d'opposants
Selon les enquêteurs, Viktor Babaryko a été arrêté mi-juin car soupçonné d'être à la tête d'un «groupe organisé» accusé de «fraudes» et de «blanchissement d'argent» via la banque Belgazprombank, filiale du géant gazier russe Gazprom qu'il a précédemment dirigée. L'ONG Amnesty International estime de son côté qu'il s'agit d'un «prisonnier de conscience». Son arrestation avait déclenché un mouvement de protestation pacifique, qui avait débouché sur des dizaines d'arrestations.
Valeri Tsepkalo, ancien diplomate de haut rang écarté de la course à la présidentielle en raison d'un nombre insuffisant de signatures collectées pour être candidat, est «parti à Moscou avec ses enfants par crainte pour sa sécurité», a déclaré à l'AFP son porte-parole, Alexeï Ourban. Valeri Tsepkalo a indiqué au média en ligne Tut.byque son épouse et lui-même avaient pris cette décision après avoir reçu des informations de sources au sein des services de sécurité selon lesquelles «l'ordre avait été donné de [l']arrêter». Selon son épouse Veronika, restée en Biélorussie, des policiers s'étaient rendus à l'école de leurs enfants, demandant aux professeurs de rédiger des témoignages écrits épinglant ses manquements en tant que parent. «D'après ce que je comprends, ils ont lancé le processus visant à me priver de mes droits parentaux», a-t-elle précisé à Tut.by, ajoutant : «C'est pourquoi nous avons pris la décision d'envoyer Valeri et les enfants hors de Biélorussie, parce que nous sommes face à une vraie menace et à un vrai danger.»
Sergueï Tikhanovsky, blogueur populaire sur YouTube, a été emprisonné après avoir annoncé qu'il se lançait dans la course à la présidentielle en qualifiant le président Alexandre Loukachenko de «cafard» devant être écrasé. Officiellement accusé d'«organisation et préparation d'actions violant gravement l'ordre public», il a été placé en détention provisoire jusqu'au 29 septembre.
De plus, après l'interpellation le 29 juillet en Biélorussie de ressortissants russes accusés d'être des mercenaires de la société militaire privée Wagner, les enquêteurs biélorusses ont accusé Sergueï Tikhanovsky et un autre opposant politique incarcéré, Nikolaï Statkevitch, d'avoir voulu orchestrer avec leur aide des «émeutes de masse». «[Sergueï] Tikhanovsky, [Nikolaï] Statkevitch et les 33 ressortissants russes détenus, employés de la société militaire privée Wagner, sont poursuivis dans le cadre d'une enquête criminelle pour organisation d'émeutes massives. Ils agissaient ensemble», a ainsi déclaré le 30 juillet à l'AFP Sergueï Kabakovitch, porte-parole du Comité d'enquête biélorusse.
Enfin, Svetlana Tikhanovskaïa, qui a remplacé dans la campagne son mari Sergueï et a également envoyé ses enfants à l'étranger par mesure de sécurité, assure avoir reçu plusieurs coups de téléphone anonymes au cours desquels ses interlocuteurs menaçaient de l'emprisonner et de lui retirer ses enfants.
Une coalition féminine appelle à des élections incluant les candidats écartés
Si initialement Svetlana Tikhanovskaïa n'avait pas d'ambitions politiques et ne se voyait dans cette campagne qu'au côté de son mari, l'éviction de la course à la présidentielle de nombreux opposants à Loukachenko, dont son époux, l'a poussée à se jeter dans la bataille. Par la suite, elle a été rejointe dans sa campagne par Veronika Tsepkalo (femme de Valeri Tsepkalo) et Maria Kolesnikova, la directrice de campagne de Viktor Babaryko.
Dans une interview publiée par le site d’informations meduza.io, Tikhanovskaïa a affirmé qu'elle partageait une stratégie commune avec les équipes de Viktor Babaryko et Valeri Tsepkalo, deux candidats écartés de la campagne présidentielle. L'émergence de cette coalition fait de Tikhanovskaïa la principale candidate de l'opposition, selon la presse russe.
Nous ne sommes pas des citoyennes de second rang, nous sommes égales aux hommes et pensons que nous allons gagner !
«Nous avons décidé de nous unir pour montrer ce qu'est la solidarité féminine», a déclaré Veronika Tsepkalo au cours d'une conférence de presse avec ses deux camarades. «Nous ne sommes pas des citoyennes de second rang, nous sommes égales aux hommes et pensons que nous allons gagner !», a-t-elle également martelé.
En cas de victoire, Svetlana Tikhanovskaïa envisage de «libérer les prisonniers politiques et économiques» puis de créer les conditions pour la tenue d'élections anticipées incluant la participation, notamment, des opposants actuellement derrière les barreaux Viktor Babaryko, Valeri Tsepkalo et Sergueï Tikhanovsky. Le message principal de sa campagne présidentielle consiste ainsi à inciter les électeurs à voter pour l'organisation de nouvelles élections jugées justes et équitables, et non à la soutenir personnellement.
Si une femme veut être candidate, on l'enverra d'abord dans une unité militaire [...] pour qu'elle soit formée et sache faire la différence entre un transport de troupes et un char
Alexandre Loukachenko, cité par l'AFP, a raillé la concurrence que représenterait Tikhanovskaïa, jugeant que la Biélorussie n'était «pas encore prêt[e] à voter pour une femme». Il a estimé par ailleurs que «si une femme [voulait] être candidate, on l'enverra[it] d'abord dans une unité militaire [...] pour qu'elle soit formée et sache faire la différence entre un transport de troupes et un char».
Le 30 juillet, Svetlana Tikhanovskaïa s'est adressée dans une vidéo au chef de l'Etat en lui proposant de s'affronter lors d'un débat en face-à-face «devant le peuple biélorusse», en écartant un débat télévisé lors duquel Loukachenko ne serait pas présent en personne, mais représenté par un proche. «Je refuse de débattre à la télévision publique. Le débat que vous nous proposez est une farce, il est aussi faux que votre élection», a dénoncé Tikhanovskaïa, citée par l'agence TASS. Elle a également épinglé le fait que le débat prévu à la télévision nationale ne serait pas diffusé en direct, ce qui, selon elle, constitue une violation de la loi.
Après 26 ans au pouvoir, Loukachenko se veut le garant de la souveraineté et de la stabilité du pays
Alexandre Loukachenko, arrivé au pouvoir en 1994, présente sa candidature à l'élection présidentielle pour la sixième fois. Fort de ces années d'expérience, il se positionne comme un dirigeant fort et soucieux des intérêts nationaux.
Selon le politologue Alexeï Dzermant cité par l'agence RIA Novosti, au cours des années passées par Loukachenko à la tête du pays, «un Etat national fort a été construit, qui a préservé la paix, l’intégrité territoriale et qui s'est développé tranquillement».
Loukachenko a également été à l'origine, avec ses homologues russes, de la création de l'Union de la Russie et de la Biélorussie, dont le traité de création a été signé le 8 décembre 1999. Ce projet d'intégration géopolitique prévoyait la mise en place d'un espace économique commun, une coordination au niveau financier et douanier, ainsi que l'ouverture des frontières entre les deux pays et la coordination dans la prise de décisions internationales. Cependant de nombreux désaccords en matière de prix d'achat du gaz et du pétrole russes ont envenimé les relations bilatérales depuis quelques années. Fin 2019, le chef de l'Etat biélorusse a décidé de diversifier l'approvisionnement en hydrocarbures du pays, en en achetant désormais à l'Azerbaïdjan, à l'Arabie saoudite, à la Norvège et aux Etats-Unis.
Pour autant, Alexandre Loukachenko continue à se positionner comme l'allié historique de Moscou. Lors de sa rencontre avec le Premier ministre russe Mikhaïl Michoustine le 17 juillet dernier, il avait déclaré, selon l'agence RIA Novosti, que la Biélorussie resterait toujours un pays «proche et cher» pour la Russie.
La campagne présidentielle 2020 semble beaucoup plus complexe que les précédentes pour le chef de l'Etat. Et il ne reste pas passif face à cette donne.
La question des élections présidentielles est secondaire. La question principale [...] est de préserver le pays
Tandis que sa principale adversaire, Svetlana Tikhanovskaïa, enchaîne les rencontres avec ses partisans à travers le pays, Loukachenko s'est de son côté adressé aux forces de l'ordre. Lors d'une réunion tenue le 28 juillet avec les responsables de différentes structures du système de sécurité nationale, il a martelé qu'«en aucun cas» il ne fallait permettre la déstabilisation du pays. La préservation de la Biélorussie est plus importante que la question des élections présidentielles, a déclaré le président, cité par le site d'information officielle belta.by. «Vous et moi, nous devrions être surtout préoccupés par le fait de n’admettre en aucun cas la déstabilisation de la situation dans notre pays. C'est notre objectif le plus important. La question des élections présidentielles est secondaire. La question principale et la plus importante est de préserver le pays», a insisté le dirigeant biélorusse.
Par ailleurs, Loukachenko a affirmé que la campagne présidentielle actuelle était victime de nombreuses tentatives de déstabiliser le pays, ce dernier risquant de perdre une partie de son territoire et de retrouver ses frontières de 1921 s'il ne prenait pas garde à ces menaces.
A la suite de nombreuses manifestations d'opposition, lors d'une prise de parole le 15 juillet, le dirigeant biélorusse n'a pas hésité à accuser à la fois Moscou et l'Occident de vouloir s'ingérer dans le scrutin d'août 2020, sous-entendant que certains candidats étaient financés par le Kremlin. Partant, Alexandre Loukachenko a assuré qu'il défendrait son pays «avec toutes les méthodes légales» et qu'il ne donnerait «son pays à personne».
Manifestations et arrestations
Après le refus de la Commission électorale centrale d’enregistrer les candidatures de Babaryko et Tsepkalo mi-juillet, d'importantes manifestations ont été organisées à Minsk et dans d'autres grandes villes du pays. La police de cette ancienne république soviétique a indiqué avoir arrêté, le 14 juillet, «plus de 250 personnes» lors de ces manifestations non autorisées à travers le pays, près 200 arrestations ayant eu lieu à Minsk.
Les manifestants qui se sont rassemblés ce jour dans la capitale du pays pour exprimer leur soutien aux opposants d'Alexandre Loukachenko ont été dispersés par la police. Le Comité d'enquête a annoncé de son côté l'ouverture d'une enquête pour «violations flagrantes de l'ordre public», délit passible d'une peine pouvant aller jusqu'à trois ans de prison, a rapporté le quotidien russe Komsomolskaïa Pravda.
Par la suite, le responsable du ministère de l'Intérieur, Ivan Koubrakov, cité par le site d'information belta.by, a indiqué que 115 manifestants étaient poursuivis à Minsk pour refus d'obtempérer et participation à un rassemblement non autorisé, une infraction passible de courtes peines de détention ou d'une amende. Il a par ailleurs accusé des manifestants d'avoir voulu provoquer des «bagarres» avec la police.
De son côté, l'ONG Amnesty International, citée par l'AFP, a dénoncé un «recours excessif et non nécessaire à la force» lors des manifestations, pendant lesquelles des protestataires ont été mis à genoux ou frappés au visage, selon le centre de défense des droits humains Viasna.
Si je me comporte "démocratiquement" [...] j'ai une forte chance de perdre complètement le pays [...] Personne ne me pardonnera, ni à nous tous, la destruction de la Biélorussie
Face à ce contexte tendu, le président Alexandre Loukachenko a déclaré, cité par l'agence RIA Novosti : «Dans cette situation, je tiens à vous rappeler que vous ne devez pas m’obliger à faire un choix [entre règlement démocratique ou par la force de la situation]. Si je me comporte "démocratiquement", si je montre que je suis tout blanc et douillet, j'ai une forte chance de provoquer la perte complète du pays. Et on me maudira dès cette année. Personne ne me pardonnera, ni à nous tous, la destruction de la Biélorussie», a déclaré le chef d'Etat.
Par ailleurs, à Paris, Stockholm, Prague et Varsovie, plusieurs manifestations ont été organisées pour soutenir l'opposition à l'approche de la présidentielle. Les participants ont appelé à mettre fin à la persécution des hommes politiques et des militants en Biélorussie, à respecter les droits de l'Homme et à ne pas entraver la compétition politique.
Importantes mobilisations à l'appel de Tikhanovskaïa
Plusieurs dizaines de milliers de partisans de la principale candidate de l'opposition ont participé, le 30 juillet, à un grand rassemblement.
A l'appel de Svetlana Tikhanovskaïa, plus de 34 000 personnes selon l'agence RIA Novosti, près de 63 000 selon l'organisation de défense des droits humains Vasnia citée par l'AFP, se sont réunies dans un parc de la capitale, Minsk, en soutien à cette candidate inattendue. Lors de ce rassemblement d'opposition, le plus grand tenu en Biélorussie depuis au moins dix ans, les trois représentantes de la nouvelle coalition anti-Loukachenko ont appelé les électeurs à voter pour Svetlana Tikhanovskaïa.
Par ailleurs, devant des milliers de partisans, la candidate a interpellé les autorités en ces termes : «J'ai appris qu'on accusait Sergueï [Tikhanovsky] de préparer des émeutes. Vous brisez le sort d'un homme, pas d'un seul, de tous les prisonniers politiques du pays.» Svetlana Tikhanovskaïa a souligné qu'elle contestait tout lien entre l'arrestation de son mari et l'interpellation plus récente d'un groupe de Russes soupçonnés de vouloir «déstabiliser» le pays.
«Personne ne croira que ces combattants nous ont été envoyés pour les élections, qu'ils voulaient faire une révolution ici. Quelle révolution ? Nous voulons la liberté», a-t-elle ajouté.
Quelle popularité pour le président Loukachenko ?
La popularité du président Loukachenko reste élevée, selon un sondage commandé par la chaîne de télévision biélorusse publique ONT. Ainsi 72,3% des Biélorusses sont prêts à soutenir le chef de l'Etat actuel, contre seulement 7,5% favorables à Svetlana Tikhanovskaïa, a annoncé le centre analytique Ecoom, cité par site d'actualité russe gazeta.ru [hyperlien]. L'enquête a été réalisée du 23 au 27 juillet auprès de 1 879 personnes.
En mai dernier, deux médias biélorusses, Onliner et Tut.by, avaient organisé des sondages en ligne. Deux d'entre eux avaient estimé que la cote de popularité d'Alexandre Loukachenko auprès des internautes était comprise entre 3% et 6%, ce qui avait conduit nombre d'utilisateurs des réseaux sociaux à surnommer facétieusement leur président «Sacha 3%» (Sacha étant le diminutif d'Alexandre).
Conséquence : début juin, l'Académie des sciences de Biélorussie a déclaré que les sondages en ligne organisés par des médias étaient assimilables à des enquêtes politiques et nécessitaient donc une accréditation officielle, a rapporté gazeta.ru.
Pas d'observateurs de l'OSCE à la présidentielle biélorusse
Dernier point singulier concernant cette présidentielle : pour la première fois depuis 2001, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) n'enverra pas de mission électorale en Biélorussie pour le scrutin du 9 août, faute d'invitation envoyée à temps par Minsk. L'organisation, dans un communiqué cité par l'AFP, a en outre exprimé sa «profonde préoccupation face aux informations selon lesquelles des candidats potentiels auraient été intimidés et des militants de l'opposition arrêtés».
Les quatre dernières élections présidentielles n'avaient pas été reconnues comme équitables par les observateurs de l'OSCE.