Coronavirus : le grand essai clinique Discovery, un fiasco européen ?
Alors qu'Emmanuel Macron a annoncé les premiers résultats du test européen pour le 14 mai, les chercheurs travaillant sur le projet semblent moins optimistes. Ils relèvent des dysfonctionnements au niveau européen qui ont retardé l'étude.
«On a le protocole Discovery auquel on croit beaucoup et qui est très important, qui est un protocole européen […] On est le pays européen qui est le plus engagé dans Discovery, on aura des résultats le 14 mai sur ce protocole.» Cette phrase prononcée par Emmanuel Macron le 4 mai, à une semaine de la fin du confinement, avait relancé les espoirs de voir l’essai clinique Discovery, lancé en grande pompe le 22 mars dernier, et coordonné par l’Inserm via le consortium Reacting, livrer ses premiers éléments de réponse à propos d’un potentiel traitement du Covid-19.
Censé initialement réunir 3 200 patients répartis à travers huit pays d’Europe afin d’atteindre une masse critique permettant d’obtenir des résultats significatifs, Discovery teste actuellement les effets de quatre remèdes expérimentaux : le remdesivir, développé à l'origine par le laboratoire américain Gilead Sciences contre le virus Ebola, la combinaison lopinavir-ritonavir, utilisée pour traiter le VIH, cette même combinaison à laquelle s’ajoute l’interféron bêta, un immunomodulateur efficace dans le traitement de la sclérose en plaques par exemple, et enfin l’hydroxychloroquine, rendue célèbre par le professeur Didier Raoult.
Un «échec», selon le directeur de Reacting
Cependant, lorsqu’Emmanuel Macron évoque un «protocole européen» dans lequel la France est le pays «le plus engagé», il se garde bien de donner des détails sur les patients fournis par chaque Etat. De l’aveu de Florence Ader, infectiologue et pneumologue à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, interrogée le 6 mai par la commission des Affaires sociales du Sénat, et par ailleurs responsable méthodologique et statistique de l’essai, seulement «740 patients» sont actuellement suivis dont «un seul hors de France», en l’occurrence au Luxembourg.
Franchement, Covid et l’Europe, c’est un échec ! Chaque pays a travaillé pour lui, et on a beaucoup de mal à coopérer
Une coopération européenne qualifiée d’«échec» par Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat à Paris, membre du conseil scientifique et coordinateur de Reacting, dans un entretien accordé au Monde le 1er mai. «Franchement, Covid et l’Europe, c’est un échec ! Chaque pays a travaillé pour lui, et on a beaucoup de mal à coopérer. Seul le Luxembourg nous a rejoints», avait-il tempêté auprès de nos confrères. Devant la commission sénatoriale, Florence Ader a préféré évoquer des «difficultés réglementaires».
Car force est de constater que les pays de l’Union européenne (UE) ont toutes les peines du monde à trouver un compromis. Ainsi, l’Italie, le Royaume-Uni ou encore l’Espagne, qui devaient initialement être parties prenantes de l’opération, ont visiblement jeté l'éponge. Nos voisins transalpins et ibériques participeront à l’essai mené par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), baptisé «Solidarity», alors que les Britanniques ont de leur côté décidé de mener leur propre étude : «Recovery».
Florence Ader met en cause le «buzz» causé par la chloroquine
Principal argument avancé par la chercheuse devant les élus du palais du Luxembourg : le budget. Avec un coût estimé de 4 500 à 5 000 euros par patient, l’investissement reste selon elle trop onéreux pour certains pays européens. Elle a annoncé mener des discussions avec l’UE afin de pouvoir débloquer des financements. Yazdan Yazdanpanah a précisé auprès de l’AFP être «en train de commencer» les inclusions de patients «en Autriche, au Portugal et j’espère en Allemagne».
Autre piste possible évoqué par Florence Ader : celle de la Raoult-mania qui s’est emparée de la France. «Au début notre étude ne devait avoir que quatre bras, et ne pas évaluer l’hydroxychloroquine. Mais en fait, à cause du buzz de l’hydroxychloroquine, on m’a demandé un soir, de manière très précise, de rajouter l’hydroxychloroquine», a-t-elle déclaré, interrogée par un journaliste de l’émission C à vous sur France 5, révélant que cette injonction provenait «du gouvernement».
Par ailleurs, elle décrit des scènes dans lesquelles certains patients désireux de participer à l'essai refusaient finalement, fâchés qu'on ne leur ait pas prescrit d'hydroxychloroquine. D'autres, qui en avaient déjà consommé avant l'essai, devenaient de fait indisponibles pour l'étude.
Il semble que même avec toute la bonne volonté du monde, il soit donc impossible pour Discovery de proposer une étude à la hauteur de ses ambitions dans le délai cité par Emmanuel Macron. Le nombre de contaminés diminuant, il sera de plus en plus difficile de trouver des sujets remplissant tous les critères de sélection, sauf en cas de «seconde vague», pour reprendre un terme employé par le ministre de la Santé Olivier Véran. Sur le plateau de France 5, Florence Ader a confirmé qu'elle «ne [pensait] pas» que Reacting puisse publier de résultats dès le 14 mai, évoquant un «problème de communication» entre le consortium et l'exécutif.
Toutefois, même si Discovery n’atteint pas ses objectifs, les participants au test, chercheurs comme cobayes, pourront se consoler en se disant que celui-ci n’est qu’une «émanation» de l’essai mené par l’OMS, d’après l’infectiologue lyonnaise, les données des deux études ayant vocation à être partagées. Plus de 1 800 patients français ont également participé à Solidarity, soit le contingent le plus important, selon Florence Ader.