Apple, Nike, BMW... 83 multinationales accusées d'être liées au travail forcé de Ouïghours en Chine
Selon un rapport intitulé «Ouïghours à vendre» publié le 1er mars par un institut d'étude australien, la Chine aurait transféré près de 80 000 détenus de cette minorité vers des usines de sous-traitance de quelque 80 multinationales.
Plus de 80 grandes marques internationales des secteurs de la technologie, du textile et de l’automobile – dont Apple, Nike, BMW et les françaises Lacoste et Alstom – ont été citées dans un rapport publié le 1er mars par l’Institut australien de stratégie politique (Australian strategic policy institut – ASPI). D’après ce rapport, la Chine aurait transféré des dizaines de milliers de membres de la minorité musulmane ouïghoure, détenus dans des camps d’enfermement, vers des usines fournissant ces multinationales.
Entre 2017 et 2019, plus de 80 000 Ouïghours détenus dans la région du Xinjiang (nord-ouest) auraient été déplacés dans toute la Chine pour travailler dans des usines «appartenant aux chaînes d’approvisionnement de 83 marques connues mondialement», affirme ainsi l'ASPI.
Figurent notamment dans ce rapport : Apple, Sony, Samsung, Microsoft, ou Nokia pour le secteur technologique ; Adidas, Lacoste, Gap, Nike, Puma, Uniqlo, ou H&M, pour le secteur du textile ; BMW, Volkswagen, Mercedes-Benz, Land Rover ou Jaguar pour l’automobile.
Plusieurs grands groupes chinois y sont également recensés, parmi lesquels des fleurons technologiques tels que Haier (électroménager), Huaweï et Oppo (smartphones), mais aussi des constructeurs automobiles.
«Un pipeline de travailleurs ouïghours relie directement les camps du Xinjiang aux usines à travers la Chine»
Plusieurs organisations de défense des droits de l'Homme accusent la Chine d'avoir interné au Xinjiang au moins un million de musulmans dans des «camps de rééducation», en réponse aux violences inter-ethniques ayant ensanglanté cette région depuis plusieurs années.
De son côté, Pékin dément ce chiffre et parle de «centres de formation professionnelle» destinés à combattre l'extrémisme religieux. En outre, les médias publiques chinois, selon l'AFP, ont déjà évoqué le transfert de «forces de travail excédentaires» du Xinjiang vers d'autres régions au nom de la lutte contre la pauvreté.
Le centre de réflexion australien dénombre au total 27 usines employant des Ouïghours «transférés» dans neuf provinces chinoises. «Un pipeline de travailleurs ouïghours relie directement les camps du Xinjiang aux usines à travers la Chine», précisent les auteurs du rapport.
Les ouvriers ouïghours «transférés» restent privés de liberté et subissent parfois un endoctrinement politique, selon le rapport de l'ASPI. «Dans ces usines, ils vivent habituellement dans des dortoirs séparés, suivent des cours de mandarin et d'idéologie en-dehors des heures de travail et sont sujets à une surveillance constante ; ils ne sont pas autorisés à observer leurs pratiques religieuses», poursuit l'ASPI.
Un rapport qui dénigre «les efforts de la Chine pour combattre le terrorisme», selon Pékin
Le rapport de l’Institut australien ne reposerait sur «aucune base factuelle» et a pour objectif de «dénigrer les efforts de la Chine pour combattre le terrorisme et l’extrémisme au Xinjiang», a objecté le ministère des Affaires étrangères chinois, dont les propos ont été rapportés par l'AFP.
Cette politique de l’Etat chinois aurait «enregistré de bons résultats» puisque «tous les participants au programme d’éducation anti-extrémisme ont été diplômés et ont trouvé un emploi stable», a affirmé de son côté le porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijiang, au cours d’une conférence de presse.
Des réactions timides de la part des multinationales
Les entreprises répertoriées dans le rapport «enfreignent les lois qui interdisent l'importation de biens produits en ayant recours au travail forcé», a souligné l'ASPI. Les auteurs du rapport les appellent à «faire des enquêtes immédiates et approfondies sur les droits humains dans les usines les approvisionnant en Chine, via des inspections et des audits indépendants et rigoureux». Toutefois, ils ajoutent que les 83 marques mentionnées étaient «possiblement inconscientes» des pratiques de leurs sous-traitants.
En conséquence, plusieurs de ces groupes ont réagi le 2 mars avec prudence. «Aucun fournisseur mentionné n'est actuellement un fournisseur direct de Volkswagen», affirme ainsi un porte-parole de ce constructeur automobile allemand.
Son compatriote BMW indique «ne pas pouvoir commenter le contenu» du rapport mais assure que ses sous-traitants directs doivent «appliquer la même politique avec leurs propres fournisseurs».
Apple renvoie à un engagement qu'il a pris par le passé à «ce que tous dans les chaînes de production soient traités avec la dignité et le respect qu'ils méritent», disant «travailler étroitement» avec ses fournisseurs pour que «les normes les plus élevées soient appliquées».
«Des entreprises, comme Adidas, Bosch et Panasonic, assurent n'avoir aucune relation directe avec les sous-traitants impliqués [...] mais aucune marque n'était en mesure d'exclure un lien plus haut dans la chaîne de production», indique l'ASPI.
Enfin, la marque de vêtements Abercrombie & Fitch a notifié au centre de réflexion australien qu'elle cesserait toute collaboration avec les usines incriminées dès cette année.