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Chili : trois mois d’une crise qui rappelle celle des Gilets jaunes

Déclenché le 18 octobre 2019, le mouvement de protestation se poursuit au Chili. Si des concessions ont été faites aux protestataires, la stabilité n'est pas encore de retour. Un référendum constitutionnel très attendu doit se tenir en avril.

Ce qui se passe au Chili rappelle en plusieurs points – toutes proportions gardées – la crise des Gilets jaunes et celle de la réforme des retraites en France. La façon dont Emmanuel Macron a géré la crise des Gilets jaunes a d'ailleurs été jugée exemplaire par un sénateur de la majorité du président, Sebastian Pinera, qui comparait en octobre la situation chilienne avec celle de la France.

Gaz lacrymogènes, canons à eau, balles en caoutchouc : une répression policière et militaire démesurée, selon l'ONU, s'est abattue sur les manifestants mobilisés au Chili depuis mi-octobre. A ce jour, le bilan est de plus de 29 morts et des milliers de blessés, dont plus de 200 souffrent de blessures oculaires graves, beaucoup étant éborgnés. Envoyée sur place entre fin octobre et fin novembre, la délégation du Haut-commissariat de l'ONU pour les droits de l'homme a dénoncé un «usage excessif de la force », des actes de «torture», de «violence sexuelle», ou encore des «arrestations arbitraires».

Longtemps stable en apparence, le Chili traverse depuis le 18 octobre une crise politico-sociale de grande ampleur. C'est l'augmentation des prix des tickets de métro, au début de l'automne, qui a été le détonateur de la crise. Une goutte d'eau qui a fait déborder le vase après une série d'augmentations, dont une de 10,5% sur les tarifs de l'électricité, rendant encore plus inaccessible un coût de la vie jugé déjà bien trop élevé. S'appuyant sur un modèle économique ultralibéral, le Chili, premier exportateur mondial de cuivre, disposait avant la contestation d'un système social très minimaliste. Le régime de retraites chilien, datant de la période de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), s'appuie en effet sur un système par capitalisation totalement individualisé pour les salariés. Il oblige les travailleurs à verser 10% de leur salaire sur un compte individuel géré par des Administrateurs de fonds de pension (AFPs), organismes financiers privés chargés de les faire fructifier. Comment ne pas penser à la polémique autour de la société d'investissement américaine BlackRock en France ?

Avec un tel système, d'innombrables retraités chiliens vivent sous le seuil de pauvreté, même s'ils ont travaillé la majeure partie de leur existence. Le système de santé et celui de l'enseignement universitaire sont, eux aussi, vivement critiqués. Le Chili est un des pays de la région où les médicaments coûtent ainsi le plus cher. Les universités, payantes, sont inaccessibles aux plus défavorisés. Tous ces éléments font du Chili le pays le plus inégalitaire de l'OCDE.

Soutenu par Washington, le président Sebastian Piñera, milliardaire comme Donald Trump, est au cœur de la contestation. Un sondage publié le 16 janvier indique qu'il plonge actuellement dans un abîme d'impopularité, avec seulement 6% d'opinions favorables. La même enquête montre que moins de la moitié des Chiliens estiment que leur pays est une démocratie effective. Pour tenter de calmer les protestataires, le gouvernement a annoncé fin octobre une série de mesures économiques, telles que l'augmentation des retraites les plus basses, du salaire minimum, ainsi que le gel des tarifs d'électricité. Début décembre, il a ajouté un nouveau plan économique prévoyant l'augmentation de 3 milliards de dollars des dépenses publiques, une aide financière aux PME à hauteur de 1,9 milliard de dollars et la création de 100 000 emplois supplémentaires.

Vers une nouvelle Constitution

Plus récemment, le 5 janvier, le président chilien a annoncé un projet de loi visant à réformer le système de santé. Il prévoit notamment de réduire le prix des médicaments et d'étendre les autorisations données aux cliniques privées de soigner les usagers du secteur public. Le 15 janvier, le gouvernement a annoncé une augmentation des cotisations patronales afin que les employeurs cotisent pour la retraite de leurs salariés. Dans le même temps, Sebastian Piñera a également promis une prime exceptionnelle à 1,3 million de familles.

A l'image de ce qui se passe en Algérie avec le Hirak et des Gilets jaunes en France, le mouvement de contestation chilien n'a pas de porte-parole. Il n'y a donc pas d'interlocuteur pour négocier avec le gouvernement. La rue donne ainsi la température et l'autorité tâtonne sans lâcher le pouvoir. Les concessions que Sebastian Piñera accorde ne suffisent pas à calmer les contestataires qui exigent sa démission et des changements radicaux au niveau politique, en particulier la rédaction d'une nouvelle Constitution. Celle actuellement en vigueur est héritée de la dictature d'Augusto Pinochet et les Chiliens n'en veulent plus. Des assemblées citoyennes, baptisées «cabildos», fleurissent dans les rues du pays. Des séances durant lesquelles les contestataires, assis à même le sol, listent leurs nombreuses revendications, à la tête desquelles trônent des réformes économiques et politiques profondes.

En novembre, confronté à une pression continue, le président a été obligé de céder davantage. Le 14 novembre, la coalition parlementaire de Piñera et l'opposition ont signé un accord historique visant à l'organisation d'un référendum sur la Constitution. Le 19 décembre, le Congrès chilien a adopté un texte permettant l'organisation du référendum, le 26 avril prochain. Lors de ce scrutin, les Chiliens devront répondre à deux questions : souhaitez-vous une nouvelle Constitution ? Et si oui, quel organe devra rédiger cette dernière ? Deux réponses seront possibles : un congrès mixte, composé à parts égales de citoyens élus à cette fin et de députés, ou une Assemblée constituante composée intégralement de citoyens élus pour ce projet d'écriture. L'organe chargé de la rédaction aurait alors neuf mois pour élaborer un nouveau texte, une période qui pourrait être prolongée de trois mois.

Meriem Laribi 

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