Affaire Khashoggi : cinq Saoudiens condamnés à mort, deux commanditaires présumés disculpés
Cinq individus ont été condamnés à mort et trois à 24 ans de prison dans l'affaire du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en octobre 2018. L'ONU déplore que l'enquête n'ait pas cherché à identifier les «cerveaux» de l'opération.
Le procureur général d’Arabie saoudite a annoncé, le 23 décembre, le verdict pour les individus inculpés dans l’affaire du meurtre retentissant du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, notamment contributeur au Washington Post, en octobre 2018. Sur les 31 personnes suspectées dans le cadre de l'enquête, selon les chiffres donnés dans le communiqué du procureur, 21 ont été arrêtées, 11 ont été condamnées dont cinq à mort et trois à 24 années de prison.
«Le tribunal a condamné à mort cinq hommes qui ont directement participé à l'assassinat», peut-on lire dans le communiqué. Toutefois, précise le texte, aucune accusation n’a été retenue contre Saoud al-Qahtani, un proche conseiller du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane, ni contre l’ancien numéro deux du renseignement saoudien, le général Ahmed al-Assiri.
Le général était soupçonné d’avoir supervisé l’assassinat de Jamal Khashoggi et d’avoir agi suite aux conseils et indications de Saoud al-Qahtani, selon l’AFP. En effet, ce dernier a été interrogé dans le cadre de l’enquête judiciaire mais n’a pas été inculpé «faute de preuves», d’après le communiqué du procureur, tout comme Ahmed al-Assiri qui, lui, a été inculpé mais acquitté pour les mêmes raisons.
«Ni justice ni vérité»
Le verdict du procureur général d’Arabie saoudite sur l’affaire du meurtre de Jamal Khashoggi, a suscité l’ire de nombreux observateurs internationaux.
Pour le secrétaire général de l'ONG Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire, ces cinq condamnations à mort pourraient être «un moyen de faire taire à jamais des témoins de l'assassinat». Christophe Deloire a dénoncé sur Twitter le fait que «l’opacité de la procédure et la dissimulation des éléments de preuve ne permettent pas de se faire une idée sur les motifs des condamnations et acquittements».
Ce procès n'a pas respecté les standards internationaux de la justice (investigation bâclée, audiences à huis clos). L'opacité de la procédure et la dissimulation des éléments de preuve ne permettent pas de se faire une idée sur les motifs des condamnations et acquittements.
— Christophe Deloire (@cdeloire) December 23, 2019
Christophe Deloire a par ailleurs jugé que «la condamnation à mort ne permet[tait] pas de rendre justice».
La condamnation à mort ne permet pas de rendre la justice. Nous pouvons l'interpréter comme un moyen de faire taire à jamais des suspects, une manière de les empêcher de parler pour mieux camoufler la vérité.
— Christophe Deloire (@cdeloire) December 23, 2019
«L’Arabie saoudite est 172e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse en raison de la situation générale des médias, de la détention abusive de plus de 30 journalistes», explique enfin le secrétaire général de RSF.
L'Arabie saoudite est 172ème sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse en raison de la situation générale des médias, de la détention abusive de plus de 30 journalistes et à cause de cet assassinat par des hommes de main dans une enceinte diplomatique.
— Christophe Deloire (@cdeloire) December 23, 2019
De son côté, Agnès Callamard, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions sommaires, a jugé le 23 décembre sur Twitter que le meurtre de Jamal Khashoggi constituait une «exécution extrajudiciaire dont l'Arabie saoudite est responsable».
c) Under international human rights law, the killing of Mr. #Khashoggi was an extrajudicial execution for which the State of #SaudiArabia is responsible. But at no point did the trial considered the responsibilities of the State.
— Agnes Callamard (@AgnesCallamard) December 23, 2019
Agnès Callamard reproche en outre que l’enquête judiciaire n’ait pas cherché à identifier la «chaîne de commandement» afin de cibler les «cerveaux, ainsi que ceux qui ont incité, autorisé ou fermé les yeux sur le meurtre, comme le prince héritier».
d) The execution of #JamalKhashoggi demanded an investigation into the chain of command to identify the masterminds, as well as those who incited, allowed or turned a blind eye to the murder, such as the Crown Prince. This was not investigated.
— Agnes Callamard (@AgnesCallamard) December 23, 2019
«Le verdict sert à blanchir et n'apporte ni la justice ni la vérité pour Jamal Khashoggi et ses proches», a dénoncé dans un communiqué Lynn Maalouf, directrice des recherches sur le Moyen-Orient pour Amnesty International, évoquant un «procès tout à fait injuste». «Ce verdict échoue à se pencher sur l'implication des autorités saoudiennes dans ce crime», a-t-elle ajouté, rappelant que le procès s'était tenu à huis clos.
Quant à la Turquie, où s'est déroulé le meurtre, Ankara a estimé que le verdict était «loin de répondre aux attentes de [son] pays et de la communauté internationale».
Les autorités de Riyad, après avoir donné plusieurs versions du meurtre de Jamal Khashoggi, avaient fini par admettre que celui-ci avait été commis par des agents saoudiens, assurant toutefois que ces derniers avaient agi seuls et sans ordre de hauts dirigeants.
«Le meurtre de Khashoggi n'a pas été prémédité», assure Riyad
Plusieurs sources proches de l’affaire, citées par l'AFP, ont affirmé que de nombreux accusés s’étaient défendus devant le tribunal en désignant le général Ahmed al-Assiri comme le «chef de file» de l’opération, duquel ils ne faisaient qu’exécuter les ordres.
Le tribunal de Riyad a précisé dans un communiqué : «Nous avons conclu que le meurtre de Khashoggi n’a pas été prémédité.»
Le démembrement nécessite une planification minimale
Ce verdict a suscité une profonde indignation chez Agnès Callamard, qui a déclaré sur Twitter : «Le juge semble avoir conclu que le meurtre de Khashoggi était un accident car il ne semble y avoir aucune intention. Dire que sur le moment, les tueurs ont décidé de couper son corps est tout à fait ridicule.» «Le démembrement nécessite une planification minimale», a-t-elle ajouté.
Jamal Khashoggi a été assassiné à 59 ans, en octobre 2018 lors d'une opération qui a terni l'image du prince héritier Mohammed ben Salmane, soupçonné d'être le commanditaire du meurtre, et qui se présentait pourtant comme modernisateur du royaume wahhabite ultraconservateur.
Critique du gouvernement saoudien après en avoir été proche, le journaliste a été étranglé et son corps découpé en morceaux par une équipe de 15 hommes venus de Riyad dans le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul, selon les responsables turcs. Ses restes n'ont jamais été retrouvés.