Le 9 septembre, les ministres français des Affaires étrangères et de la Défense ont rencontré leurs homologues russes à l’occasion de la 12e réunion du Conseil de coopération de sécurité russo-français. Il s'agit d'une première depuis le rattachement par référendum de la Crimée à la Russie en 2014, que l'Union européenne (UE) juge illégal et dénonce comme une «annexion». A l’issue de leur entretien, les représentants des deux pays ont affiché leur souhait, malgré certaines divergences de points de vue, de renforcer leur coopération afin de résoudre plusieurs dossiers épineux.
Course aux armements : Paris et Moscou déterminés à mettre fin à l’escalade relancée par Washington
La décision unilatérale des Etats-Unis de mettre un terme, en août 2019, à leur participation au Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) ainsi que leur refus, pour l'heure, de reconduire avant 2021 le traité Start (Strategic Arms Reduction Treaty, en anglais) ont été au cœur des discussions entre les représentants russes et français. Sur ce sujet, la Russie et la France ont exprimé leurs vives inquiétudes quant aux répercussions négatives que pourrait engendrer le non-respect de ces traités, qui ont jusqu'à présent permis de maintenir les arsenaux nucléaires américains et russes bien en-deçà de leur niveau des années 1970 et 1980.
«La Russie est préoccupée par la perspective d'une course aux armements dans l'espace [relancée par les Etats-Unis]», a déclaré Sergueï Lavrov, avant d'ajouter : «Nous avons demandé à nos collègues français de présenter leur position sur la question.» Le ministre russe des Affaires étrangères a fait savoir en outre que «la Russie a[vait] proposé à la France de participer à la réunion de Genève pour l’élaboration d’un document juridique contraignant limitant le déploiement d’armes dans l’espace».
Evoquant la «menace d’un retour à la course aux armements» et exprimant dans la foulée une préoccupation similaire de la France à ce sujet, Jean-Yves Le Drian a révélé que son pays avait proposé à la Russie «un nouvel agenda de confiance et de sécurité». Il convient, pour le chef de la diplomatie française, de proposer un dialogue structuré sur la sécurité et la stabilité de l'Europe.
Plus globalement, les deux parties ont réaffirmé leur souhait d’étendre leur coopération sur le plan sécuritaire, en mettant en avant la nécessité de mieux coordonner les actions des deux pays. A ce titre, Florence Parly a souligné l'importance de mettre en place des «mécanismes de déconfliction» – des actions de coordination visant à limiter les accrochages et accidents. «Il est donc important de pouvoir se parler, pour éviter les incompréhensions les incidents, les frictions», a expliqué la ministre française des Armées.
Ukraine : l’attachement aux accords de Minsk réaffirmé
Agenda oblige, le dossier ukrainien a également été au cœur des discussions entre les ministres russes et français. Ainsi, Sergueï Lavrov a rappelé l'attachement de Paris et Moscou aux accords de Minsk, et a souhaité que les «autorités de Kiev» respectent leurs engagements. Pour sa part, son homologue français a salué des «avancées significatives». «La libération [le 7 septembre] de 70 prisonniers dont les 214 marins détenus depuis novembre 2018 [en] est une manifestation concrète, que la France avait encouragée», a-t-il par ailleurs déclaré.
La veille, lors d’un entretien téléphonique, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine s’étaient félicités de cette opération considérée par Kiev et Moscou comme un pas important dans la résolution du conflit au Donbass. Vladimir Poutine et Emmanuel Macron avaient par ailleurs discuté des mesures susceptibles de stabiliser la situation sécuritaire dans cette région. De son côté, le chef d’Etat russe avait souligné la nécessité de bien préparer le sommet de paix au «format Normandie» qui devrait réunir, dès septembre, les chefs d’Etat allemand, français, russe et ukrainien, une première depuis octobre 2015.
Préserver l'accord sur le nucléaire iranien
Autre dossier majeur : les ministres français et russes ont réitéré la nécessité de maintenir l'accord sur le nucléaire iranien. A cette occasion, Sergueï Lavrov a rappelé la convergence de vues entre les deux chefs d'Etat sur ce sujet : «Les deux présidents [russe et français] ont évoqué la nécessité de maintenir l’intégralité de l’accord sur le nucléaire iranien [tout en préservant] les intérêts économiques de la République d’Iran. Nous souhaitons faire baisser les tensions dans le golfe Persique afin de maintenir une sécurité collective dans cette région.»
Les tensions dans la région n'ont fait que s'intensifier depuis la décision unilatérale des Etats-Unis, en 2018, de se retirer de l'accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne trois ans plus tôt. L'Iran, qui se dit toujours prêt à négocier avec les Etats-Unis en échange (condition sine qua non) d'une levée des sanctions qui pèsent sur le pays, a néanmoins décidé en retour de suspendre ses engagements.
Syrie : accord sur une meilleure coordination commune, préoccupation de Paris au sujet d'Idleb
Sur le dossier syrien, le chef de la diplomatie russe a exprimé son intention de poursuivre avec la France ses «travaux de coopération et de coordination sur la lutte antiterroriste» ainsi que la mise en place d'«opérations humanitaires» afin de permettre le retour des réfugiés en Syrie. Moscou et Paris ont déjà mené une opération humanitaire conjointe en Syrie : le 26 juillet 2018, une importante aide humanitaire fournie par la France et acheminée par la Russie était arrivée dans la Ghouta orientale, zone reprise par Damas en avril dernier 2018.
En Syrie, France et Russie partagent un défi commun, «celui du terrorisme», mais «ont des approches réellement différentes», a néanmoins relevé Florence Parly, exprimant les inquiétudes françaises quant à la situation à Idleb. «Ces différences [...] ne sont pas une fatalité», a assuré la ministre française des Armées.
Ce rendez-vous diplomatique intervient alors que Paris tente d'améliorer ses relations diplomatiques avec Moscou. Alors qu’il s’adressait à l’Association de la presse présidentielle le 21 août, à la suite de la visite de Vladimir Poutine au fort de Brégançon, Emmanuel Macron regrettait ainsi l'attitude hostile de certains, au sein des appareils d’Etat français et russe, face à un rapprochement entre les deux nations. Estimant que ce phénomène attisait la vieille rivalité entre Est et Ouest, le chef d'Etat français évoquait alors un «Etat profond» susceptible, selon lui, de résister à ses choix stratégiques.