Traduire c'est trahir ? Ces erreurs d'interprétation qui ont changé (ou pas) l'histoire

Traduire c'est trahir ? Ces erreurs d'interprétation qui ont changé (ou pas) l'histoire© Muhammad Hamed Source: Reuters
Le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon (à droite), et le Président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, écoutent une traduction lors d'une conférence de presse à Amman, le 27 mars 2016. (Image d'illustration)
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Les relations internationales ne tiennent parfois qu'à un fil. Elles sont ainsi fortement dépendantes de la qualité des traductions des déclarations des dirigeants du monde. Certaines erreurs en la matière ont eu de lourdes conséquences. Florilège.

«Traduttore, traditore», l'expression italienne signifiant «traducteur, traitre» pointe les infidélités de l'exercice délicat de la traduction d'une langue à une autre. Une mise en garde doublement valable en matière de politique internationale.

A titre d'exemple récent, lors de la rencontre entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron au fort de Brégançon le 19 août, la traduction simultanée destinée au pool de journalistes francophones a sensiblement différé de celle proposée par RT France, ce que nombre de téléspectateurs et d'internautes n'ont pas manqué de remarquer. Si la traduction transmise par les autres médias français était moins précise que celle de notre média, les conséquences en termes géopolitiques et diplomatiques de ces approximations ne devraient pas être bien lourdes. Cela n'a pas toujours été le cas dans l'histoire. En effet, les erreurs de traduction ont pu avoir des retombées non négligeables, voire  dramatiques dans certains cas.

Les bombardements de Hiroshima et Nagasaki auraient pu être évités

Présentée par les linguistes comme la plus grave erreur de traduction de tous les temps, l’interprétation du terme japonais «Mokusatsu» est au cœur d'un des pires massacre du 20e siècle : le largage par les Etats-Unis de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945.

Répondant à l'exigence des alliés de déposer immédiatement et «sans condition» les armes pour mettre fin à la Seconde Guerre mondiale, faute de quoi, «le Japon subira une destruction rapide et totale», le gouvernement nippon a eu le malheur d'utiliser dans sa réponse le terme polysémique de  mokusatsu, traduit trop rapidement par la presse par «ignorer avec mépris».

«Cet ultimatum [des Alliés] n’est rien d’autre qu’une reprise de la Déclaration du Caire. Pour le gouvernement [japonais], il n’a donc pas de valeur en soi ; nous avons décidé de le "mokusatsu". Et de poursuivre résolument nos efforts pour conduire cette guerre au succès», aurait répondu le Premier ministre de l'époque Kantaro Suzuki.

En réalité, pressé par des journalistes de réagir à l'ultimatum allié, Kantaro Suzuki aurait employé le terme controversé pour dire : «sans commentaire pour le moment». Mais le terme choisi ayant un double sens décisif, il a funestement été compris dans son acception de «mépris».

Résultat, le président américain Harry Truman, qui reçoit la déclaration japonaise comme «un dédain silencieux», appuie sur le bouton rouge enclenchant un carnage sans précédent : le bombardement nucléaire de Hiroshima le 6 août 1945 fera entre 95 000 et 166 000 morts sur une ville de 340 000 habitants et celui de la ville de Nagasaki (195 000 habitants), le 9 août, ôtera la vie de 60 000 à 80 000 âmes.

Le 2 septembre 1945, le Japon signait officiellement son acte de capitulation mettant ainsi fin à la Seconde Guerre mondiale. Si les deux bombes nucléaires ont sans doute précipité cette signature, elle était, selon nombre d'observateurs, inéluctable.

D'autre part, bien au delà d'une décision impulsive face au «mépris» japonais, les bombardements atomiques du Japon ont servi aux Américains à faire une démonstration de force vis-à-vis du reste du monde et en particulier, de l'Union soviétique.

Traduire c'est trahir ? Ces erreurs d'interprétation qui ont changé (ou pas) l'histoire© AFP / US AIR FORCE Source: AFP
Le 09 août 1945, le bombardement atomique de la ville de Nagasaki par l'armée américaine.

Le cas du référendum soudanais

Autre exemple marquant d'une erreur de traduction aux conséquences politiques : en février 2010, Ban Ki-moon, alors Secrétaire général des Nations Unies, semblait rompre avec cinq années de politique de l'ONU à l'égard du Soudan, déclarant dans une interview à deux agences de presse françaises qu'il tenterait d'empêcher le plus grand pays d'Afrique de se diviser en deux lors d'un référendum en 2011. «Nous allons travailler dur pour éviter une possible sécession», avait rapporté l'AFP.
Or, en réalité, Ban Ki-moon avait déclaré aux journalistes français qu'il était en faveur d'un Soudan unifié, affirmant : «Nous allons essayer de travailler dur pour rendre cette unité attrayante». Mais il n'a jamais dit qu'il travaillerait activement pour s'y opposer. La suite de la citation exacte du Secrétaire général était : «Nous travaillerons très étroitement pour ne pas avoir de conséquences négatives découlant de cette sécession potentielle ou éventuelle».
La mauvaise traduction des propos de Ban Ki-moon a déclenché un incident majeur au Soudan. Les dirigeants du sud du pays ont accusé le Secrétaire général de s'immiscer dans la décision du Sud de déterminer son propre avenir politique.
L'ONU a ensuite dû faire des pieds et des mains pour assurer que toute suggestion selon laquelle elle aurait pu prendre une position pouvant préjuger de l’issue du référendum soudanais était «fausse».

Jimmy Carter a-t-il abandonné les Etats-Unis ?

Anecdote plus cocasse, fin 1977, le président américain Jimmy Carter en visite en Pologne est accompagné par un interprète russe qui parlait polonais, mais qui n’avait pas la formation professionnelle nécessaire pour interpréter dans cette langue.

A travers la traduction très approximative de celui-ci, les Polonais ont ainsi pu entendre le président Carter affirmer qu’il avait «abandonné» les Etats-Unis et expliquer vouloir «connaître charnellement» le peuple polonais. En réalité, Jimmy Carter évoquait simplement le moment où il avait quitté son pays pour se rendre en Pologne le matin-même, et déclarait plus loin vouloir entendre les «aspirations pour l’avenir» des Polonais. Ces erreurs ont évidemment fait le bonheur des médias des deux pays.
Le traducteur, pourtant très réputé, fut naturellement congédié après cet épisode.

«Nous allons vous enterrer»

Une autre traduction approximative avait aussi nourri les hostilités au plus fort de la guerre froide. Ainsi, en 1956, le président du Conseil des ministres d'URSS, Nikita Khrouchtchev, avait prononcé un discours dans lequel une phrase a été traduite en anglais par «nous allons vous enterrer». Eu égard au contexte ultra-tendu de l'époque, cette phrase a été comprise comme une menace d’attaque nucléaire. Une traduction correcte aurait dû être : «nous vous survivrons» ou encore «nous vaincrons». Pas vraiment amical certes, mais pas aussi menaçant.

«Rayer Israël de la carte»

En 2005, les agences de presse internationales et en premier lieu la prestigieuse agence Reuters ont affirmé que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad avait appelé à «rayer Israël de la carte», nourrissant les soupçons que l'Iran était en train de développer l'arme nucléaire dans ce dessein.

Le 25 octobre 2005, le président iranien – qui participait à une conférence intitulée «Le monde sans le sionisme» – avait déclaré que beaucoup pensaient qu'il n'était pas possible «d'avoir un monde sans les Etats-Unis et le sionisme». Il poursuivait : «Mais vous savez que ce sont un but et un slogan réalisables». Pour étayer ses propos, le président iranien mentionne alors la chute dans l'histoire récente de plusieurs régimes que personne ne pouvait imaginer voir disparaître à l'instar de l'URSS. A la fin de son discours, le dirigeant iranien ajoute : «L'Imam [Khomeiny] a annoncé que le régime occupant Jérusalem devait disparaître de la page du temps.»

Dans cette allocution, à aucun moment Mahmoud Ahmadinejad ne formule les mots «rayer», «carte» ou «destruction d'Israël». Mais il a fallu attendre 2012 pour que les autorités israéliennes admettent qu'il n'avait jamais prononcé cette phrase.

Traduire c'est trahir ? Ces erreurs d'interprétation qui ont changé (ou pas) l'histoire© Isna Source: Reuters
Le président iranien Mahmoud Ahmadinejadlors de la conférence "Le monde sans sionisme" à Téhéran, le 26 octobre 2005.

Le bouton rouge offert par Hillary Clinton à Sergueï Lavrov

Le 6 mars 2009 à Genève, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a offert au ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, un petit boîtier contenant un bouton rouge portant l'inscription reset, ou remise à zéro, pour symboliser la relance des relations entre leurs deux pays.

«J'ai un cadeau pour vous qui symbolise ce que le président Obama, le vice-président Biden et moi-même avons dit : nous voulons repartir à zéro et nous allons le faire ensemble», avait déclaré Hillary Clinton.

Devant la moue circonspecte qui s'affiche sur le visage du chef de la diplomatie russe en découvrant l'objet, la secrétaire d'Etat américaine poursuit : «Nous avons travaillé dur pour trouver le bon mot en russe. Est-ce qu'on a réussi ?», demande Hillary Clinton. «Vous vous êtes trompés», rétorque Sergueï Lavrov.

«Cela devrait être "perezagrouzka" et il y a écrit "peregrouzka", ce qui veut dire "en surcharge"», explique le ministre russe. Et les deux diplomates d'éclater de rire...

Traduire c'est trahir ? Ces erreurs d'interprétation qui ont changé (ou pas) l'histoire© Fabrice Coffrini Source: Reuters
La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton offre un bouton "reset" au ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d'une réunion bilatérale à Genève le 6 mars 2009.

Sergueï Lavrov a néanmoins promis de poser le cadeau sur son bureau, et les deux responsables ont posé pour les caméras en appuyant ensemble sur le bouton.

Lire aussi : Lost in translation : qu'a vraiment dit Vladimir Poutine sur les Gilets jaunes à Brégançon ?

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