Si l'annonce de la répartition des postes clés de l'Union européenne décidée par les 28 chefs d'Etat et de gouvernement du continent n'est pas du goût de toutes les forces politiques françaises, celle-ci se révèle être une victoire éclatante pour Emmanuel Macron.
Volontiers moqué dans sa volonté de réformer le mode d'attribution des responsabilités au sein de l'UE, le chef d'Etat français a en effet non seulement réussi à contrecarrer les oiseaux de mauvais augure qui le voyaient échouer dans sa reconquista européenne, mais il est aussi à l'origine du déblocage survenu le 2 juillet.
La nomination de la ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, comme présidente de la Commission européenne signe premièrement la mort de la méthode du «Spitzenkandidat», que le président français appelait de ses vœux. Ainsi, en lieu et place de Manfred Weber – candidat naturel à la succession de Jean-Claude Juncker en tant que candidat du Parti populaire européen, la formation arrivée en tête des élections européennes du 26 mai mais que le natif d'Amiens jugeait peu qualifié pour le poste et sans envergure suffisante pour la fonction – la nomination d'Ursula von der Leyen apparaît comme la botte de Nevers de Paris, qui a débloqué la situation après trois sommets infructueux.
La France revient aux responsabilité huit ans plus tard
Dans le mano a mano que se livraient la chancelière allemande et le locataire de l'Elysée, le choix de cette descendante d'une famille de la bourgeoisie hanséatique illustre en outre le compromis franco-allemand si cher à Emmanuel Macron et dont il n'a pas manqué de se féliciter, évoquant «le fruit d'une profonde entente franco-allemande». Anti-russe et pro-Otan, rompue à la politique politicienne – elle est ministre depuis 16 ans – ce lieutenant d'Angela Merkel à la CDU s'est vu proposer par le président français un bâton de maréchal inespéré. Le soutien des pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque) à cette proposition est également un bon coup diplomatique pour Paris, alors que ceux-ci étaient vent debout contre la candidature du Néerlandais Frans Timmermans, jugé trop critique envers la politique des Etats d'Europe centrale.
En échange, Emmanuel Macron a obtenu un poste-clé – le premier pour un Français depuis le départ de Jean-Claude Trichet en 2011 – en la personne de Christine Lagarde, nommée présidente de la Banque centrale européenne. Si les qualités de l'avocate d'affaires qui effectue son deuxième mandat à la tête du Fonds monétaire international – elle n'est pas économiste et n'a pas d’expérience de banquier central – sont sujettes à caution, le président français a réussi son pari de pouvoir peser à l'avenir dans cette instance européenne alors qu'une crise financière sans précédent se profile.
Cette doublette s'inscrit également parfaitement dans la doxa politique portée par le fondateur d'En marche ! : deux femmes, que personne n'attendait à ces responsabilités. Alors que la République en marche n'a fait que sauver les meubles sur la scène nationale le 26 mai – tout en finissant néanmoins d'atomiser la droite classique française – Emmanuel Macron a de plus joué à merveille un billard à plusieurs bandes dans le jeu européen de chaises musicales.
La coalition politique informelle PPE-Libéraux-Socialistes : le coup de poker d'Emmanuel Macron
Le plus jeune Premier ministre belge de l'histoire, Charles Michel, un proche du président français qui a maintes fois loué ses qualités, prend ainsi la présidence du Conseil Européen : une victoire pour les forces libérales européennes qui désespéraient de l'absence de leadership au niveau européen venant de leur camp.
Enfin, avec le choix du socialiste Josep Borrell – un septuagénaire actuellement ministre espagnol des Affaires étrangères – comme chef de la diplomatie européenne, Emmanuel Macron réussit la quadrature du cercle : mettre sur pied une coalition politique informelle PPE-Libéraux-Socialistes. Une perspective inespérée au lendemain du 26 mai alors que les forces nationalistes et écologistes effectuaient une percée historique. Catalan fermement anti-indépendantiste, très critique aussi bien de Donald Trump, du Brexit, que du gouvernement vénézuélien, Josep Borrell a apparemment reçu l'assentiment de nombreux pays européens, même si le groupe politique auquel il appartient est peu représenté au Parlement européen. Un renouvellement souligné par Emmanuel Macron, qui a aussi loué la «constitution d’une équipe nouvelle intégralement francophone».
La dernière banderille plantée par le chef d'Etat français : priver l'Italie – dont l'inimité avec son homme fort Matteo Salvini est de notoriété publique – de tout poste à responsabilité, alors qu'elle en détenait jusqu'à présent trois en les personnes de Mario Draghi à la Banque centrale européenne, Federica Mogherini à la diplomatie européenne et Antonio Tajani à la présidence du Parlement européen. Le social-démocrate italien David Sassoli est néanmoins favori pour succéder à son compatriote à Strasbourg, le PPE n'ayant proposé aucun candidat après avoir pris acte du partage décidé par les dirigeants des 28 à Bruxelles.
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