Realpolitik : allié du Hamas, le Qatar distribue des millions à Gaza avec l'accord d'Israël
L'ambassadeur du Qatar a transporté des millions de dollars dans la bande de Gaza au moyen de valises. Proche du Hamas et capable de dialoguer avec Israël, le Qatar interpelle. Des spécialistes se sont penchés sur la question pour RT France.
La scène est exceptionnelle. Israël, qui contrôle tous les accès à la bande de Gaza en dehors de la frontière égyptienne, a laissé le 8 novembre au soir l'ambassadeur du Qatar à Gaza, Mohammed Al-Emadi, franchir le point de passage d'Erez entre Israël et l'enclave palestinienne avec des valises pleines de dollars – littéralement.
Au total, ce sont 90 millions de dollars qataris qui devaient être distribués, principalement pour payer, au moins partiellement, les fonctionnaires qui ne sont plus rémunérés depuis des mois. Le Qatar finance également pour 60 millions de dollars du fioul destiné à la seule centrale électrique du territoire. Enfin, cinq millions de dollars qataris viendront en aide à 50 000 familles pauvres de Gaza. Pour rappel, un Gazaoui sur deux vit sous le seuil de pauvreté.
Ce soutien financier non négligeable de l'émirat aux Palestiniens de Gaza date pourtant de plusieurs années, même si les actions aussi spectaculaires que celles du 8 novembre sont rares.
Pour Alain Gresh, le directeur du site d'information Orient XXI, interrogé par RT France, «le Qatar a une politique étrangère assez étrange». «Ils essayent d'avoir de bonnes relations avec tout le monde de manière à être un élément incontournable dans toutes les négociations», explique-t-il. En effet, si l'émirat du Golfe n'a pas de relations diplomatiques avec Israël, il y avait durant de nombreuses années un bureau israélien à Doha. Les deux Etats se parlent, font du commerce et le Qatar participe aux négociations concernant les Palestiniens de Gaza, au grand dam de l'autorité palestinienne. Ahmed Majdalani, un proche de Mahmoud Abbas, a en effet qualifié d'«agissements de gangster» le geste de l'ambassadeur qatari.
Des négociations gênantes
Selon Alain Gresh, «cela fait plusieurs mois qu'on est dans des négociations entre le Hamas et le gouvernement israélien pour essayer de trouver une forme de trêve à long terme», et laisser passer l'argent du Qatar en ferait partie.
Or, de telles négociations entre l'Etat hébreu et Gaza passent mal auprès des opinions publiques. Le gouvernement israélien est ainsi critiqué pour avoir laissé passer l'argent qatari à destination du Hamas. Le ministre de la Défense Avigdor Lieberman – pourtant membre du gouvernement – a ainsi dénoncé «une capitulation devant le terrorisme», tandis que la chef de file de l'opposition, Tzipi Livni, évoquait «une soumission au Hamas». Pour le gouvernement israélien, cela revient, comme l'explique Alain Gresh, «à négocier avec une organisation [le Hamas] qu'il qualifie lui-même de terroriste et qu'il compare à Al-Qaïda ou à l'Etat islamique», ce qui manque quelque peu de cohérence.
Quant au Hamas, s'il doit faire face au mécontentement grandissant de la population, victime du blocus israélien, négocier avec l'Etat hébreu par l'intermédiaire du Qatar «est un peu délicat parce qu'il y a une surenchère de la part d'un certain nombre d'organisations palestiniennes et qu'ils ne sont pas unis en interne», explique Alain Gresh.
Répondant également aux questions de RT Frane, Walid Charara, chercheur en relations internationales au centre consultatif pour les études et la recherche du Hezbollah, considère que «le Hamas met à profit cette relation avec le Qatar pour obtenir des financements sans pour autant renoncer à la résistance». Selon lui, les capacités militaires du Hamas «n'ont pas arrêté de se développer» et si le Hamas est lié au Qatar, «il est également proche de l'Iran», bête noire d'Israël.
Quoi qu'il en soit, selon ces deux spécialistes, l'autorité palestinienne n'apporte aucun soutien financier à la population de Gaza, qu'elle considère gouvernée par une organisation illégitime. L'argent qatari fait partie de ces petites bouffées d'oxygène qui parviennent de l'international (Union européenne, ONU, ONG) aux habitants de la bande de Gaza, étranglés par les guerres, les blocus israélien et égyptien, la pauvreté et les pénuries.
Meriem Laribi
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