Le deuxième jour de la visite de Vladimir Poutine en Turquie, ce 4 avril, devrait être largement consacré à la guerre en Syrie et à la résolution du conflit. Après une première discussion en tête-à-tête la veille avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, le président russe doit participer à un sommet trilatéral auquel devrait se joindre le président iranien Hassan Rohani, un peu plus de trois mois après leur dernière réunion, à Sotchi en Russie.
Depuis janvier 2017, la Turquie, la Russie et l'Iran se sont portés garants du processus dit d'Astana. Le 4 mai 2017, un accord était signé entre les trois puissances régionales établissant alors des zones de désescalade, dont une dans la Ghouta orientale (à l'est de Damas).
Si l'année 2017 s'était terminée sur des perspectives optimiste après l'élimination de Daesh de la quasi-totalité du territoire syrien, le début de 2018 a été marqué par une dégradation de la situation militaire dans le pays. Dans la Ghouta orientale, les groupes armés djihadistes, parmi lesquels Jaïch al-Islam, au nord de cette enclave, se sont réactivés.
Dans le nord du pays, répondant à la volonté des Etats-Unis de structurer les combattants kurdes pro-occidentaux des Forces démocratiques syriennes, la Turquie a lancé le 20 janvier dernier l'opération «Rameau d'Olivier» dans la région syrienne d'Afrin. Le 18 février, avec l'appui de l'armée russe, Damas passait à l'action contre les groupes rebelles qui, depuis la Ghouta, prenaient pour cible le centre de Damas.
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Les puissances régionales au chevet de la Syrie, effacement des Occidentaux
Symbole fort de l'incapacité des Etats-Unis à défendre leurs intérêts en Syrie, Recep Tayyp Erdogan n'a pas hésité à défier Washington. Alors qu'Ankara considère le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) comme une entité terroriste en Turquie, la formation d'un glacis kurde, soutenu militairement par les Etats-Unis, constituait bel et bien un casus belli pour Ankara. Signe encore de leur marginalisation en Syrie, les belligérants occidentaux, peut-être surpris par la détermination turque, ont tardé à condamner l'offensive d'Ankara à Afrin.
En ce début de mois d'avril, dans la Ghouta comme dans l'enclave d'Afrin, les rebelles ont ainsi subi de sérieux revers, diminuant encore un peu plus la capacité des Occidentaux à peser sur l'issue du conflit. Les trois puissances signataires de l'accord d'Astana sont, plus que jamais, maîtres du jeu en Syrie.
Face à l'éventualité d'une intervention de la France pour soutenir les forces armées kurdes en Syrie, Ankara n'a pas mâché ses mots. «Ceux qui coopèrent avec les organisations terroristes contre la Turquie pour l'attaquer, seront traités et ciblés de la même façon que les terroristes», a prévenu le 30 mars dernier le vice-Premier ministre turc, Bekir Bozdag.
Autre manifestation de ce basculement géopolitique, les pourparlers de Genève, sous l'égide des Nations unies, révèlent depuis 2014 leur inefficacité dans la résolution de la guerre civile syrienne. En décembre 2017, un nouveau round de négociations échoue à mettre autour de la même table l'opposition syrienne et le gouvernement de Damas. Le 26 janvier 2018, une neuvième tentative s'achève, là aussi, sans succès à Vienne, où les négociations de Genève avaient été délocalisées pour des raisons logistiques.
Malgré les contre-temps du début de l'année et les soubresauts des groupes armés djihadistes, c'est sur cette base que les trois dirigeants, malgré des objectifs géopolitiques parfois divergents, mais forts de leurs succès sur le terrain, devraient reprendre leurs travaux. Sans les Occidentaux, impuissants à imposer à la Syrie leur objectif de «changement de régime».
Alexandre Keller