Le 21 mars, la chancelière Angela Merkel n'a pas manqué de virulence, devant le Parlement allemand, pour dénoncer une situation «inacceptable» à Afrin, enclave kurde du nord-ouest de la Syrie, prise le 18 mars par l’armée turque et ses alliés, parmi lesquels les rebelles armés de l’Armée syrienne libre (ASL). Le 20 mars, Washington avait exprimé «sa profonde préoccupation» quant au sort des civils, alors que la ville était livrée au pillage des forces turques.
Après deux mois d’offensive, les Etats-Unis et l’Allemagne durcissent donc le ton... Tandis que la Turquie a réalisé le principal objectif de l'offensive Rameau d'olivier, lancée le 20 janvier, sur fond de tergiversations molles de ses alliés de l'OTAN : prendre le contrôle de la ville d'Afrin.
Le 19 mars, Damas a également fait entendre sa colère. Les autorités syriennes, selon une missive envoyée au secrétaire général de l'ONU et au président du Conseil de sécurité des Nations unies, ont condamné «l'occupation turque» de la ville d'Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie, et ont réclamé le «retrait immédiat» des «forces d'invasion» turques dans le pays. Si l'armée syrienne n'est pas intervenue militairement pour stopper Ankara, des milices pro-Damas ont tenté de prêter main forte aux milices kurdes des Unités du protection du peuple (YPG) d'Afrin.
Alors que de dizaines de milliers civils auraient fui la zone, que des scènes de pillage par l’armée turque sont rapportées notamment par l'AFP (sur lesquelles Ankara a assuré qu'il enquêterait) à Afrin, l’indignation des capitales occidentales s’est raffermie. Mais ces déclarations de façade qui interviennent à la fin de la bataille pour la ville, ne semblent que consacrer la victoire turque, sans engager aucune coercition envers Ankara.
«C'est inacceptable ce qu'il se passe à Afrin», s'indigne Berlin
Angela Merkel n'a pourtant pas mâché ses mots en condamnant le 21 mars «de la manière la plus ferme» la situation du canton kurde d'Afrin, dont la Turquie a pris le contrôle. «Indépendamment des intérêts sécuritaires justifiés de la Turquie, c'est inacceptable ce qu'il se passe à Afrin où des milliers et des milliers de civils sont réprimés, meurent ou sont forcés de fuir», a estimé la chancelière allemande. Mais bien qu'outre Rhin, une part conséquente de la classe politique ait critiqué à mots couverts depuis le début l'intervention turque dans le nord syrien, y compris dans le camp conservateur de la chancelière, ses déclarations n’ont été suivies d’aucun effet – si ce n'est la suspension de la modernisation prévue des 354 chars allemands acquis par Ankara.
Quelques jours après le début de l'offensive fin janvier, le chef de la diplomatie allemande Sigmar Gabriel avait par exemple annoncé qu'il demanderait au ministre turc de la Défense des «précisions» sur l'attaque. «Le gouvernement allemand continue à être très préoccupé par le conflit militaire dans le nord de la Syrie, c'est la raison pour laquelle nous nous efforçons avec la France d'empêcher une poursuite de l'escalade, de permettre un accès humanitaire et de protéger la population civile», avait-il ajouté.
Mais quelque peu en contrepoint, le ministre allemand des Affaires étrangères avait précisé que «les intérêts de sécurité» de la Turquie dans la zone devaient être pris en compte. Et que pour parvenir à une solution, la «confrontation militaire» devait tout d'abord prendre fin, soulignant qu'il l'avait déjà «dit à plusieurs reprises au gouvernement turc»… des répétitions suivies de peu d’effet.
Les Américains, «préoccupés», sèchement tancés par Ankara
Du côté américain, les déclarations n’ont pas la flamboyance indignée de la chancelière allemande, mais appellent à la retenue, alors même qu'Ankara vise désormais la ville kurde de Minbej à l'ouest, où sont stationnées les troupes américaines.
Le 20 mars, le colonel Rob Manning, un porte-parole du ministère américain de la Défense, a bien appelé la Turquie «à la désescalade, à résoudre le conflit syrien et à protéger les vies de civils innocents». Mais le porte-parole de la diplomatie américaine, Heather Nauert, a confirmé que Washington «rest[ait] engagé auprès de la Turquie, [son] alliée à l'OTAN, pour prendre en compte ses inquiétudes légitimes concernant la sécurité». Une manière de justifier le blanc seing dont semblent avoir bénéficié, de la part de ses alliés de l'OTAN, l'armée turque et ses alliés de l'ASL pour agir à leur guise dans les zones de Syrie contrôlées par les milices kurdes ?
Même si les mots sont mesurés, ils ont déclenché la fureur d’Ankara, qui ne s'embarrasse pas de langue diplomatique ouatée. «Où étiez-vous lorsque nous vous avons fait part de nos préoccupations à nous, lorsque nous vous avons proposé d'éliminer les terroristes ensemble ?», a tonné Recep Tayyip Erdogan lors d'un discours à Ankara. «Si nous sommes votre partenaire stratégique, alors vous devez nous respecter, vous devez marcher à nos côtés», a enjoint le chef de l'Etat turc. «D'un côté, vous dites que la Turquie est votre partenaire stratégique et, de l'autre, vous collaborez avec les terroristes», a martelé le président turc.
Washington déchiré entre Ankara et les YPG
Ankara accuse les milices kurdes des YPG, en Syrie, d'être la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène une rébellion dans le sud-est de la Turquie. Washington avait jusqu'ici soutenu les YPG, leur indéfectible allié contre l'Etat islamique (EI) en Syrie. Mi-janvier, le Pentagone avait décidé de les armer pour mettre en place un programme d'entraînement pour de garde-frontières arabes et kurdes en Syrie. Cette décision avait provoqué l'ire d'Ankara, qui avait en réponse entamé son opération militaire sur Afrin, voyant d'un mauvais œil le renforcement de la présence de groupes armés kurdes à sa frontière.
Face à la détermination turque, les Etats-Unis ne sont pas venus en aide aux combattants des YPG. Mais le conflit risque de prendre une toute autre allure. Si les militaires américains n'étaient pas présents à Afrin, ils sont en revanche stationnés à Minbej, la zone sur laquelle les autorités turques lorgnent aujourd’hui. Le 20 mars, le président Erdogan a prévenu qu'il comptait étendre son offensive à d'autres zones du nord de la Syrie, dont la ville de Minbej, à une centaine de kilomètres à l'est d'Afrine. Le 6 février, Recep Tayyip Erdogan avait déjà appelé Washington à retirer ses soldats de Minbej, contrôlée par les YPG, en prévision d’une attaque, afin d’éviter une confrontation directe entre les deux pays, alliés au sein de l'OTAN. L'ardeur des remontrances américaines à l'égard d'Ankara prendra-t-elle une autre ampleur si ses soldats se trouvent directement menacés ?