Visite du prince héritier saoudien aux USA : la lune de miel entre Washington et Riyad se confirme
Donald Trump a proclamé sa «grande amitié» avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, à l’occasion d'une rencontre à Washington, le 20 mars. Ce dernier a notamment confirmé un plan d’investissement de 200 milliards de dollars.
«L'Arabie saoudite est un pays très riche et vous allez, j'espère, donner une part de cette richesse aux Etats-Unis sous la forme d'emplois et d'achats du meilleur matériel militaire qui soit au monde». C’est ce qu’a déclaré Donald Trump à Mohammed ben Salmane, lors de leur rencontre 20 mars à la Maison Blanche. Le prince héritier saoudien, surnommé «MBS», entame en effet sa première visite aux Etats-Unis depuis sa nomination en juin 2017.
Confirmant l’espoir du président américain, le jeune prince a assuré que Ryad travaillait sur «un plan d’investissement de 200 milliards de dollars avec Washington», ajoutant que son royaume «souhait[ait] vivement renforcer les relations avec les Etats-Unis et les piliers d'une forte amitié entre les deux pays». Satisfait de la concrétisation des annonces faites lors de son premier voyage à l’étranger en tant que président en Arabie saoudite, Donald Trump a salué les ventes de matériel d’armement américain à l'Arabie saoudite, assurant que celles-ci avaient permis la création de 40 000 emplois aux Etats-Unis, selon le site arabophone Al-Mayadeen.
#TrumpMeetsCrownPrince | KSA-USA relations are strong and deep. We have common interests in various fields pic.twitter.com/1OO1aqTOVY
— وزارة الخارجية 🇸🇦 (@KSAMOFA) 20 mars 2018
Le rôle crucial supposé de Jared Kushner
Durant cette entrevue, le locataire de la Maison Blanche a loué l’amitié qui le liait au prince héritier de 32 ans. «La relation n'a probablement jamais été aussi bonne, nous nous comprenons l'un l'autre», a lancé Donald Trump, 71 ans. Mais selon de nombreux observateurs, ce rapprochement serait en grande partie le fruit de la relation étroite entretenue par Jared Kushner, le gendre du président Trump, avec le prince héritier saoudien.
Interrogé par RFI, François Durpaire, historien spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise, affirme que «la vraie personne qui a permis ce reset, c’est un homme qui a le même âge que le prince, c’est le gendre de Donald Trump». Selon ce spécialiste, Jared Kushner, 37 ans, qui a été «assez mal compris à la Maison Blanche, du côté du département d’Etat», a appelé directement le prince héritier : «Ils s’entendent, ils ont le même âge», a-t-il notamment ajouté. Les liens entre les deux hommes sont également confirmés par divers médias, tels que CNN, Le Monde et une journaliste spécialiste de l'Arabie saoudite interrogée par Paris Match.
En d'autres termes, après avoir limogé son secrétaire d’Etat Rex Tillerson le 13 mars, Donald Trump laisserait jouer à ce membre de sa famille – et très officiellement Haut conseiller du président des Etats-Unis – un rôle d'importance sur ce volet stratégique de la politique étrangère américaine
Rex Tillerson, dont les opinions divergeaient quelque peu avec la ligne de Riyad, notamment sur les dossiers iranien et qatari, a été écarté au moment opportun – et ne pourra donc risquer de froisser l’invité princier. Au sujet du limogeage de son secrétaire d’Etat, Donald Trump avait d’ailleurs déclaré : «Quand vous regardez l'accord sur le nucléaire iranien : je pensais qu'il était horrible, il pensait qu'il était OK.»
Le dossier yéménite ignoré
Les dossiers délicats de la situation au Yémen et des relations avec le Qatar n’ont pas été évoqués lors de cet entretien. Pourtant, au même moment, à Washington, une résolution qui visait à mettre fin à l'assistance militaire des Etats-Unis à la coalition menée par Ryad dans le cadre du conflit yémenite a été rejetée par le Sénat américain.
Alors que la guerre au Yémen a fait plus de 10 000 morts et a mis le pays au bord de la famine, trois sénateurs américains ont tenté de faire voter cette résolution, dans le but de déclarer illégal le soutien militaire américain à la coalition. Mais les sénateurs l'ont rejetée, par 55 voix contre 44.
Une vaste offensive de charme
Avec ce passage au Bureau ovale, MBS entame une grande tournée diplomatique qui le mènera à travers les Etats-Unis, d'Est en Ouest, pendant près de trois semaines.
Après Washington, il se rendra à Boston puis à New York à la rencontre des milieux financiers, mais aussi du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Il est ensuite attendu à partir du 30 mars sur la côte Ouest, à Los Angeles et à San Francisco, chez les géants des nouvelles technologies comme Google et Apple, du divertissement mais aussi de la défense comme Lockheed Martin. Il se rendra aussi à Seattle, berceau d'Amazon, et enfin, le 7 avril, à Houston à la rencontre de l'industrie pétrolière.
In his first interview with an American television network, Saudi Arabia's Crown Prince Mohammed bin Salman shared his thoughts on Iran, the humanitarian crisis in Yemen, his country’s troubled past and its hopeful future. https://t.co/T6tsZB37ST
— 60 Minutes (@60Minutes) 19 mars 2018
CBS chante les louanges du prince
Dans une longue interview diffusée sur CBS juste avant son arrivée aux Etats-Unis, la première accordée à une chaîne de télévision américaine, MBS a peint une image positive d'un royaume saoudien en profonde transformation, soucieux d'améliorer l'égalité homme-femme, le respect des droits de l'homme.
What did Prince #MbS say when asked what could stop him?#60MINUTESpic.twitter.com/PdN526tmsu
— إنفوجرافيك السعودية (@Infographic_ksa) 19 mars 2018
Cette interview réalisée dans le cadre de l’émission 60 minutes était par trop complaisante à l’égard du prince saoudien selon un journaliste du magazine en ligne The Intercept, qui l’a qualifiée de «crime contre le journalisme». L’auteur, Mehdi Hasan, juge que l’interview est une «infopublicité» pour les autorités saoudiennes. La présentatrice de CBS, Norah O'Donnell, n’a en effet pas tari d’éloges à l’égard du prince héritier : «Ses réformes à l'intérieur de l'Arabie saoudite ont été révolutionnaires», a-t-elle affirmé avant le début de sa rencontre avec Mohammed ben Salmane. «Il émancipe les femmes, introduit la musique et le cinéma, et réprime la corruption», a-t-elle ajouté.
The @60Minutes interview with Mohammad bin Salman resembled more of an infomercial for the Saudi regime than serious or hard-hitting journalism. https://t.co/ykhUvMhpRk
— The Intercept (@theintercept) 19 mars 2018
Une lune de miel qui ne plaît pas à tout le monde
La purge anti-corruption dans le cadre de laquelle plusieurs princes du royaume ont été retenus dans le luxueux hôtel Ritz-Carlton de Ryad, de novembre jusqu'à fin janvier, a suscité des interrogations dans le monde diplomatique et économique.
Par ailleurs, dans une tribune publiée dans les colonnes du journal USA Today le 18 mars, les anciens diplomates Aaron David Miller et Richard Sokolsky ont exhorté Donald Trump à la vigilance et à l'exigence, mettant en exergue la «fascination» du président américain pour les Saoudiens. «Nous devrions saluer les réformes que MBS promet pour la société saoudienne [...] mais nous ne devons pas être envoûtés par un roi en devenir dont les choix politiques très tranchés ne sont pas toujours alignés avec les nôtres», ont-ils notamment écrit.