Les ventes d’armes par la France à l'Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis, membres de la coalition arabe qui bombarde le Yémen, violent-elles les traités internationaux ? C'est en tout cas ce qu'a conclu un avis juridique rendu par le cabinet d’avocats parisien Ancile, commandé par Amnesty International France et l’association l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), publié le 20 mars.
Les ONG, qui sous-entendent une complicité de Paris concernant les crimes de guerre perpétrés au Yémen, «appellent à un véritable débat public suite aux conclusions» de ce rapport.
Selon les termes employés dans un communiqué d'Amnesty résumant les conclusions du rapport, «l’analyse juridique [...] révèle un risque juridiquement élevé que les transferts d’armes soient illicites au regard des engagements internationaux de la France».
En effet, l’Organisation des Nations unies (ONU) avait dénoncé des violations généralisées et systématiques du droit humanitaire par la coalition sous commandement saoudien, regroupant notamment les Emirats arabes unis (EAU), l'Egypte et Bahreïn, au Yémen. Celle-ci aurait notamment pris pour cibles les civils à de nombreuses reprises, bombardant des marchés, des hôpitaux, des commerces ou des écoles. L’ONU a aussi épinglé l'utilisation d’armes interdites par le droit international telles que les bombes à sous-munitions. En outre, le blocus décidé par le royaume wahhabite induit selon les termes de l'organisation internationale «la pire crise humanitaire au monde».
Manque de transparence des autorités françaises
Or, ces violations graves du droit international humanitaire par l’Arabie saoudite et les EAU contrediraient les traités internationaux sur les ventes d’armes tels le Traité sur les commerce des armes (TCA) et la Position commune du Conseil de l'Union européenne, auxquels la France a souscrit.
Le TCA a pour objectif d'instaurer un contrôle sur les transferts d’armes entre Etats, en se basant notamment sur des critères relatifs aux droits humains et au droit international humanitaire. En tant que signataire du TCA et de la Position commune, la France s’est engagée à ne pas vendre d’armes dès lors qu'elle prend connaissance que celles-ci peuvent être utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international humanitaire.
Le rapport du cabinet Ancile révèle en outre un «manque de transparence de la part des autorités françaises au sujet des transferts d’armes à l’Arabie saoudite et aux EAU depuis le début du conflit au Yémen».
L'un des responsables d'Amnesty International France, Aymeric Elluin, souligne ainsi dans un communiqué, le 20 mars, que le rapport parlementaire de 2017 sur les exportations d'armement de la France ne livre d’informations détaillées ni sur les armes et leur utilisation, ni sur l’examen des demandes de licences, qui est confidentiel. Amnesty note qu'il «n’existe aucune information publique indiquant que la France ait suspendu ou annulé des licences d’exportations depuis le début du conflit». A lui seul, ce rapport ne permet donc pas de déterminer si la France respecte bien les traités internationaux.
Les deux ONG réclament la suspension de «toute livraison d’armes, de munitions, de véhicules militaires, de pièces détachées ou d’autres matériels ou technologies militaires à destination de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite». Elles invitent la France à renforcer son système de contrôle à l’exportation afin de ne pas contrevenir à ses obligations internationales et de mettre fin «à l’opacité autour de ses ventes d’armes en améliorant son effort de transparence annuelle».
Alors que l’insurrection chiite houthi combat les forces pro-gouvernementales regroupées dans le sud du Yémen depuis mars 2015, la coalition menée par l'Arabie saoudite (où le président Abdrabbo Mansour Hadi est exilé) a lancé une violente campagne de bombardements baptisée «Tempête décisive», puis «Restaurer l'espoir» pour contrer l'insurrection. Depuis, le conflit a fait 10 000 morts dont la moitié de civils. L’accès humanitaire a été fortement réduit, alors que 18,8 millions de personnes auraient besoin d’assistance, que 14 millions d'entre elles sont en situation d’insécurité alimentaire et que 4,5 millions souffrent de sous-nutrition, selon les estimation de l’ONG Action contre la faim.